Pour les anciens, le péché le plus grave, la faute suprême, celle dont s’étaient rendus coupables les Ajax, Agamemnon ou Œdipe, c’était l’hybris (ou hubris), c’est-à-dire la « démesure », l’excès d’orgueil, lequel, chez ces personnages mythiques, se manifestait par une outrancière prétention, une arrogance insupportable dans leurs agissements et leurs postures. Ce péché – ce sont les maîtres de la tragédie antique qui, de la façon la plus éclatante, à travers leurs œuvres si mémorables, ont tenu à nous le montrer – les dieux outragés se chargeaient tôt ou tard de le châtier. Pour cela, afin de mieux mener ces héros, aussi imprudents que téméraires, ces héros bien trop facilement et bien trop vite convaincus de leur supériorité sur le commun des mortels à leur perte, les dieux s’ingéniaient à les aveugler…
Bien que je n’aie pas voté pour Emmanuel Macron et que l’on ne puisse en rien me reprocher d’être responsable de son accession au pouvoir, j’ai comme beaucoup – je l’avoue – été impressionné par l’intelligence et l’habileté dont, avant et après son élection, celui-ci a su faire preuve pour mener sa barque. Comment celui que l’on accusait volontiers de n’être que « le fils de Hollande », la simple créature et le continuateur naturel du plus lamentable président qu’ait connu la Vème République, a pris soin de se démarquer systématiquement de son tuteur au point d’apparaître bientôt aux yeux de tous, dans tous ses actes de président élu, comme un anti-Hollande.
Mais, avec l’épisode de la démission du Général de Villiers, l’habileté et l’apparente maîtrise manifestée jusqu’ici par notre jeune prodige viennent d’être prises en défaut de façon spectaculaire. Ce que tout le monde a pu en effet constater, c’est qu’en cette affaire le Président Macron a triplement failli.
Primo, en diminuant de 850 millions d’euros le budget de la défense, alors qu’il s’était au contraire engagé à l’augmenter de façon à ce que nos armées, sollicitées à la limite du raisonnable aussi bien sur les théâtres extérieurs que sur le plan intérieur, puissent effectuer leurs missions dans des conditions décentes, il a manqué gravement à sa parole.
Secundo, en osant reprocher au Chef d’État-major des Armées de s’être exprimé avec franchise devant les membres de la commission de la défense de l’Assemblée Nationale qui l’interrogeaient, il a remis en question un principe fondamental de notre république, celui de la séparation des pouvoirs cher à Montesquieu, lequel implique que soient respectées par le Pouvoir Exécutif les prérogatives depuis toujours reconnues au Pouvoir Législatif ; parmi celles-ci le droit de recueillir, auprès des responsables exerçant dans tous les domaines de l’action publique, des données objectives, une information précise et sincère sur la situation du pays.
Tertio, en se permettant, publiquement devant ses subordonnées, de rabrouer comme un gamin un vieux soldat, visiblement respecté de tous et perçu par tous comme le défenseur intransigeant, non pas des seuls intérêts corporatistes du personnel militaire, mais de celui, plus essentiel pour la sauvegarde de la nation, de la préservation d’un outil de défense efficace, il s’est révélé comme un petit roquet mesquin, cédant à un autoritarisme ridicule : « C’est moi que je suis le chef devant qui tous, obséquieusement et sans discussion, doivent humblement s’incliner! » Ce n’est pas parce que la Constitution fait de lui « le Chef des Armées » en titre, qu’il doive aller s’imaginer, se laissant abuser par ce qui n’est en fait qu’une simple formule verbale, qu’en un tel domaine il pourrait tout se permettre.
Après un premier forfait d’importance, celui ayant consisté (c’était avant son élection) à aller en Algérie déclarer, à seule fin de complaire à la clique peu reluisante de Bouteflika (celle qui opprime sans vergogne un peuple algérien auquel elle a confisqué le pouvoir), que la France se serait rendu coupable par la colonisation de « crimes contre l’humanité », un voici donc un second… Qu’il se méfie le petit Macron : ce n’est pas parce que son nom en grec signifie « grand » qu’il pourra toujours échapper à la sévérité implacable et jalouse des puissances éternelles. Il ne l’emportera pas en paradis et, tôt ou tard, les dieux si vigilants sauront rattraper cet impudent pour le rappeler à l’ordre et le punir sans pitié de son immodestie et de son outrecuidance… Il nous sera alors loisible de le rebaptiser Micron ! Qu’il n’oublie pas que, comme aimait à le rappeler Montaigne, « Le plus grand roi de la terre n’est jamais assis que sur son cul ! ». A bon entendeur, salut !
André Pouchet, le 22 juillet 2017
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