Lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv, François Hollande, rompant ainsi avec son mentor putatif, déclarait que « la vérité, c’est que le crime fut commis en France, par la France » et rajoutait : « La France [à ce moment là] accomplissait l’irréparable ». Sans grande surprise, cette déclaration suscitait l’enthousiasme d’une gauche trop heureuse d’entretenir le mythe d’une droite française collaborationniste opposée à une gauche résistante tandis que, de l’autre coté de l’hémicycle, on se scandalisait de ce que le président de la République puisse ainsi confondre la France, la véritable, la résistante, la gaulliste avec l’infâme régime de Vichy.
Ce que ces déclarations, comme le tollé qu’elles ont provoqué, ont de profondément surréaliste, c’est que personne, à aucun moment, que ce soit parmi nos politiciens ou dans la presse n’a jugé bon de s’interroger sur la nature de ce que les uns comme les autres s’entendent à désigner sous le nom de « la France ».
Je peux comprendre que, par abus de langage, un supporter de football résume l’issue d’une rencontre internationale en disant que « la France a gagné ». On est ici dans le langage courant et le sujet, pardonnez-moi, ne mérite pas nécessairement que l’on s’embarrasse de détails quant à la forme. Mais très pratiquement et pour parler justement, ce n’est « la France » qui a gagné ; ce sont les joueurs de l’équipe nationale française et, par extension, le personnel d’encadrement de ladite équipe. Lorsque les supporters descendent dans la rue pour fêter la victoire en scandant le traditionnel « On a gagné » (trois fois), ils savent pertinemment qu’ils n’ont remporté aucune compétition sportive ce soir là et pour cause : ils ont passé la soirée devant leurs télévisions.
Dire que « la France » était collaborationnisme et aussi stupide et dénué de sens que de la déclarer résistante. Ce n’est pas la France qui a commis un crime, ce n’est pas la France qui exporte et qui importe et ce n’est pas la France qui rase 20 millions de mentons chaque matin ; ce sont des français qui font ces choses là, des individus. « La France », évoquée avec tant de légèreté et de certitude par nos élites, est un concept et les concepts ne pensent pas ; les concepts n’agissent pas : seuls les individus pensent ; seuls les individus agissent.
De quelque bord qu’elles proviennent, ces invocations de « la France » traduisent le même système de pensée. Un système de pensée dans lequel l’individu est subordonné au corps social auquel il est supposé appartenir ; un système de pensée dans lequel la société est conçue comme une entité douée de conscience et capable d’agir ; un système de pensée, enfin, qui confond cette société purement rhétorique avec l’État qui la gouverne. L’ironie tragique de l’histoire, c’est que c’est précisément le système de pensée des nazis et de ceux qui ont collaboré avec eux.
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