Pour ceux qui, comme moi, ont vécu leur engagement politique principal au sein d’un parti, l’évolution actuelle, qui peut passer inaperçue aux yeux du grand public, est consternante. J’ai été membre du RPR puis de l’UMP, et élu local et national de ces deux formations. Jusqu’à l’arrivée de Sarkozy, j’ai toujours eu le sentiment d’une grande liberté, totale sur les questions qui engagent la conscience, très large sur la plupart des sujets techniques et économiques, ouverte encore sur des choix pourtant cruciaux. Seule la fidélité électorale au mouvement était requise, mais avec une certaine tolérance. L’avortement, l’homosexualité, la peine de mort, la construction européenne, le libéralisme économique, la décentralisation départementale ou régionale faisaient l’objet de débats dénués du risque d’éviction. J’étais souverainiste et proche de Pasqua et de Seguin plutôt que de Chirac et Juppé. j’ai soutenu par la suite Balladur et non Chirac, sans que celui-ci me marque une quelconque rancune. Le mandat de Sarkozy a marqué une rupture : alors que « l’idéologie » du mouvement manquait pour le moins de clarté, c’est pourtant à ce moment que l’exclusion est apparue comme une menace venue d’on ne sait où et justifiée par je ne sais quoi. Conservateur, ce qui est logique dans un parti de droite, j’ai été de plus en plus attaqué au sein du mouvement et du groupe parlementaire en raison de ma prétendue « homophobie », c’est-à-dire de mon attachement à une conception traditionnelle de la famille. Je n’ai certes pas été exclu, mais privé d’une investiture pourtant votée lors du Conseil National. J’ai donc quitté un parti dont l’air devenait irrespirable. Or cet état d’esprit n’était pas propre à la droite. C’était la marque d’un nouveau monde en gestation, dont LREM offre désormais une image caricaturale.
Cette dérive est particulièrement perceptible au sein du Parlement. Les députés sont élus au scrutin uninominal de circonscription, et même si l’élection de 2017, dans la foulée du coup réalisé par M. Macron, a été plus aveugle que les précédentes puisqu’elle a vu arriver à l’Assemblée beaucoup d’inconnus, ou revenir des socialistes ripolinés, tous ces députés ne sont pas des pions ou des robots appelés à obéir au chef sur tous les sujets. Il en va du respect de la démocratie parlementaire aujourd’hui discréditée par le macronisme. La série des départs et des exclusions révèle la réalité du pouvoir : un homme entouré de jeunes apparatchiks sortis du même moule que lui, imbus de leur « supériorité » et plus encore des préjugés que leur appartenance à des lobbys transforme en pensée unique. La soumission de parlementaires authentiques à un tel système est une indignité.
ll faut saluer la courageuse Agnès Thill, exclue pour son opposition à l’extension de la PMA. Ce sectarisme sur des questions qui engagent l’éthique personnelle est méprisable. Venu de gauche, Sébastien Nadot est, lui-aussi, exclu pour n’avoir pas obéi à l’ordre de changer son vote sur le budget, imposé par le garde-chiourme Le Gendre. Le député dénonçait les ventes d’armes françaises qui tuent au Yémen et l’hypocrisie budgétaire du gouvernement sur les questions écologiques. Ce type de démarche personnelle doit être toléré dans un groupe pléthorique, qu’il ne met pas en péril. Ce député voulait une Commission d’enquête sur les ventes d’armes : c’était son droit, un peu plus justifié que la demande satisfaite d’une « commission sur les groupes d’extrême-droite », mais le Parlement doit être aux ordres. L’humiliation qui consiste à demander à un élu de modifier son vote révèle le mépris dans lequel l’exécutif tient le « législatif ». Pour le coup, la réforme constitutionnelle de 2008 de Sarkozy entendait au contraire accroître le rôle du Parlement. Jean-Michel Clément est parti parce qu’il a vu que le rapport entrepris en tandem avec Guillaume Larrivé sur l’immigration ne serait pas pris en compte dans le projet de loi sur l’asile et l’immigration. Là encore, mon expérience similaire avec René Dosière avait conduit à quelques modifications importantes pour les Autorités Administratives Indépendantes, avec par exemple l’instauration du Défenseur des Droits. La différence est notable. Frédérique Dumas ne regrette pas « être sortie d’une prison », après avoir constaté que son rapport sur l’audiovisuel était balayé par les préférences d’Alexis Kohler, le Secrétaire Général de l’Elysée. Elle était productrice et connaissait le sujet. Il n’y connaît rien, mais il est proche du président. Dépitée, elle critique le fonctionnement militaire du groupe : interdiction de déposer des amendements individuels ou d’en cosigner avec d’autres groupes, alors que cette souplesse vivifie le débat. François-Michel Lambert, Paul Molac, Matthieu Orphelin avaient cru au discours « écolo » de Macron. Ils en ont perçu la dimension purement tactique, et donc la duplicité : « on nous prend pour des clones. Des gens de 25 ans ont tous les droits ! » Quant à Joachim Son-Forget, son jugement est amer : « LREM fonctionne comme un groupe d’enfants attardés. Ces gens ne sont rien. Ce sont des faibles, des vassaux ».
Le pouvoir actuel a commencé par une mise en cause injuste du Parlement. Il va proposer de diminuer le nombre des parlementaires de telle façon que les citoyens n’aient plus de lien direct avec leurs représentants. Le grand nettoyage ne visait pas à moraliser la vie publique, à preuve Ferrand et quelques autres, mais à instaurer une autocratie. C’est un devoir ardent et urgent que de résister à ce coup d’État !
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