En tant que patron et actionnaire unique, je n’embaucherai un salarié que si j’ai des raisons objectives de penser de sa contribution aux résultats de ma petite entreprise sera supérieure ou au moins égale à son salaire. Je sais bien que les marxistes appelleront ça de l’exploitation mais je me permets de vous rappeler que, dans cette opération, celui qui prend tous les risques, c’est moi. C’est le principe du capitalisme : celui qui investit ses économies et s’endette même parfois lourdement pour créer son entreprise, c’est le patron. Celui qui devra faire la variable d’ajustement si son salarié est malade, en vacances ou en congé-maternité, c’est le patron. Celui qui devra réduire ses émoluments, ne rien gagner du tout ou même perdre de l’argent si ses affaires périclitent, c’est le patron. Si les bolchéviques veulent éviter d’être exploités, je les invite à créer leurs propres boîtes ; on en reparlera. En attendant, celui qui risque la faillite, celui qui travaillera 60 heures par semaine sans même être sûr de pouvoir se payer, c’est moi. Alors oui, je vous le confirme, je n’embaucherai quelqu’un que si j’ai de bonnes raisons de penser que j’ai quelque chose à y gagner.
Mais je suis un garçon optimiste et, à vrai dire, le simple fait d’avoir quelqu’un avec qui discuter durant mes journées de travail est une perspective qui m’est agréable. Aussi, suis-je prêt à embaucher un salarié pour peu que sa contribution au résultat de mon entreprise rembourse son salaire ; c’est-à-dire que je ne gagnerai rien et, qu’au sens marxiste du terme, je ne l’exploiterai pas. Par exemple, si je rencontre un candidat qui, selon mes estimations, est capable de générer 4 215 euros de bénéfices pour mon entreprise, je suis prêt à le payer 4 215 euros (1).
Un salaire de 4 215 euros, ça peut vous sembler beaucoup mais n’oubliez pas que sur cette somme, je devrai payer 689 euros de charges sociales dites « salariales » et 1 400 euros de charges sociales dites « patronales » : après ces prélèvements obligatoires, la somme que je verserai effectivement sur le compte de mon employé – son salaire net – ne sera plus que de 2 126 euros. Et ce n’est pas fini : sur son salaire net, il devra vraisemblablement s’acquitter de 168 euros d’impôt sur le revenu et d’au moins 125 euros de TVA ce qui fait qu’au total, sur les 4 215 euros que je débourserai chaque mois, il disposera d’un salaire disponible après impôts de 1 833 euros ; le solde, 2 382 euros, 56,5% de son salaire réel, étant ponctionné par l’État. C’est, selon une étude récente de l’Institut Économique Molinari réalisée sur la base de données fournies par Ernst & Young (2), le deuxième taux de fiscalisation le plus élevé de l’Union européenne après la Belgique (59,2%). Avec ces 1 833 euros il devra se loger, s’habiller, se nourrir, payer ses factures et, s’il en reste un peu, il pourra s’offrir quelques loisirs.
Et ça, voyez-vous, c’est déjà un gros problème. C’est un gros problème parce que j’ai beau accepter de ne pas gagner un centime grâce au travail de cet hypothétique salarié, j’ai tout de même besoin d’un type compétent et motivé. Si c’est pour me coltiner un incompétent notoire ou un bonhomme qui n’en fiche pas une et va finir par couler ma boîte, pardon, mais je préfère faire sans. Seulement voilà : à 2 126 euros nets par mois, même pas deux fois le Smic, ça commence à être très juste pour motiver des gens du calibre dont j’ai besoin et ce, d’autant plus que si l’un de mes concurrents anglais avait la même idée que moi, le salaire disponible après impôts de mon employé serait 47% plus élevé outre-manche qu’à Marseille. Autant vous dire que pour un employeur français, la concurrence est rude. Oh ! Bien sûr, me direz-vous, il y a bien des gens qui sont prêts à gagner moins pour le simple plaisir de vivre au bord de la Méditerranée ; je ne vais pas vous dire le contraire : c’est mon cas. Mais il n’en reste pas moins que 2 126 euros nets par mois, dans ma branche, ce n’est pas grand-chose et que ce pas grand-chose peu vite devenir un problème.
Tenez par exemple : imaginez que j’embauche une jeune femme. Naturellement, au sens le plus humain que ce terme puisse avoir, il arrivera fatalement un moment où, aillant rencontré son prince charmant, elle sera titillée par l’envie d’avoir un bébé. Elle sera donc placée devant un choix extrêmement clair : privilégier son métier et continuer à toucher son salaire dont elle sait qu’il n’est pas à la hauteur de ce à quoi elle pourrait prétendre et faire un bébé et continuer à toucher le même salaire avec l’assurance, la loi l’imposant, de retrouver son poste à la fin de son congé-maternité. Que croyez-vous qu’elle fera ? Eh bien, voyez-vous, pour moi ça signifie que, pendant toute la durée de sa grossesse, non seulement elle ne rapportera pas un centime à l’entreprise mais elle coûtera 4 215 euros par mois qui viendront en déduction de ma rémunération ; c’est-à-dire des vacances que je peux offrir à mes enfants, des cadeaux que j’aimerai faire à ma femme et si ça se trouve de ma capacité à payer mon loyer. Voilà pourquoi je n’embaucherai certainement pas une jeune femme. Croyez bien que le regrette mais je ne suis pas riche à ce point.
