Le protectionnisme, un secteur en plein boom !

Si l’économie va mal, il y a un domaine qui va bien, c’est le protectionnisme. C’est d’autant plus désolant, que, comme nous l’avions montré il y a peu, les échanges internationaux sortent les pays de la pauvreté. La Nouvelle Lettre du 15 juin avait déjà tiré le signal d’alarme à propos de la guerre commerciale entre l’Union européenne et la Chine, puis la France a contraint ses partenaires à mettre en avant l’exception culturelle dans les relations entre l’Europe et les États-Unis (Jacques Garello lui a consacré son éditorial du 22 juin). Au-delà de ces exemples, on voit fleurir partout les innovations protectionnistes. Ce n’est pas une bonne nouvelle : le nationalisme économique est un facteur de tension, voire de guerre.

Le libre-échange, porteur de concurrence et de paix

Il est habituel d’expliquer les bienfaits du libre échange par l’idée de Ricardo : la division internationale du travail. Le monde entier s’organiserait comme un vaste atelier au sein duquel chaque pays se spécialiserait dans l’activité pour laquelle il aurait « l’avantage comparatif » le plus élevé. Les parfums et la haute couture seraient l’apanage de la France, les voitures celui de l’Allemagne, les ordinateurs celui du Japon, les avions celui des États Unis, etc. Ces exemples démontrent l’insanité de la thèse, les deux tiers des échanges extérieurs sont « croisés » (ou intra-sectoriels), pratiqués entre pays produisant les mêmes biens et services : voitures allemandes importés par des Français et réciproquement. Cette erreur d’analyse conduit malheureusement à des conclusions dangereuses : le libre échange condamnerait un pays à renoncer à des pans entiers de son activité (par exemple, l’agriculture française serait condamnée). Elle conduit aussi à penser que le commerce extérieur est une affaire d’État, alors qu’il est naturellement échange entre individus, agents économiques consommateurs et producteurs, sans considération de leur nationalité.

“Le vrai sens du libre échange est d’élargir l’espace des échanges, le nombre et la diversité des échangistes, et de permettre ainsi une concurrence plus féconde.”

Le vrai sens du libre échange est d’élargir l’espace des échanges, le nombre et la diversité des échangistes, et de permettre ainsi une concurrence plus féconde. La concurrence est un puissant stimulant pour les entreprises en les poussant à s’adapter, à découvrir de nouveaux produits, de nouveaux marchés, de nouvelles techniques, etc. Mais aussi, comme l’expliquait Frédéric Bastiat, puisque l’économie doit toujours être regardée du point de vue des consommateurs, le libre-échange leur offre des produits plus diversifiés et moins coûteux : il accroît le pouvoir d’achat, ce qui explique que l’ouverture au libre échange a permis à des milliards d’individus de continents entiers d’ échapper à la misère.

Le « doux commerce », comme disait Montesquieu, est un facteur de paix : pour échanger, pas besoin d’être d’accord sur tout ; des peuples qui se sont durablement opposés, s’ils se mettent d’accord sur les règles du jeu, vont tisser des liens économiques qui rendront la guerre quasi-impossible. C’est ce qu’avait compris Napoléon III, lorsqu’il a signé sous l’influence de Cobden et de Michel Chevalier le traité de commerce avec l’Angleterre ; c’est ce qu’avaient compris les pères fondateurs de l’Europe, Gasperi, Schuman et Adenauer : c’est la liberté économique qui a ramené la paix sur notre continent et les liens culturels et amicaux sont venus après les échanges commerciaux. En sens inverse, le nationalisme économique a joué un rôle, aux côtés du nationalisme politique, dans l’enchaînement fatal qui a suivi la crise de 1929.

Protectionnisme monétaire

Si nous ne sommes pas en 1929, nous pouvons cependant être inquiets des signes de protectionnisme. Il y a le protectionnisme monétaire : nous sommes théoriquement en changes flottants, mais ce flottement est impur et les banques centrales ne se privent pas d’intervenir pour manipuler leurs monnaies, par les taux d’intérêt ou une intervention directe. Les Chinois, dont le yuan n’est pas convertible, sous-estiment volontairement la valeur de leur monnaie, les Japonais font tout pour que le yen perde de la valeur, les Américains font de même avec le dollar : chacun pousse aux « dévaluations compétitives », terme impropre, mais qui dit bien que l’on cherche à regagner par la manipulation des monnaies ce que l’on a perdu en compétitivité. Que de plaidoiries entendues sur les dégâts de l’« euro fort » qui, visiblement, n’a pas freiné les exportations allemandes !

“C’est la liberté économique qui a ramené la paix sur notre continent et les liens culturels et amicaux sont venus après les échanges commerciaux.”

