Brest : à côté des fêtes nautiques, les excès sécuritaires d’un sous-préfet très zélé mais pas très cohérent ni très logique dans sa démarche.
Le décor, c’est le port de Brest ; ce sont les fêtes des 13, 14, 15, 16, 17, 18 juillet, « Les Fêtes Maritimes Internationales » qui, comme chacun le sait, drainent là tous les quatre ans des centaines de navires et d’embarcations de tous types et de toutes tailles et y attirent une foule énorme de badauds appâtés par cet insolite et fascinant spectacle, un public curieux de voir évoluer « en vrai », sur la rade et dans les bassins, tous ces vieux gréements, émouvants témoins de la vieille marine disparue, resurgis comme magiquement d’un passé révolu.
Comme lors des précédentes éditions, notre Taïra, un cotre bermudien de 11, 70 mètres, construit au Havre en 1930, a été invité. Mais nous nous trouvons cette fois-ci « relégués », en compagnie de quelques dizaines d’autres petits yachts, au ponton G, une ligne de pontons mouillée devant le brise-lame qui protège au sud les bassins du port de commerce. On ne trouve là aucune des commodités qu’on s’attendrait à trouver dans un port comme celui qui nous accueille : ni eau, ni électricité, ni sanitaires, ni wifi et, pour aller à terre, on dépend du bon vouloir de navettes aux horaires aléatoires et aux équipages composés de bénévoles certes dévoués mais peu entrainés à la manœuvre. Mais c’est comme ça et il faut bien que nous nous en accommodions, ce que, bon gré mal gré, nous faisons…
Là, où cela ne va plus du tout, c’est ce que l’on prétend nous imposer quand est tiré un feu d’artifice. Ce fut le cas le soir du 14 juillet et aussi celui du 18, jour de clôture des festivités brestoises. Sous prétexte que c’est à partir du brise-lame (soit à quelques dizaines de mètres des pontons où nos bateaux sont amarrés) que sont mises à feu les fusées qui vont illuminer le port, on exige de nous, en vertu d’un arrêté préfectoral (cela, c’est le 14) que nous évacuions nos bateaux ou que nous signions une décharge pour le cas où ceux-ci auraient à subir quelque dommage du fait de la pyrotechnie. Massivement les plaisanciers sollicités refusent de se plier à ces exigences mais, du fait de l’interruption du trafic des navettes, ils se retrouvent éloignés, qu’ils l’aient ou non voulu, de la zone prétendument dangereuse.
C’est ce qui fut notre cas à nous aussi. Nous nous sommes alors retrouvés retenus sur le quai jusqu’à une heure très tardive, dans l’impossibilité, en raison de l’interruption du service de rade, de regagner notre bord. Quand une navette a fini par se présenter, celle-ci a été aussitôt prise d’assaut et c’est, chargée à ras-bord des passagers qui, au mépris de toute sécurité, s’y étaient entassés qu’elle nous a ramenés à nos couchettes vers 1 heure du matin. La malheureuse embarcation était alors tellement en surcharge qu’elle s’enfonçait dans l’eau, laquelle avait envahi le pont où nous nous pressions et venait nous lécher les pieds ! Pour les pyrotechnies, il est vrai moins impressionnantes, des 15, 16, et 17 juillet, aucune mesure particulière ne nous fut imposée.
Aussi, échaudés par la première expérience plutôt calamiteuse du 14, nous décidâmes le soir du 18 juillet de répondre négativement aux nouvelles injonctions d’avoir à abandonner notre bord pendant la durée du feu d’artifice. Nous avons tenté d’expliquer à ceux qui nous mettaient en demeure de le faire que leurs exigences étaient dépourvues de toute cohérence logique et trahissaient même un fonctionnement intellectuel franchement défaillant, entaché d’une absurdité manifeste. En effet, de deux choses l’une. Soit la proximité du ponton et du brise-lame constitue un danger réel pour les bateaux, et dans ce cas il eût été judicieux soit de ne pas mouiller le ponton à cet endroit, soit de ne pas choisir de tirer de là le feu d’artifice. Soit, comme cela semble en fait avéré, il n’y avait pas de véritable danger et alors on ne voit pas pourquoi, sinon par brimade gratuite, on nous imposerait d’évacuer les lieux. De toute façon, il ne devrait pas être difficile de comprendre qu’un propriétaire attaché à son bateau, s’il pense que celui-ci court le moindre risque, préfèrera toujours être à son bord, l’extincteur à portée de la main, pour être à même, si besoin est, de le protéger et d’assurer sa sauvegarde.
