Internet peut provoquer des maladies graves. Bercy va donc le taxer

Dans l’état actuel de la France, taxer, c’est mourir un peu. C’est pourquoi les ministres de notre belle et grande république s’emploient à taxer avec minutie et précaution, sans que ça se voit trop, pour éviter de tuer l’hôte. C’est le cas de Fleur Pellerin, la ministre de l’interweb et des lolcats, et habituée de ces colonnes. Depuis son arrivée au gouvernement, elle veut absolument faire cracher Facebook et Google au bassinet. Elle a peut-être enfin trouvé comment faire

Et comme dans les autres secteurs et pour les mêmes raisons, il faudra faire ça en douceur. L’idée de base est simple : Google et Facebook (ainsi que d’autres entreprises dont le développement est assuré par Internet) sont deux grosses sociétés bien dodues et bien juteuses, dont tout le potentiel fiscal n’a pas été exploité : du point de vue des suceurs de taxe, ces gros animaux sont, en effet, particulièrement appétissants mais, hélas, trop bien protégés et surtout installés suffisamment loin de l’enfer fiscal pour échapper au plus gros de la ponction. À cette situation désagréable d’un festin potentiel difficile à réaliser, il faut ajouter l’ambition habituelle du politicien moyen qui ne désire rien tant qu’accrocher à son palmarès l’une ou l’autre victoire médiatique qu’il pourra revendiquer sur les plateaux télés.

Faire s’agenouiller de grosses boîtes américaines, leur soustraire quelques centaines de millions (des milliards, peut-être), voilà qui est alléchant tant sur le plan financier que sur le plan médiatique. Pas étonnant, dès lors, que la ministre déléguée en charge de l’innovation fiscale, des réseaux d’affaires et des GIFs animés pousse à la roue d’une taxation générale de ces gros acteurs depuis qu’elle est arrivée en poste. On pourrait presque parler d’un trouble compulsif si sa motivation n’était pas, finalement, tout ce qu’il y a de plus rationnel : choper les grands de l’Internet, c’est tout bon pour elle.

Évidemment, les épisodes qui marquèrent l’innovation fiscale de Fleur furent remplis d’embûches : la dernière idée en date, qui consistait à découper internet en petite tranches amusantes et à proposer du forfait en fonction de l’usage, n’a pas reçu un accueil très chaleureux, tant de la part des internautes que de la part des Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) qui perdent pas mal de temps à payer des taxes par-ci, des cotisations par là et remplir des Cerfa trucs et muches le reste du temps sans, en plus, s’imposer une nouvelle segmentation de leur marché en proposant des forfaits ridicules « Tout Internet Sauf La Vidéo Pour Seulement 12,33€ HT par mois ! » ou « Youtube Non Stop Mais Sans Google pour 8,99€ TTC, c’est possible » …

Heureusement, en matière de cascades fiscales débiles, les sicaires de l’État n’ont jamais de crampes. Puisque le découpage d’internet ne fonctionne pas, tentons une autre approche. Et si … Et si on taxait la bande passante générée en France par les acteurs français … et étrangers (surtout étrangers, hein) ? En plus, avec une telle proposition, cela pourrait facilement être soutenu par les principaux fournisseurs d’accès, non ?

Et pour mettre en place cette nouvelle ponction, il suffirait, pour la Fleur d’Oranger, d’imposer une taxe sur le volume de bande passante consommée en France par les utilisateurs de l’infrastructure. Autrement dit, on passerait de contrats internet forfaitaires à un contrat au débit, comme l’eau ou l’électricité ; le gouvernement français entend pousser un changement profond de tarification au bénéfice évident des fournisseurs : en effet, dans beaucoup d’endroits au monde, Internet est facturé à la consommation. La France a toujours été vue plutôt comme une exception puisqu’un abonné qui consomme plusieurs gigaoctets de données par mois y est facturé autant qu’un abonné qui, lui, ne consomme que quelques centaines de Mo. Du reste, l’internet mobile fonctionne ainsi, et personne ne semble s’en émouvoir.

Mais voilà : si l’on peut comprendre que certains fournisseurs sont donc tout acquis à cette nouvelle idée géniale, on a en revanche bien du mal à comprendre comment une socialiste, d’un gouvernement socialiste, dans une France où tout est devenu socialiste de bas en haut depuis quelques décennies, peut maintenant réclamer de façon aussi gourmande une … inégalité flagrante de facturation ! Bien sûr, les raisons logiques, financières et médiatiques, elles, ont déjà été exposées. Mais ce ne sont pas des raisons officielles, car bien trop terre-à-terre, bien trop petit bourgeois, même. La Fleur y préférera l’explication suivante :

« Il faut rétablir l’égalité devant l’impôt, mais sans pénaliser l’économie numérique »

Et youpi, en avant pour un double looping carpé avec rétablissement sur escarpins sans tomber : on va installer la facturation à la consommation ! Et comme c’est afin de choper les méchantes multinationales ricaines qui ne paient pas d’impôt, c’est donc permis. Et il est vrai qu’en matière d’égalité devant l’impôt, les ministres en connaissent un rayon, tout comme le Président lui-même. Bref : c’est décidé, on va mettre ça en place dans les prochains mois avec le soutien évident de fournisseurs qui trépignent déjà à l’idée de revoir un peu leur facturation. On se demande même comment Fleur va pouvoir camoufler le fait qu’elle pave aussi généreusement la voie pour les gros acteurs télécoms français, au premier rang desquels Orange avec lequel elle s’est toujours si bien entendu.

