Tribune libre de Philippe Simonnot*
Rassurez-vous, chers lecteurs, il ne s’agit pas de venir au secours du célèbre club de foot à la tunique verte, septième au classement de la Ligue 1, mais de féliciter chaudement Christian Saint-Étienne d’avoir démissionné du Conseil d’Analyse Économique (CAE) parce que il n’est « pas d’accord avec les orientations de la politique économique du gouvernement ». Ce qui a valu à l’honorable professeur d’économie au Conservatoire National des Arts et Métiers d’être qualifié sur la Toile de « chacal de la finance anglo-saxonne”, de “traitre”, de “pilleur”, de “crapule du système” et de “bonimenteur”…
Pensez donc ! Notre démissionnaire a même osé déclarer au Fig-Mag : « François Hollande et son gouvernement font fausse route et il est de mon devoir de dénoncer les conséquences extrêmement négatives des premières mesures qui ont été prises… Il est impératif de corriger le tir. Je crains sinon qu’avant un an, dix-huit mois au plus tard, les conséquences de la politique du gouvernement ne soient d’une violence dramatique pour notre système productif et social ». Voilà en effet qui mérite d’être pendu haut et court en ces temps de hollandisme triomphant.
En fait, l’on aurait plutôt envie de poser à notre cher collègue la question suivante : que n’a-t-il démissionné plus tôt d’un organisme qui a surtout servi, jusqu’à maintenant, à apporter une caution vaguement scientifique aux choix gouvernementaux qui, gauche et droite confondues, nous ont conduits au désastre que nous connaissons aujourd’hui ?
Il est nécessaire de rappeler ici ce qu’est le CAE ; cette manière d’académie largement ignorée du grande public devrait remercier Saint-Étienne de la publicité qu’il lui a soudainement apportée.
Le Conseil d’Analyse Économique est une instance chargée de conseiller Matignon. Lionel Jospin, alors Premier ministre, voulait une copie du Council of Economic Advisers qui travaille auprès du Président des États-Unis depuis 1946. Officiellement donc, le CAE se doit “d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique”.
Ces braves gens sont si désintéressés qu’ils ne perçoivent aucune rémunération pour leur participation au Conseil. Mais quid de la rédaction des rapports ? Depuis sa création en 1997, il en a publié une bonne centaine. On ne peut pas dire que cette littérature ait défrayé la chronique. En vérité, pas un seul n’a retenu l’attention ! Un record.
Comme les disciples d’Adam Smith ont la réputation de ne jamais être d’accord entre eux sur quoi que ce soit, on a pris la précaution de dire que l’on réunissait des « économistes reconnus de sensibilités diverses ». En fait, ce sont surtout des néo-keynésiens. À noter aussi, la place relativement importante occupée dans cette instance par des « économistes de banque » qui ont trouvé l’astuce d’arrondir leurs fins de mois de p’tits profs par de confortables jetons de présence et autres friandises de la haute finance. Bref, de quoi conforter les princes qui nous gouvernent dans leurs mauvaises habitudes de faux monnayeurs.
En tout cas, on ne pouvait pas attendre de ces « experts » qu’ils aient prévu la méga-crise qui nous accable, ni qu’ils nous en sortent puisqu’ils se trompent ou nous mentent sur ses causes.
Ségolène Royal ayant remis Victor Hugo à la mode, on ne résiste pas à citer la fameuse tirade de Ruy Blas :
Bon appétit, Messieurs !
Ô ministres intègres, Conseillers vertueux,
Voilà votre façon de servir
Serviteurs qui pillez la maison.
Vrai que dans cette assemblée de tristes sires l’ami Christian, qui ne sourit pas beaucoup, faisait tout de même tache. Donc, encore bravo à lui de l’avoir quittée, et non sans panache !
*Philippe Simonnot a publié en collaboration avec Charles Le Lien La monnaie, Histoire d’une imposture, chez Perrin.
1 Comment
Comments are closed.