Réduire le millefeuille administratif est devenu une tarte à la crème. Une certaine unanimité se dessine dans l’opinion autour de la nécessité de réduire le nombre des élus avec leurs privilèges et leurs coûts mais aussi afin de clarifier les attributions et d’éviter les doublons en ces périodes d’économies. Néanmoins, la suppression du cumul, pour justifiée quelle soit, a été voulu trop forte par la loi votée le 23 janvier 2014. En effet, comme le souligne à juste titre Éric Zemmour, nous aurons une représentation parlementaire de plus en plus coupée du pays réel. Plus que jamais, les partis décideront qui représente le peuple et l’oligarchie sera renforcée. En revanche, la fonction parlementaire sera rétablie dans ses fondamentaux puisque sa seule fonction d’origine est de voter le loi et de contrôler le budget, non de donner des claques au cul des vaches au comice agricole de Trifouillis-les-oies, vaste débat qui n’est pas celui du présent article !
Si tout le monde tombe d’accord sur le but de la réforme des collectivités, on ne s’accordera guère sur les moyens. Au pays des 300 fromages, de sérieuses divergences apparaissent sur les réalités même de l’entité régionale ou départementale. Des intérêts, des féodalités se sont constituées, qui rendent ce dossier particulièrement difficile et le tâche ardue à qui voudra s’y atteler dans le seul intérêt du pays. Il y a une France girondine et une France jacobine. L’une et l’autre sont encore pertinentes mais seraient surprises de découvrir leurs contradictions contemporaines.
Un mille feuilles de grand prix
Reste que le millefeuille coûte très cher. Pas étonnant, la France a quatre fois plus de communes que l’Italie et trois fois plus qu’en Allemagne (pourtant plus peuplée). Avec 577 députés et 348 sénateurs contre 435 représentants et 100 sénateurs aux États-Unis, le ratio français est de 1 élus pour 70 000 habitants en France contre de 1 pour 600 000 outre-Atlantique. Avec 5,5 millions de fonctionnaires, notre ratio est de 90 agents pour 1 000 habitants contre 50 en Allemagne. Surtout, depuis le milieu des années 90, la fonction publique territoriale s’est accrue de 800 000 fonctionnaires, les féodaux (socialistes) des régions ayant accru le nombre des “nutriti” (les nourris dans les textes médiévaux, le terme servait souvent à la place de vassi : vassaux). Résultat : la dette des collectivités locales s’élève à 173 milliards d’euros, soit 10% de la dette nationale. Une France sur-administrée mais sous-gouvernée. Tout l’enjeu étant de faire des unités territoriales adaptées à la modernité sans défaire la France. Soit, donc, deux entités connues de nos compatriotes : le département et la région. Leur histoire nous révèle quelques surprises.
Le département plus charnel et plus enraciné que l’on croit
Sur le département, pour une fois, nous tomberons d’accord avec le Président de la République qui semble le défendre. Mettons de côté sa dimension assez modeste aujourd’hui pour des impératifs de rationalité économique. Sur ce point, on pourrait accepter une dimension plus grande en laissant celui-ci comme circonscription de référence. Le discours entendu chez les conservateurs, a fortiori chez les monarchistes, contre les départements et pour les provinces, est entaché d’idéologie et n’a guère de signification. Le département doit être rejeté, nous dit-on, car c’est l’œuvre de la Révolution. Le département en effet, invention de la Constituante, est l’œuvre de Thouret (1). Il fit œuvre habile. Sa carte des départements reprend la carte des… évêchés non pas par intention cléricale (il avait voté la saisie des biens du clergé), mais parce qu’il savait que ces mêmes évêchés avaient été constitués à partir des pays (pagi) gaulois. Ces pagi gaulois correspondaient grosso modo à l’implantation des tribus gauloises à l’arrivée de César. Les Romains les conservèrent en l’état et, lorsque la Gaule devint chrétienne, tout naturellement les pagi devinrent des évêchés. La juxtaposition des cartes est tout à fait frappante même si elle souffre de quelques exceptions. Par exemple, lorsque l’importance