Le défi, dans tout ça, n’est bien sûr pas de « rétablir l’égalité devant l’impôt », pour de vrai, mais plutôt de ne pas pénaliser l’économie numérique. Et pour le coup, Fleur est évasive à ce sujet et se contente des tornades de bons sentiments, de sourires et des petits poncifs habituels frottés sur la couenne solide du consommateur pour en atténuer les irritations. Pour toute pirouette rhétorique, on ressortira donc le bon vieux« Ce sont les entreprises qui vont payer, les consommateurs n’y verront que du feu ».

Pouffons quelques instants. Déjà, on peut se demander comment une taxe sera bénéfique. Après tout, si on n’arrête pas de taxer les clopes pour en diminuer la consommation, pourquoi en ira-t-il différemment de la bande-passante ? La France veut-elle être, à nouveau, à la traîne des nouvelles technologies ? Chouette, voilà du projet d’avenir ! Attention, Monde Cruel, la France et son Minitel 2.0 reviennent again à nouveau wieder einmal !

De plus, la hausse consécutive du coût des services, aussi justifiée soit-elle (et, on le verra, c’est discutable) sera de toute façon reportée sur le consommateur : une entreprise, par définition, ne peut faire supporter ses coûts, l’intégralité de ses coûts, et surtout leur hausse, qu’aux consommateurs. Il n’y a qu’au sein d’un gouvernement et d’un État qui imprime des billets pour évaporer ses dettes qu’on peut imaginer que ces coûts seront reportés, comme par miracle, sur d’autres entreprises, dans d’autres comptes, ailleurs, loin, loin de ceux qui les génèrent, les décident ou les imputent. Ce qui veut dire que les utilisateurs français de la bande-passante pour ces gros acteurs du net se verront refacturer, d’une façon ou d’une autre, cette nouvelle taxe. Ils n’y échapperont pas. Et comme en plus, l’État se servira au passage (afin d’en faire tous les mille et uns usages judicieux que vous pouvez deviner), on a du mal à imaginer autre chose qu’une bonne grosse perte de temps et de pouvoir d’achat de toute la ribambelle d’acteurs qui va se succéder dans cette farandole de nouvelle législation fiscale.

Et reste donc la question de savoir si c’est vraiment justifié. On peut se demander comment les fournisseurs d’accès français, actuellement, peuvent afficher d’insolent bénéfices si la gestion de leur bande passante est à ce point problématique. Que les déficits abyssaux de l’État poussent ce dernier aux derniers retranchements fiscaux (et intellectuels), ça peut se comprendre. Mais il sera plus dur de nous faire pleurer sur les sorts de Free, Orange ou les autres…

Mais Fleur, elle, s’en fiche déjà : si cette taxe passe, elle portera son nom. La Taxe Pellerin, c’est chouette, non ? Et question notoriété, c’est presque aussi bien que sur un bâton de rouge à lèvre.

> h16 anime le blog hashtable. Il est l’auteur de Égalité taxes bisous.

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17 Comments

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  • 0 / 10
  • Pat64 , 24 avril 2013 @ 10 h 55 min

    L’égalité n existe pas….en biologie, l égalité des cellules = mort…..

  • jsg , 24 avril 2013 @ 11 h 38 min

    Ça va faire chuter du jour au lendemain les giga consommés, les jeux en ligne, et également la fameuse facturation sur internet dont les gens ne voudront plus ! Si l illimité fonctionne avec de larges résultats positifs sur toute la chaine, le pauvre Fleur et tout son charme, risque de ne plus avoir assez d eau dans son pot.
    Bref, ne faudrait il pas taxer les fonctionnaires dont la fonction n est pas utile ? taxer les députés absents de leur poste, et encore mieux taxer la bêtise : là il y a du blé à se faire.

  • Bob , 24 avril 2013 @ 12 h 43 min

    Il est normal qu une entreprise qui fait des bénéfices en France paie l impôt sur ces bénéfices en France (et non pas dans un paradis fiscal, ce qui est le cas de Facebook et de Google (entre autres géants multinationaux))

    … ou alors, il faut supprimer l impôt sur (toutes) les sociétés.

