« C’était un désespéré. On le comprend, il avait prévu l’avenir ». C’est ainsi que de Gaulle jugeait Chateaubriand qu’il aimait au point de s’identifier à lui par ce pessimisme néanmoins actif face à un futur désespérant. Le premier avait connu la chute irrémédiable de la monarchie légitime, le second le désastre militaire et politique le plus complet de l’histoire de France. L’un comme l’autre ont lutté avec intelligence contre la pente néfaste qu’ils avaient perçue, et ils l’ont fait avec l’orgueil présent chez tous ceux qui aiment la liberté. Un regard lucide sur l’avenir du monde et de notre pays nous ramène à cet état d’esprit.
La France recule dans une Europe qui s’efface dans un monde qui se déchire. Voilà un tableau qui n’est guère propre à soulever l’enthousiasme. Et pourtant, il faut en prendre conscience, et lutter contre le confort et la facilité qui consistent à embellir la réalité et à suivre le courant. Alors, faisons d’abord un effort de lucidité : notre gouvernement vient de vendre une partie de ses bijoux de famille avec 52 % de la Française des Jeux. L’Etat préfère se priver de revenus sûrs pour limiter son déficit budgétaire et sa dette. Bien sûr, il conservera les rentrées fiscales liées à l’activité, mais le poids de la fiscalité s’inscrit malheureusement au tableau négatif de notre pays. En 2019, la France a le déficit public le plus élevé de tous les pays de la zone euro, ce qui n’était jamais arrivé (3,1% du PIB contre 0,8% en moyenne). La dette publique française passerait selon la Commission européenne de 98,9% du PIB cette année à 99,2% en 2021. De 2017 à 2021, la dette française aura donc encore augmenté de 0,8 point alors que l’objectif du gouvernement était initialement de la réduire de 5 points sur le quinquennat. En dehors de l’Italie, tous nos voisins se seront désendettés sur cette période. Selon Eurostat, le taux de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales nettes) a atteint 48,4% du PIB en 2018, en hausse par rapport à 2016 (47,6%). Championne incontestable, la France réussit pour la quatrième année consécutive à devancer tous les pays de l’UE, ainsi que la Suisse, la Norvège et l’Islande. En 2019, notre pays a seulement la 24e croissance sur les 28 pays de l’Union européenne et le 4e taux de chômage le plus élevé de l’Union européenne. Le chômage a certes baissé de 0,9 point en deux ans, mais nettement moins vite que la moyenne européenne (- 1,4 point de 2017 à 2019).
Les illusions, caressées par cette caste typiquement française d’oligarques formés pour servir l’Etat et qui ruinent des entreprises, se succèdent sur le champ de mines de la réalité : on voulait des entreprises sans usines, c’est gagné. Elles ferment les unes après les autres. Peut-on espérer garder des bureaux d’études et des sièges quand les ateliers sont délocalisés, quand les grands groupes passent sous pavillon étranger, quand l’idéologie qui règne à l’école ignore l’usine quand elle ne la méprise pas. Alcatel, Alstom, Arcelor, Lafarge, Péchiney, Technip, etc… mais aussi de prestigieux fleurons de cette excellence française qu’est le luxe devenus chinois comme Baccarat ou Lanvin jalonnent notre déforestation industrielle qui se traduit par des pertes d’emplois. Ainsi dès le 28 mai, le géant américain General Electrics, qui s’était engagé à conserver les emplois de la branche énergie et à créer au moins 1.000 postes pendant trois ans, annonçait la suppression de 1044 postes en France. Le même jour, le repreneur de l’usine Whirlpool à Amiens annonçait le placement du site en redressement judiciaire, mettant en péril le travail de 167 personnes. La fermeture de l’usine Ford à Blanquefort ou le devenir incertain des salariés d’Ascoval à Saint-Saulve viennent assombrir la liste.
De la cession irresponsable d’Alstom aux reprises hasardeuses, le chef de l’Etat a directement participé à cette Bérézina, mais jamais à court de paroles, il annonce une « start-up nation ». Certes, les investissement étrangers en France connaissent une embellie, le nombre d’entreprises créées atteint un record, 17% de plus en 2018 qu’en 2017. Mais, ce sont les micro-entrepreneurs (+28%), d’une part, et les entreprises de transport et d’entreposage (+68%) qui augmentent le plus. Quant aux investissements étrangers ils visent notamment des secteurs où les transferts de compétence sont tentants. La fiscalité française encourage la recherche mais décourage l’implantation des sièges, c’est-à-dire des lieux de décision. Les investissements français à l’étranger sont plus importants qu’en sens inverse : ils concernent des groupes de grande taille qui en tirent des revenus supérieurs au déficit de notre commerce extérieur. Dans cette comparaison se situe le noeud du problème : la « France » emploie plus de salariés à l’étranger que l’Allemagne, et elle connaît un déficit commercial croissant (-5,2 milliards d’euros en septembre contre -4,8 milliards au second trimestre). La France a choisi le chômage, et ce n’est pas la numérisation de l’économie qui va le réduire.