Qu’il est doux de vivre aux crochets des autres ! L’État français, premier parasite de France, en sait quelque chose. Il sait, cependant, être généreux avec ceux qui ont compris son mode d’action et n’hésitera donc pas à donner un coup de main à ceux qui voudraient le rejoindre. Comme le montre l’actualité récente, c’est le cas avec la myriade d’associations très lucratives de collecte des droits d’auteurs, notamment dans le monde de la musique.
En fait de musique, c’est un petit air de flutiau qu’il faut entendre, celui qu’avaient commencé à jouer, il y a quelques années et que j’évoquais ici, différents noms de la diffusion et de la distribution de musique dite « libre de droits ».
En substance, en 2009, Saint-Maclou décidait de sonoriser ses magasins avec de la musique distribuée par MusicMatic. Ces musiques étaient piochées dans le catalogue de Jamendo, composé de musiques « libres de droits » : ici, cela ne signifie pas que les musiques sont gratuites, mais simplement que leurs auteurs ne passent pas par la SACEM et autres sociétés d’auteurs pour la collecte de leurs droits, mais par Jamendo directement, ce qui évite la redevance obligatoire pour « rémunération équitable » (qui est aussi équitable que les Républiques démocratiques étaient démocratiques, comme vous allez le comprendre ci-après).
La SACEM, apprenant qu’ainsi, Saint-Maclou, malgré la diffusion de musique dans ses magasins, échappait à sa copieuse ponction, décidait d’attaquer tout ce beau monde en justice, parce que laisser faire, c’était s’assurer la disparition d’une tranche épaisse d’un gros gâteau dodu (dont le montant total frise le milliard d’euros tout de même).
Et le dernier rebondissement en date de cette affaire nous amène donc à constater que la justice française cocoone décidément fort bien ses petits protégés pour lesquels la loi a été très probablement entièrement écrite, cousue mot par mot pour lui laisser de grandes latitudes d’interprétation favorable : alors que les auteurs de ces musiques « libres de droit » ne sont nullement inscrits à la SACEM (et ne le veulent pas), la cour d’appel de Paris confirme que les magasins diffusant cette musique doivent bien rémunérer les sociétés de gestion collective.
Oui, vous avez bien lu : magie d’un monopole de droit artificiel et inique, même si les auteurs ne veulent pas passer par la SACEM, c’est elle qui doit absolument se charger de la collecte des droits.
Mais le pompon n’est pas là. Ici, on pourrait se dire que c’est une simple bisbille pour la collecte et qu’au final, tant que l’auteur est rémunéré en accord avec l’usage de sa musique (ce que « rémunération équitable » laisserait supposer), tout finira par s’arranger.
Il n’en est rien.
Comme l’auteur n’est évidemment pas dans les fichiers de la SACEM, l’argent collecté… reste à la SACEM. Charge à l’auteur de faire toutes les démarches pour obtenir son dû, ce qui lui promet quelques moments de plaisir tant on se doute que la société en question fera absolument tout pour lui être agréable, c’est une évidence. Et lorsqu’au final, zut et flûte, l’auteur n’a pas été cherché retrouvé ou qu’il ne s’est pas manifesté (ou pas assez fort, ou pas avec le bon cerfa), eh bien… l’argent reste à la SACEM, comme on l’a dit.
Au passage, à la lecture du compte-rendu de l’audience en appel, on comprend assez bien que la loi, directement issue d’une directive européenne, laissait pourtant une assez large marge de manœuvre dans son interprétation, afin de « s’adapter aux réalités économiques nouvelles, telles que les nouvelles formes d’exploitation » et qui aurait largement pu laisser Jamendo et MusicMatic rémunérer directement les auteurs qui ne jugeaient pas nécessaire (ou pas économiquement malin) de passer par la SACEM et sa douzaine de petites sœurs taxophiles.
Le tribunal français aura très consciencieusement fermé ces latitudes pour ramener tout ce beau monde sur l’impérative obligation de passer par les monopoles en place : comme l’explique sans rire l’avocat des collecteurs, « Il faut se méfier de ceux qui promettent de la liberté ». Et le Delacroix bien connu, c’est « l’Égalité et le Monopole guidant le peuple », dites-le vous bien une fois pour toutes.
Un monopole que les directives européennes ont normalement fait sauter, une justice française qui s’empresse d’invalider toute velléité de liberté, une bande de pillards collecteurs qui n’existerait pas sans ce monopole tant leur service rendu est sujet à caution et non désiré par les premiers intéressés… Tout ceci vous rappelle peut-être un autre monopole, une autre directive, d’autres décisions de justice tout aussi orientées et les mêmes dégâts collatéraux. c’est normal, ce sont exactement les mêmes ressorts qui sont en jeu…
Vous pourriez vous dire que c’est du vol, du racket ?
Mais non, voyons ! On ne peut pas dire ça, puisque tout ceci est légal ! Car oui, il est légal pour ces sociétés de collecter l’argent pour des artistes qui ne veulent pas passer par elles, puis, ensuite, de ne pas retrouver ces artistes et de garder l’argent pour elles. Bien sûr, s’il me prenait la fantaisie de faire ça avec mon bras armé pour obliger mon voisin à me donner de l’argent pour le compte d’un tiers mais que, fortuitement, je ne trouvais jamais le tiers (ni ne le cherchais, d’ailleurs) pour ensuite garder cet argent, je serais accusé de racket.
La loi, commodément interprétée, transforme ce racket en opération parfaitement normale.
L’histoire peut durer encore un moment, et la cassation puis la Cour de justice européenne seront probablement saisies. En attendant, les auteurs de musique « libre de droits » (i.e. ne passant pas par la SACEM) devront peu ou prou faire une croix sur leur rémunération, en espérant qu’au final prévaudra enfin la loi européenne, plus souple et adaptée aux nouvelles méthodes de diffusion.
Mais il faut bien comprendre que cette affaire dépeint une fois de plus un véritable état d’esprit français, celui qui consiste à toujours favoriser le monopole en place, le plus fort, au détriment du nouvel entrant, du plus faible et du plus innovant.
Pas étonnant, dans ces conditions que, par la sclérose de son marché, la France périclite…
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