Soyons optimistes et imaginons que je décide, finalement, d’embaucher un homme ou une femme d’âge mûr qui partage mon amour immodéré pour la citée phocéenne. Même dans ce cas, mes problèmes sont loin d’être réglés puisque ma capacité à payer un salaire de 4 215 euros par mois est intimement liée au chiffre d’affaires que réalise ma société. Je dois à ce stade vous préciser que mon métier, l’activité de ma petite entreprise, consiste à gérer un portefeuille d’actions. Vous en conviendrez, il y a, de nos jours, des métiers qui bénéficient d’une meilleure publicité que le mien et c’est justement là que se niche la difficulté dont je veux vous entretenir maintenant. Je vous expliquais plus haut pourquoi être le patron de sa petite entreprise est un métier risqué : une des principales sources de risque tient au fait que vos revenus ne sont pas garantis, ils fluctuent en fonction de la marche de vos affaires et peuvent même, en période de vaches maigres, se transformer en pertes. De toute évidence, lorsque vous êtes de surcroît un employeur, c’est-à-dire que vous devez dans mon exemple payer vos 4 215 euros chaque mois, le risque n’en est que plus grand.
Or voilà, mon métier consistant à gérer l’argent des autres, la bonne marche de mes affaires est naturellement conditionnée par l’existence de clients potentiels ; c’est-à-dire de gens qui disposent d’un patrimoine financier ; c’est-à-dire – pour reprendre la terminologie officielle – de riches. C’est aussi simple que cela : sans riches, mon entreprise n’existe plus et du coup, elle ne risque pas d’embaucher. Je vais donc faire appel à votre intelligence et à votre bon sens : si vous étiez à ma place, lorsque le président de votre pays décrète que vous êtes son ennemi, qu’il va taxer les riches au bazooka et poursuivre ceux qui tentent de fuir à l’étranger, qu’il va taxer les marchés financiers, en remettre une couche sur les entreprises en général et sur celles qui payent des dividendes en particuliers, qu’il se pique de donner des leçons de stratégie industrielle alors que lui-même n’a jamais rien réussi d’autre que de ruiner le département dont il avait la charge… Vous embaucheriez vous ? Eh bien laissez-moi vous le dire, à moins que vous ne soyez un des très riches amis dudit président ou totalement fou : il n’y a pas la moindre chance. Voilà pourquoi, et croyez bien que j’en suis sincèrement désolé, je n’embaucherai pas.
De toute manière et pour être parfaitement honnête, j’ai un aveu à vous faire : ma petite entreprise n’existe pas. Ce n’est pas que je n’ai pas envie ni que je doute de mes capacités mais plutôt que les coûts règlementaires qui pèsent sur la création d’une entreprise dans mon secteur ne me permettent tout simplement pas de le faire. Nous pourrions passer encore quelques heures ensemble – le temps que je vous décrive par le menu ce à quoi ressemble vraiment cette soi-disant « dérégulation de la finance » – mais je me contenterai d’un seul exemple qui, je le crois, fixera bien les idées. Figurez-vous que, pour exercer mon métier en France, je dois au préalable obtenir un agrément, une autorisation administrative. Comme toute autorisation administrative, son obtention nécessite de longues et laborieuses négociations avec l’autorité de tutelle présumée compétente mais surtout, avant même d’entamer ce long chemin de croix, la règlementation m’impose d’avoir embauché non pas un mais deux salariés. C’est-à-dire que pendant environ six mois, sans même savoir si j’obtiendrai le droit de travailler, je dois être en mesure de financer deux emplois au tarif évoqué plus haut. Je vous fais un dessin ?
Voilà où nous en sommes les amis. Si vous faites partie de celles et ceux qui pensent que notre salut passera par plus de dépense publique, plus d’impôts et plus de réglementations sachez au moins qu’au rythme où vont les choses, il faudra bientôt prévoir un peu de la première pour que ma famille subsiste, ne pas trop compter sur moi pour les seconds et ne pas perdre de temps sur les dernières : il n’y aura plus grand-chose à réguler. Lorsque vous-même ou l’un de vos enfants chercherez du travail dans le champ de ruines que nous préparent nos bons politiciens, vous aurez peut-être une petite pensée pour moi et pour ce job à 4 215 euros par mois que j’aurais pu vous offrir. D’ici là, bonne chance à toutes et à tous.
> le blog de Georges Kaplan
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1. Je vous fais grâce des mètres carrés, du bureau, du matériel informatique, des frais téléphoniques, de l’éventuel surcoût que représente une embauche auprès de mon comptable, etc..
2. Cécile Philippe, Nicolas Marques et James Rogers, Fardeau social et fiscal de l’employé lambda au sein de l’UE ‐ 2012 ‐ 3ème édition (juillet 2012).
Lire aussi :
> Après l’aberration fiscale, la libération fiscale !
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