J’ai été un tantinet abasourdi à la lecture de l’article de « Minute » relayé par le Salon Beige à propos de la désignation du duc d’Anjou à la présidence d’honneur de la fondation Franco.
L’article lui-même présente assez honnêtement les faits. Bien sûr, les puristes (dont je suis) peuvent « tiquer » à l’utilisation systématique des prénoms du Prince en espagnol, alors qu’il est le chef de la maison de Bourbon (que l’on appelle, dans l’ancien droit monarchique français, la maison de France), et que l’usage voudrait donc qu’on le désigne en français. De même que je n’aime guère le terme de « prétendant » qui caractérise mal l’intéressé. A la fois pour de bonnes et pour de mauvaises raisons d’ailleurs. Pour de bonnes raisons, car, étant le chef de la maison de Bourbon, ses droits sont fixés selon les lois fondamentales de l’Ancien Régime français et il n’a pas à « prétendre » à quoi que ce soit (son père, le regretté prince Alphonse, disait souvent : « Je ne prétends à rien, je suis. »). Et aussi pour de mauvaises raisons, puisque le duc d’Anjou fait malheureusement assez peu valoir ses droits dans le débat public français.
Il n’importe, globalement, l’article explique bien qu’aîné des descendants de Louis XIV, Louis de Bourbon est aussi l’arrière-petit-fils de Franco et évoque de façon claire et objective la situation de la fondation Franco, suite au décès de la fille de l’ancien chef d’Etat, la marquise de Villaverde, et suite aussi à l’arrivée au pouvoir à Madrid d’une gauche revancharde prête à rejouer la guerre civile, en commençant par déterrer Franco.
Mais, à la fin de l’article, on trouve cet étrange paragraphe :
Cette situation laisse toutefois perplexes un certain nombre de partisans français de Louis Alphonse regroupés au sein de l’Institut de la Maison de Bourbon. C’est ce que nous a confirmé sous couvert d’anonymat l’un des membres influents de cette association historique qui abrite de fait le secrétariat de celui qui est vu, sur le versant septentrional des Pyrénées, comme l’un des deux principaux prétendants au trône de France avec le comte de Paris : « C’est en effet embarrassant, car d’un côté cela accrédite l’idée que le prince n’a pas choisi entre l’Espagne et la France, et, d’un autre côté, il sera plus difficile de faire inviter Son Altesse Royale par des municipalités si elles découvrent qu’il est président d’honneur de la Fondation Franco, le dictateur ayant une mauvaise image en France. »
J’ignore naturellement qui est cet influent membre de l’Institut de la Maison de Bourbon qui s’exprime, mais il me semble être un bien curieux « partisan de Louis Alphonse ». D’abord, si l’on est légitimiste, on ne dit pas « Son Altesse Royale » en parlant du roi de droit. Sont altesses royales tous les princes de la maison de France ; leur chef est au-dessus de cette appellation. Que le protocole républicain ou celui de Madrid utilisent l’expression est sans doute compréhensible ; mais, pour nous, c’est franchement contestable.
Mais l’analyse pseudo-politique me semble plus grave. Dire que l’acceptation de la présidence d’honneur de la fondation Franco accrédite l’idée que le Prince n’a pas choisi entre la France et l’Espagne est absurde. Le Prince habite à Madrid, c’est un fait que je regrette comme beaucoup d’autres, mais il ne sert à rien de faire comme s’il était autant Français qu’Espagnol. Au demeurant, je vois mal de quel droit nous le sommerions de choisir entre la France et l’Espagne. Je ne suis pas son confesseur et j’ai une idée imprécise de ses devoirs, mais il me semble qu’il se doit à l’ensemble de ses héritages (du moins ses héritages compatibles avec la mission qu’il a reçue de sa naissance, ce qui exclut l’essentiel de la tradition maçonnique et libérale de la monarchie élisabethaine). Or, il n’est pas seulement héritier de Louis XIV, mais aussi de Philippe V, des rois carlistes, et effectivement de Francisco Franco. Que tous ces héritages soient assez difficiles à concilier me semble une évidence. Selon moi, le critère d’appréciation devrait être la pensée politique du comte de Chambord, dans laquelle le meilleur de la pensée des rois d’Ancien Régime, de France comme d’Espagne, le meilleur du carlisme, et le meilleur du movimiento franquiste peuvent trouver leur place – la démocratie organique franquiste, les fueros carlistes et nos vieilles libertés provinciales et corporatives pourraient, en particulier, assez joliment s’harmoniser. Mais, en toute hypothèse, ce n’est pas aux légitimistes d’imposer un impossible choix. Si le Prince habitait en France, il n’en serait pas moins obligé de suivre l’actualité espagnole, comme, habitant à Madrid, son devoir de chef de la maison de France lui impose de suivre ce qui se passe de ce côté des Pyrénées.
Toutefois, le plus extravagant, pour moi, réside dans l’appréciation délirante du général Franco. Parler, sans autre précision, de « dictateur », c’est tout simplement relayer la propagande la plus éculée du Komintern. On peut critiquer tel ou tel point de l’action politique du caudillo – je l’ai fait en d’autres temps et je ne le regrette pas, car rien, en ce bas-monde, n’est exempt de critique –, mais on ne peut ignorer que ce grand chef d’Etat a sauvé deux fois l’Europe, et la France en particulier, du totalitarisme : une première fois en battant militairement les forces communistes (ce qu’il fut le seul à réussir), une seconde fois en refusant de rejoindre les forces de l’Axe et en gardant ainsi, en particulier, Gibraltar hors de l’atteinte des nationaux-socialistes allemands. Ajoutons qu’il est une bien curieuse espèce de dictateur, celui qui prépare plus d’un quart de siècle avant son départ la remise du pouvoir à d’autres que lui. Ou, plus précisément, il peut être dit dictateur, mais au sens classique, latin, du mot – au sens élogieux du mot : il s’agit d’un homme qui a effectivement réuni l’ensemble des pouvoirs dans sa main pour sauver sa patrie et qui a ensuite préparé le retour à une vie politique normale, comme, en son temps, Cincinnatus.
Pour ma part, je fais partie de ces Français qui, non seulement ne sont pas effrayés d’apprendre que le duc d’Anjou a accepté la présidence d’honneur de la fondation Franco, mais se réjouissent au contraire qu’un homme qui, par sa naissance, est lié d’aussi près au destin de notre malheureuse patrie soit, face à une gauche espagnole sectaire, dont le passe-temps préféré semble être, comme en 1936, de déterrer les cadavres (en attendant sans doute de violer des religieuses ou torturer des prêtres), le défenseur de la paix civile, du respect dû aux morts, des rudiments de la civilisation en un mot. Il est d’ailleurs remarquable que la gauche internationale, qui exige si bruyamment l’exhumation de Franco, « oublie » si opportunément que la « charogne de Lénine », comme disait Soljénitsyne, est toujours honorée dans son mausolée de la place Rouge – Lénine qui fit tout de même un peu plus de morts que Franco !
Je gage, en tout cas, que ce beau combat pour maintenir son aïeul à la Valle de los Caïdos, et pour y maintenir les moines qui depuis bientôt 80 ans y prient quotidiennement pour les victimes de la guerre civile, attirera au duc d’Anjou plus de sympathies que de détestations parmi les Français attachés à la civilisation chrétienne.
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