L’affaire était pourtant claire : en République française, lorsqu’il pleut sur un homme politique, ce n’est jamais une petite bruine légère, c’est toujours un déluge judiciaire, médiatique et politique. Sarkozy avait pu tester l’adage et Hollande l’avait démontré de façon essentiellement littérale avec un sens de l’humidité particulièrement poussé. Quant à Fillon, il aurait dû servir de véritable jalon dans la vie politique tant ce déluge a pu ruiner de façon définitive ses espoirs d’accéder un jour à la magistrature suprême.
Jean-Luc Mélenchon aurait donc dû savoir que tout, absolument tout, lui tomberait dessus d’un seul coup. En début de semaine dernière, ce fut chose faite : matinalement perquisitionné à son domicile puis à sa permanence parlementaire, le président du groupe de la France Insoumise à l’Assemblée a commis cependant deux erreurs grossières.
La première fut de tout filmer, ce qui donnera par la suite des éléments nombreux aux réseaux sociaux et aux médias pour faire enfler l’affaire bien loin de toutes proportions raisonnables. La seconde fut de réagir comme il l’a fait, par la colère et l’outrance, sans comprendre que ses invectives le desserviraient, d’autant plus qu’elles furent doublées de saillies particulièrement méprisantes pour les policiers présents et, plus généralement, le peuple dont il se gargarisait à chaque occasion.
Ces journées mouvementées auront probablement éprouvé le Lider Minimo au-delà du raisonnable puisqu’interrogé au débotté par une journaliste méridionale, le pauvre homme s’est laissé aller à moquer son fort accent du Sud.
Comme prévu dans ce genre de tempête médiatique, ce petit fait divers aura immédiatement enflé. Et toujours comme prévu, il n’aura pas fallu longtemps pour qu’un courtisan bien poudré du pouvoir en place frétille d’aise devant une si belle occasion de se faire mousser : Laetitia Avia, une député LREM, a bien vite déposé un projet de loi contre les discriminations linguistiques ou « glottophobie ».
La glottophobie n’a rien à voir avec la gloutophobie, la peur des gros gloutons, qui aurait réprimé ceux qui se servent deux fois des nouilles (ou croquent des chauffeurs de taxi, par exemple) : il s’agit d’une aversion aux accents et particularisme langagiers régionaux.
Tout comme ce siècle a été pour le moment particulièrement fécond en politiciens consternants, il l’est aussi pour la découverte de nombreuses phobies ridicules dont la précision et l’étroitesse est telle qu’elle permet à chaque petit flocon de neige humain d’y trouver son identité ; il en va donc de même de cette glottophobie dont le but n’est bien sûr que de faire connaître la député au-delà de ses frais de bouche.
Pour elle, la question est d’importance : « Doit-on subir des humiliations si on n’a pas d’intonations standardisées ? » Et de cette question fondamentale découle naturellement ce dépôt de proposition, cette loi en devenir dont la République ne semble pas pouvoir se passer.
La proposition, déposée jeudi dernier, n’aura pas traîné à faire réagir sur les réseaux sociaux et un peu partout dans les journaux. Pour certains, pas de doute, il ne s’agit que d’un trait d’humour de la député qui a ainsi voulu adresser une petite piqûre de rappel citoyen inclusif à Jean-Luc Mélenchon. Pour d’autres, la proposition est bien sérieuse et n’est que l’aboutissement d’un long travail parlementaire de fond sur les oppressions dont sont victimes trop de Français…
Cependant, pour beaucoup de Français qui paient des impôts, qui sont confrontés, tous les jours, à des problèmes autrement plus saillants que des moqueries sur leur accent berrichon, marseillais ou picard, le travail de la député laisse quelque peu dubitatif pour le dire gentiment.
Mardi, un ministre de l’intérieur démissionne en évoquant une quasi guerre civile à venir.
10 jours plus tard, on veut légifèrer sur les accents.La fête du slip du gadget progressiste puéril durera jusqu’à bout du bout.
Et au delà. https://t.co/oth29umgcI— Bastiat2022 (@Bastiat2022) 19 octobre 2018
Faut-il donc que le pays soit à ce point pacifié, engourdi dans les tendres vapeurs de vins capiteux fêtant le plein emploi, la croissance retrouvée, les poches et les ventres pleins, pour qu’on en soit maintenant réduit à occuper nos temps de cerveaux disponibles et celui, fort coûteux, d’une député pour ce genre de propositions ?
N’y a-t-il pas des problèmes budgétaires, sécuritaires, économiques et politiques un tantinet plus graves que de tenter une législation loufoque à la suite de l’attitude certes minable mais tout à fait dans la ligne habituelle d’un député collectiviste hargneux ?
D’autre part, cette député et cette proposition illustrent une fois encore la législorrhée dégoulinante dont souffre la République, infestée de ces parasites scribouillards qui trouvent dans l’écume des jours mille et une raisons idiotes pour ajouter leur nom et leurs idées débiles dans ses codes de lois déjà obèses (et permettez qu’on puisse être grossophobe concernant les lois et décrets alors que leur nombre, en France, flirte langoureusement avec le demi-million).
En outre, le risque d’une telle loi – si jamais une telle bêtise venait à prendre effectivement corps – est qu’encore une fois serait dévolu au législateur de fixer les règles du bon goût ou de l’humour ce qui est très, très au-delà du périmètre normalement plus modeste de la loi, censée surtout s’occuper des crimes et délits… À moins bien sûr de classer le goût et l’humour dans l’une de ces deux catégories, ce qu’un nombre croissant d’abrutis libertophobes entend faire.
Enfin, on ne pourra s’empêcher de noter que la démarche de la député s’inscrit dans cette tendance très particulière et de plus en plus commune d’une espèce de défense paternaliste de la province et des particularismes que seule la Capitale, la loi et la représentation nationale seraient capables de défendre.
Ce n’est pas un hasard : dans l’esprit torturé de nos députés, la province ne peut survivre sans les décisions parisiennes. Toutes les décisions y sont prises, toutes les lois y sont votées, le pouvoir y prend place. Dès lors, chaque région ne peut se défendre par elle-même et doit absolument compter sur l’État et sa tête parisienne. Ce parisianisme se décline d’ailleurs en jacobinisme centralisateur tant au niveau des régions qu’aux niveaux inférieurs qui, tous, semblent croire qu’il faut absolument s’en référer aux instances supérieures pour prendre des décisions et que sans elles, nul espoir, nul salut.
À l’extrême, on fait absolument tout pour bien faire comprendre que l’individu, sans cette pyramide de maîtres au-dessus de lui, ne peut survivre, que sans ces lois dégoulinant en torrents, il sera incapable de se débrouiller seul, de se défendre, de commercer ou de diriger sa vie comme il l’entend. L’individu est un enfant, qui ne pourra défendre ses particularités, ses coutumes, sa mode vestimentaire ou – ici – son accent régional qu’avec l’aide bienveillante de l’armée de députés et de la nuée de politiciens rattachés autour.
En fait de boutade (excuse utilisée chez certains députés LREM pour justifier cette loi hallucinante), cette proposition est une parfaite illustration de la façon dont nos députés envisagent leur rôle : tels des babysitters assidus, ils entendent tout protéger, tout défendre, tout contrôler.
Le peuple, dans sa grosse couche-culotte législative de plus en plus étanche et soigneusement conservé dans son petit parc à barreaux, appréciera certainement.
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