Tribune libre d’Yvan Blot*
Les résultats du 22 avril 2012 montrent une très grande stabilité du corps électoral français, où la gauche reste minoritaire. Mais 18% seulement des Français ont confiance dans les partis politiques. Il manque pour l’instant en France un grand parti qui soit à la fois libéral en économie, favorable aux référendums populaires, patriote sur le plan national et conservateur sur le plan des valeurs morales et chrétiennes.
La gauche reste minoritaire
La gauche représentée par les candidats Hollande, Mélenchon, Joly, Poutou et Arthaud atteint au total 43,50% des voix. Elle n’est pas majoritaire et ne l’était pas non plus il y a dix ou vingt ans.
C’est la rupture entre le Front national et la droite modérée qui donne ses chances à la gauche, comme l’ancien président socialiste François Mitterrand l’avait bien vu et instrumentalisé en son temps (voir mon livre Mitterrand, Le Pen, le Piège paru en 2007.)
Le Parti socialiste fait toujours autour de 30% et l’extrême-gauche entre 11 et 15% des voix.
Mélenchon, Poutou et Arthaud totalisent 12,79% ce qui n’est pas une surprise. Certes, les Verts ont fait un mauvais score (2,26%) surtout au profit de Hollande.
A droite, c’est, on pourrait dire le retour à la normale. Les centristes sont autour de 10%. Sarkozy avait réussi lors des dernières présidentielles à capturer la moitié des voix du Front national mais celui-ci a retrouvé ses voix de 2002. Sarkozy a été sanctionné pour avoir déçu cet électorat qui est revenu à son niveau habituel.
Le Front National est stable
Par rapport à 2002, Marine Le Pen, avec 18,27% des voix, est en retrait de 0,93% par rapport au total des voix Le Pen plus Mégret qui était de 19,20%. Si l’on ne compte pas les voix de Mégret, ce qui est une erreur car son électorat est le même que celui du FN, Marine Le Pen ne gagne que 1,41 point par rapport au score de son père en 2002 (16,86%).
Marine Le Pen a su sauver l’héritage mais n’a pas su faire progresser son parti qui en reste au même point qu’il y a dix ans.
La permanence des mauvais reports à droite : un problème « affectif »
L’exemple de Jean-Luc Mélenchon ou d’Eva Joly appelant le soir des élections leurs électeurs à voter contre Nicolas Sarkozy montre l’excellente discipline solidaire de la gauche, même sans la moindre négociation.
A droite, comme depuis la victoire de François Mitterrand en 1981, les mauvais reports favorisent la victoire de la gauche. Il faut dire que la droite est affectivement très divisée : ce n’est pas un problème intellectuel mais affectif, donc beaucoup plus grave.
L’UMP, le parti de Sarkozy, compte des gens proches de la sensibilité populiste du Front National, comme les députés de la Droite populaire et mais il en compte d’autres plutôt d’une sensibilité proche des oligarques de centre gauche, comme le conseiller du président Henri Guaino ou Nathalie Kosciusko-Morizet voire même Alain Juppé.
Ces oligarques ne peuvent s’empêcher de faire sentir leur morgue et leur mépris, voire pour certains leur haine, à l’égard des électeurs « populistes », notamment du FN. Ces derniers, humiliés, sont donc hostiles en retour.
La cassure entre le peuple et l’oligarchie passe au milieu de la droite, et il n’y a pas de phénomène aussi fort à gauche même si cette cassure existe aussi (quoi de commun entre l’oligarque Laurent Fabius et le populiste Jean-Luc Mélenchon ?)
Avec les sondages de report des voix, il semble qu’Hollande devrait gagner le deuxième tour. En effet, avec un stock de 43,50% des voix clairement de gauche, Hollande peut espérer avoir 3% de voix parmi les électeurs du centriste Bayrou (soit un tiers) et 3,6% de voix venant de l’électorat de Marine Le Pen, ce qui fait un total de 50,10%. Certes, la marge est faible.
Le discours actuel du président Sarkozy, qui consiste à dire que les électeurs du Front National sont des électeurs qui souffrent n’est pas faux mais semble insuffisant pour créer une réconciliation tellement ces électeurs se sentent considérés comme des Français de deuxième classe.
Suspectés souvent à tort de racisme, ces électeurs supportent mal la condescendance des élites politiques qui forment la majorité de l’entourage du président Sarkozy malgré la présence d’hommes de tact et de bons sens comme le conseiller catholique de droite Patrick Buisson ou le ministre de l’intérieur Claude Guéant.
Le pronostic du 2ème tour reste donc favorable à Hollande, même si le score peut-être serré.
La question de fond : pourquoi l’électorat est-il si stable ?
C’est la question la plus intéressante du point de vue de la science politique. En effet, la société française connaît de nombreuses mutations. Les jeunes électeurs votent de plus en plus pour le Front national (nationaliste) ou le Front de Gauche (marxiste).
Cela traduit les inquiétudes des jeunes électeurs tant sur des sujets comme l’immigration ou l’insécurité que sur l’économie ou le chômage. Cela dit, cette montée des jeunes (limitée par la crise démographique) semble être compensée par une grande fidélité des électeurs plus âgés vers les partis traditionnels, l’UMP, les centristes et le parti socialiste.
C’est ce qui expliquerait la stabilité actuelle mais qui ne durera pas toujours si l’économie venait à s’effondrer.
Enfin, si l’on cesse de voir les appartenances partisanes, on constate une méfiance générale croissante envers l’oligarchie politique française, très liée aux États-Unis et à leurs modes idéologiques : 38% des citoyens seulement disent avoir confiance dans les députés, et le chiffre est le même pour les syndicats.
Mais 18% seulement ont confiance dans les partis politiques (source : CNRS ; Bréchon et Tchernia). Sur des sujets ponctuels comme l’immigration ou l’insécurité, les citoyens sont nettement plus radicaux (vers la droite) que les élites politiques.
Ils souhaitent aussi pouvoir être consultés par référendums (il y en a de moins en moins depuis le départ de De Gaulle). Il manque pour l’instant en France un grand parti qui soit à la fois libéral en économie, favorable aux référendums populaires, patriote sur le plan national et conservateur sur le plan des valeurs morales et chrétiennes.
Bref, personne n’a en France une ligne comme celle du Président Poutine en Russie. Le dernier fut De Gaulle. C’est un grand inconvénient. L’émergence d’une telle force soit par la réforme des partis existants soit par l’apparition de nouvelles organisations est un sujet essentiel pour moderniser la vie de la démocratie française.
Car il y a des urgences : il faut notamment redresser l’économie et les finances de la France, juguler l’immigration de masse et l’insécurité, et redonner à la France sa souveraineté malmenée depuis le départ du général De Gaulle. Il y va de la confiance des Français dans leurs politiciens professionnels qui, ces dernières années, les ont beaucoup déçus.
*Yvan Blot est docteur ès sciences économiques, ancien élève de l’ENA, haut-fonctionnaire, ancien député du Pas-de-Calais, auteur des livres Les Racines de la Liberté, Albin Michel (1985), La Démocratie Confisquée, Jean Picollec (1988) et Herbert Spencer, un évolutionniste contre l’étatisme, Les Belles Lettres, Prix du livre libéral 2007.
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