Il y a une certaine ressemblance entre Macron et Sarkozy. Ce dernier voulait siphonner le Front National. Le locataire actuel de l’Elysée nourrit la même intention, à l’encontre cette fois du parti de Sarkozy, « Les Républicains », et « en même temps », il nous refait le coup du grand groupe central de Giscard d’Estaing. Sous cette double apparence, se cache toutefois la direction de la manoeuvre : Giscard était entouré de lieutenants souvent plus à droite que les gaullistes, et se recentrait tactiquement, dans la symbolique plus que dans la réalité ; Sarkozy conseillé par Buisson avait, l’espace d’une campagne, fait basculer l’UMP à droite ; Macron vient de la gauche, est entouré de socialistes comme Castaner, Ferrand ou Grivaux, et de tous ceux qui, montés sur le radeau de sauvetage qu’il avait lancé après le naufrage de Hollande, ont survécu à la tempête. Sur 308 députés LREM, 126 étaient membres d’un parti de gauche, dont 83 socialistes. Ce premier point doit être souligné : l’ancien conseiller et ministre de François Hollande a d’abord permis à la gauche d’échapper en grande partie au laminage justifié par son dernier passage catastrophique au pouvoir, et cela en éliminant de nombreux députés LR, qui eux, étaient vraiment de droite, comme Mariani, Meunier, Myard, ou Geoffroy, un élu exemplaire.
La stratégie d’Emmanuel Macron vise d’abord à cacher cette réalité pour fidéliser les électeurs de droite qui l’ont déjà préféré à Marine Le Pen, puis à en gagner d’autres. Elle utilise trois moyens principaux. Le premier consiste à assommer le public en ne lui laissant aucun répit, en ne lui permettant aucune pause pour réfléchir. Chaque jour, une nouvelle réforme est annoncée, une nouvelle intervention présidentielle est diffusée, une nouvelle action gouvernementale est claironnée. On pourrait imaginer dans une démocratie authentique que les trois se concentrent sur le même sujet afin d’en faire comprendre l’importance, de faire naître un vrai débat et de convaincre l’opinion. C’est exactement le contraire : tout se bouscule, entre réforme universitaire, transformation de la SNCF, loi sur l’asile et l’immigration, et présence renforcée sur la scène internationale. Dans ce nuage de fumée, les citoyens n’ont guère la possibilité de voir clair. Alors, ils jugent d’après quelques traits saillants de l’information qui émergent du brouillard organisé, et c’est le second moyen : l’opposition est à gauche. La CGT conduit une grève aussi dérangeante que superflue à la SNCF, des gauchistes vandalisent Tolbiac, des débordements de plus en plus violents se produisent en marge des manifestations de moins en moins nombreuses, et ils sont provoqués par l’extrême-gauche. A l’Assemblée, l’opposition « frontale » est constituée par les Insoumis de Mélenchon, en désaccord sur tout, sur l’immigration comme sur la SNCF. Même la gauche macroniste flotte sur une gestion de l’immigration qui serait, d’après eux, inhumaine. La conclusion s’impose : puisque la gauche est l’ennemie de Macron, c’est qu’il n’est pas à gauche, et qu’il serait même un peu à droite. Troisième moyen : lorsque les Gendarmes interviennent contre les « zadistes » de Notre-Dame-des-Landes, l’électeur de droite identifie le pouvoir à l’ordre qu’il souhaite. Il fait alors un bilan sommaire : voilà un gouvernement qui entreprend des réformes nécessaires, que ceux pour qui j’ai voté n’ont jamais osé mettre en oeuvre, un président qui est en butte à la hargne de la gauche, et qui restaure l’ordre. Qui dit mieux ? D’une certaine manière, le Président qui voulait commémorer 1968, y parvient, puisqu’il reconstitue en petit la chienlit. Les électeurs de droite vont être satisfaits, comme en Juin 1968, d’en être délivrés. S’il n’y a pas convergence des luttes, coagulation des mécontentements, il peut y avoir réunion des soulagements, unité des conformismes. En bon spécialiste des affaires financières, l’ancien banquier associé est en train d’opérer une OPA sur la droite la plus bête du monde. Confusion, désignation de l’ennemi, conversion en sont les trois temps.
Evidemment, cette conquête de la droite n’est pas le seul axe de la stratégie. C’est l’offensive qui n’exclut pas de consolider le terrain conquis, celui qu’a défini la sociologie plus que la politique. Les ouvriers, dont le poids électoral diminue ont pour beaucoup quitté la gauche pour l’extrême-droite. La base électorale du macronisme est constituée par les habitants des métropoles, « bobos » adeptes du « bougisme », heureux bénéficiaires de la mondialisation, qui voient les choses d’en-haut, souhaitent le progrès comme la fin de tout enracinement. En Marche a fait de la fuite en avant un dogme. L’horizon de la France est l’Europe contre le nationalisme. Celui de la démocratie le pouvoir des technocrates contre le populisme. Celui de la politique le progrès sous toutes ses formes contre le conservatisme. Celui de l’économie, le règne de la finance, de l’argent qui roule de la consommation à la spéculation, contre le travail de production et l’épargne de précaution. Il est toujours tentant pour les hauts fonctionnaires sûrs de leur emploi à vie d’essayer le risque rémunérateur par moments et avec parachute doré, et de le proclamer vertu cardinale pour tous ceux qui le prennent vraiment et sans parachute. Mais, tout cela n’a rien à voir avec la droite ! (à suivre)