La victoire éclatante de la candidate du M5S à l’élection municipale de Rome est un événement significatif. C’est la première femme élue Maire de Rome. Elle n’a que 38 ans et à peine trois ans d’expérience politique comme conseillère municipale d’opposition. Elle a néanmoins réuni 67,2% des suffrages. Il y a évidemment dans ce vote un rejet de la caste politique professionnelle désavouée en raison de son incompétence et de sa corruption. Le taux élevé d’abstentions confirme ce désaveu. Mais il s’agit aussi d’un choix, celui d’une autre manière de pratiquer la politique. Le fondement essentiel du mouvement lancé par Beppe Grillo, c’est la volonté de remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe. Beaucoup d’électeurs de nos vieilles démocraties européennes en ont assez d’assister au ballet des élus à vie qui sont incapables de résoudre des problèmes auxquels manifestement leurs privilèges les font échapper. La démocratie d’inspiration anglo-saxonne avec son alternance et parfois ses alliances entre les deux principales formations politiques, l’une de centre-droit, l’autre de centre-gauche est perçue de plus en plus comme un faux-semblant qui, à la longue, berne les citoyens. Elle a atteint un sommet dans le fonctionnement de l’UE où l’élection elle-même est passée au second plan. Alors, les citoyens désirent une prise du pouvoir plus directe. Le mode de scrutin proportionnel séduit de manière illusoire puisqu’il conduit d’abord davantage encore à la professionnalisation d’élus choisis par les partis pour figurer sur des listes sans que les électeurs soient à même ensuite de juger de leurs qualités personnelles. La votation suisse, que j’ai proposée en France, est une formule aujourd’hui présente dans plusieurs programmes. Le néo-populisme italien la systématise et la met à la sauce moderne d’internet. Virginia Raggi a émergé, en politique et comme candidate à la mairie romaine, par des consultations organisées par M5S sur la toile.
Au-delà de cet appel à la démocratie directe, la ligne politique du mouvement est difficile à appréhender. Manifestement rétif à l’Union Européenne et à l’Euro, M5S reçoit parfois le soutien de la Ligue du Nord classée à droite et s’allie à l’Ukip de Nigel Farage au Parlement européen pour former le groupe de « l’Europe de la Liberté et de la démocratie directe ». Mais il s’oppose surtout aux contraintes de l’austérité prônée par la Commission européenne, à la manière des Grecs de Syriza, du moins avant que Tsipras ne parvienne au pouvoir et ne passe sous les fourches caudines de Bruxelles. Ce dernier fait face d’ailleurs à une contestation appuyée sur les réseaux sociaux, là aussi, sous le nom de « parititheite » (démission). Le mouvement « 5 étoiles » privilégie les questions environnementales et quotidiennes, comme la pollution, les transports, le logement, la santé, défend les petites entreprises, dénonce la concentration dans les médias, préconise un revenu de citoyenneté, et se montre favorable à l’union civile des homosexuels tout en étant plus réservé sur les questions d’adoption. Ce n’est donc pas un mouvement conservateur. Il est difficilement classable à droite ou à gauche. Il est avant tout un vecteur de l’opposition à l’ »Etablissement », à l’oligarchie politicienne et médiatique. Il a déjà son Tsipras en la personne de Luigi Di Maio, Vice-Président de la Chambre des Députés et qui pourrait être le tombeur de Renzi. Alors, le loup serait bien obligé de sortir du bois.
Un peu partout en Europe, et aux Etats-Unis aussi, c’est donc le système qui est bousculé par des peuples fatigués d’être trompés par une mise en scène qui ne conduit qu’à accumuler les difficultés. A l’espérance d’une vie meilleure qui guidait la génération du baby boom a succédé l’impression d’un sur-place où les avantages obtenus par certains lobbys masquent de moins en moins la montée des problèmes, ceux du terrorisme, de la violence, du changement de population, du chômage, de la pauvreté et de la précarité. Ce soulèvement conduit soit à un populisme conservateur souhaitant le retour aux identités nationales et aux valeurs traditionnelles, soit à une contestation radicale. A droite, on a donc un patriotisme qui réclame le retour des frontières et la préférence nationale. La progression du FPÖ en Autriche, de l’UKIP au Royaume-Uni, les gouvernements hongrois ou polonais vont dans ce sens. Donald Trump aux Etats-Unis et d’une certaine manière Vladimir Poutine séduisent les partisans de cette ligne, parce qu’ils bousculent la chorégraphie tranquille du politiquement correct et de la pensée unique. Dans d’autres pays, ceux qui ont connu des dictatures de droite, le populisme emprunte davantage la voie de l’extrême-gauche. Le Front National tente de jouer sur les deux tableaux en ne condamnant pas la CGT par souci de se concilier les masses laborieuses, mais en adoptant aussi des positions très conservatrices sur les questions nationale et familiale, selon les lignes respectives de Florian Philippot et de Marion Maréchal Le Pen. Mélenchon est en embuscade sur la voie de gauche.
Pour l’instant, le plafond de verre du système a résisté en France et en Autriche et tiendra peut-être en Grande-Bretagne et en Espagne. C’est en Italie, avec le M5S qu’il pourrait bien d’abord éclater. C’est alors que les Romains s’empoigneront…
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