Protectionnisme tarifaire

La forme habituelle du protectionnisme, en dehors des contingentements qui ont largement disparu, c’est d’enchérir artificiellement les prix des produits importés par des droits de douane. Les mercantilistes utilisaient le procédé, aux XVIe et XVIIe siècles, et le protectionnisme de l’entre-deux guerres reposait largement sur ce principe. En 1947, les droits de douane étaient en moyenne supérieurs à 40% et c’est grâce aux négociations du Gatt puis de l’OMC qu’ils ont été réduits, tombant autour de 5%, mais pas supprimés, surtout dans certains secteurs. Le blocage du cycle de Doha est un signe des résistances qui existent dans ce domaine.

Un autre signe est fourni par les « exceptions » : nous sommes pour le libre-échange, certes, mais pas partout. La France a convaincu ses partenaires de la nécessité d’une exception culturelle, qui n’aura pour effet que d’affaiblir encore plus ce secteur, déjà rendu fragile par les subventions. Chacun veut son exception. Les agriculteurs de la FNSEA défendent « l’exception agricole française ». Lors du salon « Vinexpo », le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a expliqué que « le vin n’est pas un produit comme les autres ».

Le problème n’est pas spécifiquement français, et chacun est tenté de voir dans ses « spécialités » une exception qui doit échapper au libre-échange. D’exception en exception, on entre dans une logique mortifère de sanctions successives : on met un embargo contre les importations de panneaux solaires fabriqués en Chine, les Chinois ripostent à propos du vin français ou des voitures allemandes. On bloque l’acier américain, les Américains se vengent sur le fromage. Le protectionnisme est contagieux, il se répand comme un virus.

“Le péril protectionniste disparaîtra quand on aura appris aux Français, comme aux autres, qu’ils peuvent bénéficier des bienfaits du libre échange. Ce ne sera pas le plus facile.”

Les obstacles non-tarifaires

Mais il y a aussi la multiplication des normes, mises en place, officiellement pour des raisons sociales ou environnementales. Le but affiché est toujours « social » : protéger les enfants, la santé, les salariés, etc. La réalité est moins avouable : ces normes servent juste à écarter les produits étrangers, car elles correspondent, heureux hasard, aux habitudes nationales !

Le Monde consacrait récemment deux pages à ce « nouveau visage du protectionnisme ». On compte dans les pays membres de l’OMC 11 288 mesures sanitaires et phytosanitaires, concernant les produits alimentaires et les animaux et végétaux, (dont plus de 2 000 depuis le début de l’année !) et 15 560 obstacles techniques au commerce, concernant des règlements, normes et autres procédures de certification. Le Monde cite un bref florilège. On appréciera la pêche de crevettes uniquement par des moyens respectueux des tortues marines, la couleur imposée des fusées de détresse d’un yacht, les interdictions de maïs OGM, de viande de bœuf aux hormones ou de poulet lavé au chlore, les seuils de pollution des voitures ou les fleurs sans résidus de pesticide. Il n’est pas certain que tout cela soit uniquement justifié par des raisons de santé publique ! C’est l’un des rôles de l’OMC que de lutter contre ce type de protectionnisme galopant.

Faut-il être pessimiste devant cette renaissance du nationalisme économique ? Certes la vigilance s’impose, les États montent les peuples les uns contre les autres. Mais la mondialisation a maintenant plus de vingt ans d’âge, depuis la chute du mur de Berlin, et il n’y a plus de « vrais » produits nationaux : produire français ne signifie plus grand-chose. Les pays émergents ont besoin du libre échange pour soutenir leur développement. Beaucoup de membres de l’Union européenne et le G8 lui-même s’inquiètent des risques protectionnistes. Mais le péril protectionniste disparaîtra quand on aura appris aux Français, comme aux autres, qu’ils peuvent bénéficier des bienfaits du libre échange. Ce ne sera pas le plus facile.

> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.

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81 Comments

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  • 0 / 10
  • gonadio , 26 juillet 2013 @ 11 h 24 min

    Naudet et Garello ne défendent pas la technocratie bruxelloise qui est comme vous le soulignez tout sauf libérale. Il defendent le libre échange, la simplification du code du travail, la reduction drastique du poids de l’Etat dans l’economie. Ils dénoncent les devaluations dites competitives. Je ne crois pas que ce soit la direction qu’ai pris Bruxelle depuis la creation de l’Europe.