Plusieurs de nos voisins de ponton, plus discrets que nous mais dans un semblable état d’esprit, s’étaient enfermés dans leur cabine feignant d’être absents et faisaient la sourde oreille aux ordres d’évacuation. Pour notre part, nous avons eu le tort de penser que nous parviendrions à faire prendre conscience à ceux qui voulaient nous faire dégager, de combien tout cela était déraisonnable et même carrément aberrant. Mais, on refusa d’entendre nos raisons et, après avoir tenté de nous culpabiliser en nous disant qu’à cause de nous, « bande de sales égoïstes », des milliers de gens allaient être privés de leur feu d’artifice, on appela à la rescousse les forces de l’ordre. D’abord des CRS venus sur trois zodiacs, puis une vedette de la gendarmerie maritime. On nous admonesta avec véhémence, on braqua sur nous des projecteurs, on menaça de nous remorquer hors de la zone, puis, devant la difficulté de l’opération, on y renonça et, un haut-parleur retentissant se fit alors entendre qui proclama : « Dernière sommation : par ordre du sous-préfet, le tir va être déclenché ! »
Tout ce remue-ménage un tantinet délirant nous parut sur le moment fort cocasse. Une comédie absurde et ridicule qui nous aurait presque donné envie de rire s’il n’y avait eu, pour satisfaire à l’autoritarisme hors de propos et à l’arbitraire inconséquent du sous-préfet, autant de fonctionnaires mobilisés en vain. Au lieu de nous envoyer tous ces policiers et gendarmes, ce responsable si vigilant n’aurait-il pas été d’ailleurs mieux avisé de mettre à notre disposition une petite équipe de pompiers aptes à sécuriser nos bateaux amarrés au ponton puisque, parait-il, ceux-ci étaient exposés à un risque d’incendie ?
Mais, une fois terminé le feu d’artifice (auquel nous assistâmes de notre cabine, aux premières loges), les gendarmes revinrent sur le ponton avec des consignes de répression émanant, nous dirent-ils, du procureur. Ils voulurent contrôler nos identités. Docilement nous leur présentâmes nos papiers et, avant de nous remettre des convocations pour être entendus à leur bureau du bord de la Penfeld, le matin du 20 juillet, ils nous firent savoir que nous étions « verbalisés » pour « refus d’obtempérer et trouble à l’ordre public ». Après la parade qui nous amena ensuite à Douarnenez avec toute la flotte, nous dûmes trouver une voiture pour revenir à Brest et y être interrogés. Notre audition s’effectua, il faut le reconnaitre, dans des conditions tout à fait correctes et avec beaucoup d’égards de la part des militaires à qui nous eûmes à faire. Nous fûmes écoutés avec beaucoup d’attention et presque, nous a-t-il semblé, de la compréhension…
Voilà, nous sommes maintenant rassurés : la République est bien défendue et les trublions que nous sommes seront, comme ils le méritent, dûment châtiés ! De mauvais esprits pourront cependant se demander si les gendarmes et les policiers n’auraient pas eu mieux à faire pour assurer la sécurité des Français que de harceler des plaisanciers à bon droit récalcitrants, des gens simplement un peu énervés de se voir imposer des mesures de sécurité inutiles et absurdes, et si les sous-préfets ne seraient pas mieux inspirés d’employer les fonctionnaires qui sont à leur disposition à traquer et faire expulser les terroristes islamistes, lesquels aujourd’hui, on le sait bien hélas, s’ingénient par tous les moyens qu’ils peuvent inventer, à massacrer cruellement nos malheureux compatriotes.
Bien sûr, nous avons eu tort de faire un tel esclandre et de procurer ainsi un surcroit de travail aux gendarmes ; mais franchement, quand on considère comment vont les choses aujourd’hui dans notre pays, on est surpris de constater de quelle façon disproportionnée s’effectue le traitement des dangers potentiels : d’un côté les menaces terroristes, pourtant elles bien réelles, laissées sans vraies réponses efficaces, de l’autre des précautions ridicules et qui ne riment à rien sinon à embêter les citoyens paisibles et à leur compliquer inutilement la vie.
André Pouchet et Alain Sandret, le 20 juillet 2016.
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