    Ca na rien à voir avec taxer l internet

  • Gisèle , 24 avril 2013 @ 12 h 54 min

    Ils vont nous rendre libres alors ?????
    Tous ensemble !!! libres !!!
    Moi je veux bien tronquer le pc contre un pinceau et de la couleur .
    C’est sûre que la com sera plus difficile , mais on en reviendra aux bonnes vieilles réunions et aux pigeons voyageurs .
    Il n’arriveront pas à taxer les mots , les langues , les pensées ……
    Ils devraient taxer la connerie ! Ils seraient les plus taxés de France !

  • Frédérique , 24 avril 2013 @ 13 h 23 min

    “Mais Fleur, elle, s’en fiche déjà : si cette taxe passe, elle portera son nom.”
    Mais, c’est bien que les taxes et les lois portent le nom de leurs “créateurs”. Lorsque la révolution éclatera, on n aura pas besoin de se taper le code pénal et l organigramme des gouvernements du moment pour identifier tous les salauds qu’il faudra pendre haut et court.

  • Daniel DL , 24 avril 2013 @ 13 h 34 min

    Salut,

    Tout ceci me fait sourire, e n’est pas sans me rappeller l’affaire où à l’époque Free volait bloquer la publicité sur google :
    _ d’une part, tout éditeur de site internet peut imposer l’usage SSL (cryptage entre la navigateur client et le serveur web) faisant sauter tout blocage de la freebox
    _ d’autre part, tout éditeur web peut imposer l’usage du javascript
    _ enfin, même les bloqueurs de pub peuvent être désactivés par les éditeurs eux mêmes.

    Là, il s’agît de taxer la bande passante, ce qui va avoir des répercussions sur les fournisseurs de contenu et les usagers. Les fournisseurs, en première ligne les hébergeurs et datacenters qui ont besoin d’envoyer de millions d’infos via des lignes supportant d’importantes bandes passantes, mais aussi les utilisateurs des services des hébergeurs. Les usagers, car tous les coûts seront irrémédiablement supportés au final par les internautes.

    Si l’objectif était de faire payer google et facebook, c’est dérisoire. Google et Facebook, bien que très fréquentés, ne sont pas les plus gourmands en bande passante (hormis youtube, qui ‘est quand même moins que dailymotion). Par contre, les sites des grands médias français, surchargés en applications js, surchargés par des régies publicitaires extrêmement lourdes, sont très consommateurs de bande passante. Il ne faut pas confondre la fréquence avec la quantité d’information lors de la consultation d’un site. Donc, cette taxe va surtout taxer des acteurs français, bien avant d’aller taxer les grandes boites américaines.

    Par ailleurs, si ce genre de mesure devait prendre une certaine ampleur, e gouvernement a du mal à anticiper l’évolution du réseau, qui peut développer et améliorer des solutions déjà existantes.

    Ici, le problème va devenir le passage par le FAI.

    Je donnes quelques exemples.

    Au niveau des entreprises : toute la téléphone traditionnelle va basculer en ToIP (téléphonie sur IP), donc, les gains des FAI et fournisseurs en téléphonie seront très réduits. Cela est déjà en train de se faire, le mouvement va s’accélérer. Il en sera de même avec la FoIP (fax over IP). les réseaux intranet vont revoir et réexaminer leurs besoins en interco, et évincer le plus possible tout passage par des réseaux WAN qui interconnectent entre eux les LAN (entre différents établissements, usines, centres) en passant soit par l’installation de leurs propres lignes, réseau radio joignant physiquement tous les points d’accès….. Donc, cette mesure aura déjà pour objectif de pénaliser, à moyen terme, les contrats que peuvent avoir certains FAI avec des entreprises. Comme tout projet, si cette taxe devient trop importante pour être supportée par un FAi, l’entreprise basculera en mode autonome.

    Au niveau de la relation fournisseurs de services web – internautes : différents mode de compression peuvent être ajoutés au niveau des couches applicatives, ce qui aura pour conséquences positives, une réduction de la bande passante, mais va nécessité une latence plus importante le temps que les postes clients décompressent les infos.

    Par ailleurs, si la contrainte devient le passage par des FAI, on risque de se voir se développer des réseaux indépendants, comme un réseau had oc, composés de postes clients et de points d’accès directs aux datacenters de chaque entreprise, Avec l’évolution technologique actuelle, chaque poste pourrait aussi être équipé de fonctions de routages dynamique, ainsi, en ce connectant, le poste client qui voudrait joindre un poste se verrait communiquer la route la plu efficace par les postes clients aux alentours, et un VPN pourrait être établi entre le client et le serveur. A travers ce maillage, il faudrait aussi que soient mis en place des services tel que des relais DHCP, une hiérarchisation et localisation des réseaux en IpV6, service DNS …

    Plus concrètement,d es réseaux locaux pourraient déployés par certains grands acteurs locaux ( comme Google, OVH, Facebook) à travers les grandes agglomérations. Ces acteurs pourraient devenir des FAI partiels propres à leurs services, contournant ainsi la taxe du gouvernement PS.

  • Câlinou , 24 avril 2013 @ 16 h 48 min

    Très technique mais intéressant pour les professionnels.

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