  • V_Parlier , 26 juillet 2013 @ 13 h 30 min

    Je pense que vous êtes optimiste, mais… on verra bien…

  • V_Parlier , 26 juillet 2013 @ 13 h 41 min

    L’artisanat manuel est lui aussi soumis à rude épreuve (à moins qu’il ne soit qu’un produit de luxe à diffusion limitée), même si je suis d’accord sur le fait qu’il serait une des solutions pour remplacer le travail physique supprimée par la mécanisation. Mais il est possible qu’un jour des gens mis hors circuit par l’économie tentent par eux-mêmes de recréer un système d’échange (avec ou sans monnaie) “à l’ancienne”. Ca commence à se voir déjà (avec les “SEL” qui font beaucoup discuter autour du sujet: est-ce libéral ou est-ce collectiviste? Mais je pense qu’il y en a qui philosophent trop sur ce point. C’est avant tout une tentative de remplacer ce qui fait défaut).

  • V_Parlier , 26 juillet 2013 @ 14 h 01 min

    Il y a une chose qui me préoccupe un peu dans vos remarques, à part le fait que vous vous accrochiez aussi au mythe du tout-service pour faire tourner une économie: Avec tous ces gens qui vont travailler (directement ou non) pour vous, en supposant qu’eux aussi on droit à un niveau de vie à peu près correct (du moins suffisant pour vivre en France), vous devrez toucher une sacrée retraite! Ceci implique que l’Etat devra déjà avoir une sacrée source de revenus pour la financer… par l’impôt sur les services que vous payez? Il doit y avoir une épatante “création de richesses” quelque part, là où je ne sais pas.

    Quand à gauche on dit: “j’ai droit à ci, j’ai droit à çà, les autres sont trop riches”, chez d’autres on dit: “je veux ci , je veux çà, les autres doivent me servir”… est-ce bien différent dans la mentalité? J’ai peu d’espoir pour notre futur. Peut-être que nous le méritons après tout…

    Pour revenir sur le problème des retraites, non seulement on a pré-vidé les caisses à l’époque où l’économie arrivait encore à tourner, et aujourd’hui si on compte sur l’économie pour les renflouer c’est bien mal barré (surtout si l’Etat ne se finance plus que par les taxes sur les services aux retraités, c’est le mouvement perpétuel, il y a un brevet à déposer là-dessus!)

  • V_Parlier , 26 juillet 2013 @ 14 h 14 min

    “Ensuite, d’un point de vue utilitariste, si le protectionnisme était efficace à l’échelle nationnale, il le serait à l’échelle regionnale, puis communale, puis à l’echelle de la famille.”

    Cet argument ne tient pas debout puisque le protectionnisme n’est évoqué ici que lorsque les règles s’appliquant au sein des parties de l’espace d’échange sont différentes. Et quand le libre échange s’applique entre parties dont les règles sont différentes, il y en a forcément un qui vole l’autre. Si les parties ne sont pas des personnes, alors ceux qui sont volés ne sont pas les décisionnaires mais ceux qui travaillent pour eux.

    Mais je vous laisse à votre morale qui vous satisfait, c’est le futur (très proche) qui nous jugera, et aujourd’hui on ne pourra plus rien y changer de toute façon. C’est trop tard. Alors attendons. (Certaines attendent la croissance, d’autres la révolution, et d’autres une simple prise de consience pragmatique, à chacun son truc…)

  • gonadio , 26 juillet 2013 @ 19 h 57 min

    Je serais très surpris que l’avenir puisse me donner raison etant donné que le cadre dans lequel nous evoluons est très loin du libre échange. En effet, les taxes douannieres ont été remplacées de facons tres efficaces par des reglementations environnementales ou de sécurité qui avantagent systématiquement les même multinationnales, leur conferant ainsi un monopole quasi definitif. Quant a votre argument s’appuyant sur le vol d’une partie par l’autre a cause de regles inegales, c’est un fait incontestable que certains sont avantagés plutot que d’autres, ce peut etre le climat, la qualité de la terre, la creativité, le courage. Il se trouve que nous avons en France toutes ces qualités, mais nous sommes penalisés par notre fiscalité et notre systeme social comparable à une usine à gaz. Et vous demandez à l’avenir de juger de la pertinence des economistes qui denoncent le protectionnisme et le poids de l’Etat dans l’économie? J’ai du mal à vous suivre…

  • Robert BERTRAND-RIGHI , 26 juillet 2013 @ 20 h 11 min

    VOUS , a l’evidence, n’avez aucune idee des horaires REELS de travail.

    18 heures de travail ? BEAUCOUP les font en UNE JOURNEE, mais oui. Et le lendemain, idem. Et le surlendemain idem, etc…
    Vous etes completement sur des nuages.
    Bien sur ces 18 heures supportent l’impot 100% pas d’encouragement au travail, surtout pas…

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