Longtemps considéré comme le parti parlementaire le plus radical d’Europe, le Jobbik a en quelques années muté en parti centriste, pro-UE, abandonnant totalement sa rhétorique radicale anti-UE, anti-OTAN, anti-LGBT et anti-criminalité tzigane. Aujourd’hui, le Jobbik cherche à s’allier à la gauche libérale et progressiste dans le but de faire tomber Orbán. Brève histoire d’un virage politique à 180°.
Le Jobbik assume de manifester désormais avec le parti de Ferenc Gyurcsány et scelle son alliance avec la gauche libérale dans un front commun anti-Orbán
La prophétie du Fidesz s’est donc réalisée. Viktor Orbán, son parti et les médias qui lui sont proches le répétaient depuis des années (au moins 2016) : l’ancien parti nationaliste radical Jobbik et la gauche libérale hongroise se sont alliés dans le but de faire tomber le gouvernement.
Avant les élections législatives d’avril 2018, en dépit de très nombreux signes de rapprochement, ce n’était pas encore à 100% vrai. Depuis le 15 mars 2019, cela l’est désormais.
En effet, à l’occasion des commémorations du 15 mars, jour férié qui célèbre l’anniversaire du début de la révolution hongroise de 1848 contre la domination Habsbourg, tandis que le Premier ministre hongrois Viktor Orbán accueillait le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, les principaux partis d’opposition ont rassemblé leurs partisans pour la mise en place d’un grand front anti-Fidesz.
Pour la première fois, le Jobbik assume de manifester avec le DK (Demokratikus Koalíció, Coalition Démocratique – parti issu d’une scission en 2011 avec le MSZP, parti socialiste hongrois), le parti dirigé par Ferenc Gyurcsány, l’ancien Premier ministre (2004-2009) qui a été pendant longtemps été l’adversaire honni du Jobbik. Le DK était représenté par Klára Dobrev, épouse de M. Gyurcsány et tête de liste aux européennes pour le DK. Depuis les manifestations d’avril 2018 suivant la nouvelle victoire du Fidesz, le Jobbik a de nombreuses fois manifesté avec le DK mais toujours en niant toute entente.
Parmi les autres organisations représentées, citons le parti socialiste (MSZP), le parti écologiste et libéral LMP, Momentum – le “En Marche !” hongrois -, ainsi que le maire sans étiquette de Hódmezővásárhely Péter Márki-Zay, qui fut parmi les premiers à appeler ouvertement de ses vœux une coalition allant du DK au Jobbik pour renverser Orbán.
L’ensemble des formations représentées s’est engagée à mettre en place une stratégie de candidatures communes d’opposition (ou « indépendantes ») lors des élections municipales d’octobre 2019, dans le but d’empêcher la victoire des candidats du Fidesz.
Avant de conclure leur rassemblement sur l’hymne européen (voir à la fin de cette vidéo), les manifestants de l’opposition rassemblée, mimant les 12 points de revendication des révolutionnaires de 1848, ont énoncé leurs 12 points sous le titre « Que veut la nation hongroise ? » :
1. Démocratie et État de droit ;
2. Médias non-partisans, arrêt du financement public des médias de propagande ;
3. Parquet et tribunaux indépendants ;
4. Usage raisonné et légal de l’argent public, mettre les personnalités publiques corrompues devant leurs responsabilités ;
5. Justice fiscale, fin des écarts de revenus trop importants ;
6. Liberté et soutien à la science, à la culture et à l’éducation, éducation de qualité dans tout le pays ;
7. Salaires et conditions de travail dignes, extension et effectivité des droits du salarié ;
8. Large consultation sociale, ainsi qu’avec les organisations professionnelles, les organisations de défense des intérêts et acteurs de la société civile ;
9. Accès à des soins de qualité pour tous ;
10. Sécurité de l’existence, logement pour tous, et futur stable ;
11. Action efficace face à la crise climatique, protection de nos richesses naturelles et défense de notre environnement ;
12. Défense des valeurs de notre nation et de l’Union européenne!
Les tentatives de rassemblement des différentes fractions de l’opposition de la gauche libérale ne sont pas une nouveauté. Cela avait déjà été entrepris lors des élections législatives de 2014, sans le LMP et sans grand succès électoral toutefois. La question de voir le Jobbik rejoindre une telle coalition ne se posait alors même pas en 2014, le rejet mutuel de la gauche libérale et de l’extrême-droite étant total. La question s’était ouvertement posée en 2018, mais le fruit n’était pas encore assez mûr. Les voici désormais réunis pour tenter une nouvelle fois de renverser Orbán.
Comment le Jobbik a-t-il pu connaître une telle révolution ? Retour sur le retournement politique d’une décennie.
Un parti radical qui a su s’imposer durant la période troublée de l’automne 2006
Le Jobbik est un parti qui s’est constitué en 2003 sur les bases d’un mouvement étudiant crée en 1999. Il s’efforce d’occuper alors le créneau du nationalisme face à l’autre parti nationaliste en déclin, le MIÉP du dramaturge István Csurka.
Après des débuts modestes, le Jobbik parvient à tirer avantage des événements de l’automne 2006, lorsqu’un discours à huis-clos du Premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsány est révélé à la presse, dans lequel il révèle dans des termes particulièrement crus les mensonges électoraux auxquels il au eu recours pour être reconduit lors des élections législatives d’avril 2006.
De scandale politique hors-catégorie, plusieurs conséquences :
des émeutes incontrôlées durant l’automne 2006 (on se souviendra notamment de la « promenade » d’un tank T34 subtilisé par un manifestant anti-gouvernement durant les commémorations du 23 octobre) et brutalement réprimées par la police, qui s’en prendra souvent à des manifestants pacifiques et passera même à tabac Máriusz Révész, député du Fidesz ;
l’effondrement électoral de la gauche (MSZP) et la mort politique du parti libéral (SZDSZ) qui avait été un pivot majeur de la politique hongroise depuis le changement de régime en 1990
la domination sans partage de la vie politique hongroise du Fidesz, qui a remporté tous les scrutins depuis les élections locales d’octobre 2006
l’émergence électorale du nationalisme radical
Tandis que le Fidesz reste soucieux de l’État de droit et refuse catégoriquement de s’aventurer en 2006 dans un renversement de gouvernement hors du cadre légal et démocratique, le nationalisme radical prospère auprès de ceux qui veulent faire tomber le pouvoir de Gyurcsány sans délai.
Durant toutes ces années, la figure de Gyurcsány fait figure d’exutoire pour une population excédée par le pouvoir politique et fragilisée par la dureté de la crise économique qui explose en 2006 d’abord, puis en 2008 avec la crise mondiale. À l’époque, les tracts du Jobbik appellent sans détour à mettre Gyurcsány en prison.
Le jeune parti Jobbik parvient à prospérer dans cette ambiance de guerre civile froide et frappe un grand coup en créant une milice civile – non-armée – en 2007, la Garde hongroise… Lire la suite !