Ukraine, les jeux sont faits, rien ne va plus

A peine, la soi-disant révolution ukrainienne est-elle terminée que déjà le voile se déchire. On feignait d’ignorer, en Occident, les nuances de cette lutte. Mais il devient difficile de nier, et les opinions européennes, manipulées par des médias dociles, doivent se rendre à l’évidence ; en désignant les gentils contestataires europhiles et les méchants loyalistes pro-russes, elles ont été bernées.

Il ne nous appartient pas de rentrer dans le détail de la composition des différents partis en présence, d’autres l’ont bien mieux fait que nous. Il ne nous appartient pas non plus de rappeler tous les enjeux stratégiques, d’autres encore l’ont fort bien fait. Mais remettons déjà les pendules à l’heure dans le domaine de l’honnêteté politique :

– Les gentils contestataires mêlent libéraux europhiles et nationalistes néo-nazis. Ce cocktail peut surprendre, mais il suffit d’ouvrir un peu les yeux et de se souvenir que, durant les années 1930, victimes de la famine organisée et des purges du grand frère russe communiste, les Ukrainiens vécurent l’entrée des Allemands dans leur territoire, en 1941, comme une libération. Ils déchantèrent vite, mais de nombreux partisans furent fidèles au Reich jusqu’au bout, et tous ne furent pas, heureusement, massacrés par les Rouges. Les survivants ont transmis la mémoire de cette épopée nationale à leurs descendants, et on les retrouve, aujourd’hui, autour du parti nationaliste et anti-russe Svoboda. Lequel parti ne cache pas son attachement au national-socialisme et son antisémitisme. Que font-ils avec des libéraux, des anarchistes, de simples hommes de la rue ? Ils ont en commun le même désir d’ancrage à l’Ouest, même s’ils ne rêvent pas tous à la même Europe. Ils sont soudés dans la même église nationale orthodoxe ukrainienne, ils cultivent la même hostilité vis-à-vis de la Russie.

De la démocratie, en réalité, ils n’ont pas grand chose à faire. Ils sont autant favorables aux libertés que leurs opposants.

– Ceux-là, justement, proches de la Russie, représentent une autre Ukraine, celle de la tradition politique séculaire du pouvoir ukrainien, lié à son allié moscovite, qu’il soit monarchique, communiste ou républicain. N’oublions pas que la Moscovie est issue de la Principauté de Kiev. N’oublions pas que la Crimée est un espace stratégique capital pour la Russie dans son contrôle de la Mer Noire. N’oublions pas, enfin, qu’un tiers de russophones vit dans ce pays.

Parlons-en, de ces russophones, ils représentent un tiers de la population, et le nouveau pouvoir issu de la révolution voudrait leur interdire de parler russe, voudrait les détacher totalement de leur patrie. Mais à ce compte, n’allons-nous pas vers une nouvelle dictature, ou vers une scission du pays, gravement dommageable à l’équilibre européen.

Une nouvelle dictature ? Elle est en route. Le Président déchu brillait par son autoritarisme et le peu de cas qu’il faisait de ses opposants. Mais il était démocratiquement élu par un peuple lassé de la corruption et de l’incompétence des triomphateurs de la révolution orange de 2004, qui tiennent de nouveau le haut du pavé. Les accords signés il y a quelques jours prévoyaient la formation d’un nouveau gouvernement et des élections anticipées. Mais à peine l’opposition avait-elle obtenue la majorité au Parlement, qu’elle violait les accords signés, destituait le Président et, tout récemment, l’inculpait de crime contre le peuple. Cela sent bon ses méthodes staliniennes. Les nouveaux maîtres étaient à bonne école, ils ont goûté 80 ans au communisme. Crime contre le peuple ? De quel crime parle-t-on ? Le bilan des émeutes montre des morts dans les deux camps. Il montre également des opposants armés, parfaitement organisés et décidés à en découdre. On pouvait reprocher au Président ukrainien de vivre en dictateur, pas d’avoir voulu maintenir l’ordre public par les moyens légaux à sa disposition. Si on regarde la violence des émeutes, la manière dont les opposants se sont peu à peu emparés du centre de Kiev, celle dont ils ont tués ou fait prisonniers des dizaines de policiers, on est même étonné que les forces de sécurité n’ait pas tirées à balles réelles plus tôt. En France, soyons honnêtes, si des groupes dissidents s’étaient emparés de la place de la Bastille et s’étaient mis à tirer sur la police à balles réelles, la riposte aurait été immédiate.

Ainsi, les contestataires, Timochenko, Tourtchinov, Iatseniouk, Tiagnibok et leurs acolytes se sont emparés du pouvoir par la force, avec le soutien extraordinaire des puissances européennes, et ils mettent en place les éléments d’un pouvoir sans partage. Une dictature chasse l’autre. N’aurions-nous pas mieux fait de nous tenir à l’écart ?

