Alors que le texte de synthèse de la Loi Renseignement issu des travaux de la commission mixte paritaire va être approuvé par les Assemblées, un boomerang est arrivé dans notre presse nationale en provenance de WikiLeaks, fondé par l’Australien Julian Assange. Devant la montée du terrorisme, la sécurité réclame des moyens accrus de surveillance. Parce que certains individus dangereux menacent l’ordre public et la vie de l’immense majorité des habitants paisibles de notre pays, ces derniers vont voir écorner la protection de leur vie privée, au hasard par exemple d’un échange téléphonique trop proche d’une grande oreille. On se souvient que, dans des conditions scandaleuses, M. Mitterrand avait déjà fait écouter un certain nombre de personnalités auxquelles il s’intéressait. C’était le fait du Prince, ce sera désormais le droit de l’Etat. Mais le jour même, on apprend que notre Etat lui aussi est écouté, au plus haut niveau, et que nos Présidents ne peuvent rien cacher à leur collègue de la Maison Blanche, régulièrement informé par l’énorme machine de la NSA. Une « grande oreille » particulièrement indiscrète est perchée entre la Place de la Concorde et la rue du Faubourg Saint-Honoré. On n’a pas idée de mettre les ambassades de nos « amis » à deux pas de l’Elysée, alors que le Premier Ministre est de l’autre côté de la Seine.
L’émoi est considérable. Le Conseil de Défense va se réunir. Des cris d’orfraie jaillissent pour stigmatiser ces mauvais comportements, inconvenants entre amis de longue date. Obama a beau dire qu’il n’écoute plus depuis 2012, lorsqu’il a bien vu que Hollande renonçait à toute forme d’indépendance, rien n’y fait. L’indignation morale est à son comble. Quelle farce ! Il y a deux ans déjà, les révélations d’Edouard Snowden, renégat ou repenti de la CIA et de la NSA, avait révélé qu’entre 2007 et 2011, les sites de Microsoft, Google, Yahoo, Facebook, Youtube, Skype, Aol et Apple avaient été intégrés à Prism, un programme secret de la NSA, qui en possède d’ailleurs d’autres, comme Xkeyscore ou Boundless Informant. C’est ainsi que tous les usagers de l’opérateur Verizon avaient pu être espionnés. La saisie des métadonnées des appels téléphoniques est évidemment une intrusion inacceptable dans la vie privée. La très superflue Commission Européenne avait avec gravité dit son mécontentement et demandé un engagement clair de la part des Etats-Unis quant au respect du droit fondamental de tous les citoyens européens à la protection de leurs données personnelles. Cécilia Malmström et Viviane Reding allaient sonner les cloches de leurs homologues américains. Non mais !
Scandale dans le scandale, Mme Merkel était aussi écoutée par la NSA. C’était d’autant plus choquant que l’Allemagne ne peut rien refuser aux Américains et n’ose même pas se plaindre trop bruyamment. D’ailleurs, on apprenait plus récemment que le BND, le service secret d’Outre-Rhin jouait les prestataires de service au profit de Washington et fournissait complaisamment des informations sur ce qui se passait dans les couloirs et les bureaux de Bruxelles et des capitales amies, également sur certaines entreprises comme EADS, le concurrent de Boeing. La victime devenait complice. L’espionnage politique en défense des intérêts légitimes des Etats souverains glissait subrepticement vers l’intelligence économique et ses objectifs plus troubles.
Tandis que Julian Assange vit à l’ambassade équatorienne de Londres et Edouard Snowden en Russie, sous la protection de pays qui n’ont pas de raison de vouloir du bien aux USA, leur combat pour la transparence et la défense des libertés personnelles ressemble à une aventure de Don Quichotte. Le vieux duel entre la liberté et la sécurité continue. Chaque jour qui passe souligne l’impuissance des démocraties à réduire la montée de la violence islamiste. Plus un homme au sol. Moins de dépenses militaires, surtout en Europe. Les pays qui connaissent le privilège d’être réveillés le matin par le laitier et non par la police politique ou des moeurs, ont-ils la volonté de se défendre ? L’indépendance nationale est la première des libertés. Elle a disparu de l’Europe, condamnée à vivre sous un bouclier américain dont elle aurait pu se passer après 1990, et entraînée à suivre les USA et leur politique irresponsable au Moyen-Orient comme en Ukraine. Alors, de quoi se plaint-on ? La faiblesse du combat mené contre l’ennemi contraint de privilégier les moyens techniques de la surveillance plutôt que de faire la guerre. L’ennui, c’est que, si la guerre se fait contre l’ennemi, la surveillance s’exerce aussi entre amis et même au détriment de la liberté des citoyens.
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