Nous avons préféré prendre parti, avec nos amis américains, contre la puissance russe, au détriment du peuple ukrainien, qui sera le vrai perdant, car on a montré le martyr de Kiev, on a chanté les louanges des contestataires, on a diffusé à longueurs d’antennes les photos poignantes de ces popes, la croix à la main, escortant les blessés et les prisonniers sous leur protection. Mais on a jamais parlé des ukrainiens russophones, on a jamais parlé du reste du pays, demeuré étonnamment calme. Enfin, on a montré les biens fabuleux du Président déchu Ianoukovitch, en le rangeant, dans l’imaginaire collectif, au niveau de Bokassa, Mobutu et Khadafi, mais sans jamais se demander si ses biens ont été acquis par fraude en tant que Président, ou honnêtement, dans les affaires, auparavant. En somme, le journaliste européen, partial, a joué son parfait rôle d’accusateur public digne des procès de 1793…

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas encore sortis d’affaires…

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69 Comments

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  • V_Parlier , 25 février 2014 @ 10 h 08 min

    Pour la vidéo: ils ne reconnaissent pas le pouvoir actuel, mais pour comprendre tous les détails sans risques de contre sens au sujet d’une éventuelle indépendance, j’aurai recours ce soir à une russophone native que je connais bien. ;-) (Sauf si quelqu’un traduit ici avant)

  • Catoneo , 25 février 2014 @ 10 h 14 min

    Poutine soutenait Ianoukovitch comme la corde le pendu. L’autocrate était jugé médiocre et le gouverneur d’Ukraine, je veux dire l’ambassadeur de Russie à Kiev, l’a lâché quand dans plusieurs villes la police a mis l’arme au pied.
    La fuite rocambolesque du satrape (démocratiquement élu) a achevé toute considération de la Russie à son endroit.
    La suite est à écrire, mais l’avantage a minima pour le Kremlin serait de récupérer la pleine souveraineté de ses bases en Mer Noire, et pourquoi pas la péninsule de Crimée.

  • Marie Genko , 25 février 2014 @ 10 h 20 min

    Il y a plusieurs inexactitudes historiques dans l’article de Gabriel Privat.
    Il y a des idées totalement hallucinantes exprimées par certains commentateurs sur cette discussion…
    Je vais commencer par traduire l’essentiel du discours du speaker du petit film joint ci-dessus par Eric.
    La scène se déroule à Sébastopol le speaker aborde trois points:
    1/ Il prend acte du coup d’Etat qui a été perpétré à Kiev par des nationalistes ukrainiens.
    2/ Il affirme que la Rada en place est illégitime
    3/ Il affirme parler au nom d’un comité exécutif de la République indépendante de Crimée, il exige des députés de la Rada de démissionnner. Enfin il prend acte du vote à l’unanimité de procéder à la formation d’une milice armée.
    Suit un chant militaire….

    Les inexactitudes de l’article:
    Fin 1917 début 1918 une république soviétique est crée à Kharkov par les bolchéviques. Ensuite une république indépendante est proclamée à Kiev par les nationalistes elle dure de 1919 à 1920.
    De 1920 à 1922 les armées polonaises et russes blanches (monarchistes) se succèdent sur le sol ukrainien. En 1922 la rébublique soviétique d’Ukraine adhère à l’Union soviétique.

    Il est tout de même impotant de se souvenir que la vague communiste a été subie par les Russes autant que par les Ukrainiens. Ce sont des dirigeants communistes Ukrainiens autant que Russes qui ont commis des crimes contre les Russes et les Ukrainiens.
    Il ne faudrait tout de même pas oublier que l’URSS était sous la botte de Staline (un géorgien!) de 1924 à 1953 et c’est entre autres Khroutchev un ukrainien qui porte la responsabilité du kholodomor en Ukraine!!!!!
    Avant 1917 l’Ukraine a été depuis le règne de Pierre le Grand et sa victoire sur les Suédois à Poltava (1709) une province de l’empire des Romanov.
    Elle était communément appelée Petite Russie. La langue officielle était le Russe.
    Un des plus grand écrivains Russe est Nicolas Gogol.
    La langue ukrainienne, parlée dans l’Ouest de l’Ukraine était un mélange de polonais et de russe. Réminiscence de la domination lithuano-polonaise sur ces territoires avant 1709.

    -Enfin il faut un minimum de connaissance des règles canoniques de la religion orthodoxe pour ne pas écrire des absurdités!

    Il ne peut être question d’Eglise autonome ukrainnienne tant que celle ci n’a pas été reconnue par l’ensemble des patriarcats orthodoxes!

    L’Eglise autoproclamée ukrainienne n’est à ce jour reconnue par aucun patriarcat orthodoxe! Pour les Orthodoxes elle fait hélas figure de secte…

  • V_Parlier , 25 février 2014 @ 10 h 21 min

    Tant qu’il y aura des martiens dans vos histoires et des projets un peu… rêveurs, on ne vous prendra pas au sérieux. C’est aussi simple que çà. (Et ce n’est pas moi qui me suis occupé de vos étoiles).

    A part tout çà, en dehors du sujet: oui, le solaire thermique c’est intéressant parmi d’autres choses. (Mais pour l’Ukraine, comment dirai-je…)

  • V_Parlier , 25 février 2014 @ 10 h 30 min

    Marie Genko,
    Vous venez de m’éviter beaucoup de travail pour ce soir et je vous en suis reconnaissant! :-)

  • hermeneias , 25 février 2014 @ 10 h 34 min

    Merci Marie Genko

    pour une intervention non idéologique et fondée en réalité historique plus profonde et qui voit plus loin que le bout de son nez nationaliste ( pourtant long , le nez )

  • V_Parlier , 25 février 2014 @ 10 h 43 min

    J’ai oublié de vous suggérer de poster sur le fil “Don Camillo en Ukraine” que vous avez lu. C’est le lieu tout à fait approprié pour remettre les pendules à l’heure à propos de la question de “l’église orthodoxe d’Ukraine” tant admirée par ceux qui ne savent même pas comment sont organisées les patriarcats orthodoxes. Ca peut être utile pour les lecteurs de passage!

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