du peuple dépasse les frontières du département-évêché, les Arvernes, ou bien que la “capitale” du peuple ne devint pas l’évêché par déplacement voulu par l’Église et que cet évêché devint le chef-lieu. Ainsi Jublains, petite ville de la Mayenne, capitale des Diablintes, tribu gauloise, ne devint pas un évêché, celui-ci ayant été transporté précocement à Laval qui devint chef-lieu de la Mayenne. D’autres département furent créés ultérieurement comme, par exemple, le Tarn-et-Garonne, en prenant des morceaux du Gers, du Lot-et-Garonne et de la Haute-Garonne. Pourquoi, alors, les évêchés ? Thouret défendait une idée fausse historiquement mais d’une rhétorique efficace sur le plan politique. La Révolution, c’est le peuple contre la noblesse (on sait ce qu’il faut en penser !). Le peuple, c’est le Gaulois, la noblesse c’est le Franc, l’envahisseur barbare qui créa et la noblesse et les provinces. Rien de plus faux historiquement mais rien de plus efficace en termes dialectiques, au moment où la Constituante exalte à la fois le peuple et la nation. Il s’agissait néanmoins de rebaptiser le département d’un nom qui ne rappelât pas trop le passé, et ce furent des noms de montagne, de fleuves le plus souvent, la géographie plus que l’histoire ! Exemple : la Vienne pour le Poitou (une partie tout au moins) et la Haute-Vienne pour le Limousin. On eut aussi la Loire-inférieure et la Seine-inférieure que le politiquement correct corrigea en Atlantique et Maritime (on ne pouvait, pour la Seine-inférieure, la remplacer par la Seine-manchote !). Quoiqu’on puisse penser de cette forgerie politique d’une incontestable habileté, le résultat, ajouté au fait que le département est d’usage biséculaire, est que celui-ci a une dimension charnelle et enracinée dans notre inconscient collectif. C’est ce qui peut expliquer l’attachement que lui manifestent les Français.
La région : entre identité et quantité
La région n’est certes pas la province, mais il faut souligner que si les provinces ont elles aussi une réalité charnelle, linguistique historique (on sait ce que veut dire Bourgogne, Provence, Normandie…), celles-ci ont été, tout au long de l’Ancien Régime, particulièrement fluctuantes, non seulement comme comtés ou duchés, mais aussi comme réalités administrative, judiciaire et fiscale. Certaines sont de petite taille, comme la Flandre, l’Artois, le Béarn, le comté de Foix ou l’Anjou et se retrouvent presque intégralement dans le département, respectivement le Nord, le Pas-de-Calais, l’Ariège ou le Maine-et-Loire. D’autres sont grandes, comme la Gascogne, la Bretagne et correspondent à des aires culturelles et linguistiques. Leurs sous-ensembles présentent souvent plus de cohérence à travers les pays. Par exemple en Bretagne, Pays de Retz, Pays du Léon, Trégor ; en Guyenne, le Quercy, le Rouergue, le Bazadais, etc.. Parfois l’appellation générale change : l’Aquitaine est peu usitée, souvent remplacée par la Guyenne et associée à la Gascogne. Sur le plan fiscal, le régime est différent, par exemple, sur la gabelle, petite, grande gabelle et même francs de gabelle (heureux pays!). Baillages et sénéchaussées constituaient les circonscriptions administratives, financières et judiciaires, elles-mêmes divisées en prévôtés royales. Ce sont ces dernières qui constituèrent l’entité électorale pour les élections des États Généraux de 1789, institution d’Ancien Régime par excellence. Il faut encore y ajouter les “parlements” et les “gouvernements” (militaires) régionaux de ressort fluctuant. Bref, le système se présentait affecté d’une forte sédimentation historique, touffue et fluctuante qui méritait qu’on y mit un certain ordre administratif, un peu à l’image du système fiscal français à la même époque, confus et inefficace qui justifia la réunion des États Généraux. Vauban, un siècle avant, avait préconisé la réforme du système fiscal (2), ce qui lui valu la disgrâce de louis XIV. Celui-ci, pourtant, annonçait déjà les déboires financiers des descendants du Roi Soleil.
Les régions gagnent leur autonomie
La région ne date pas de 1982, date où celle-ci reçoit l’appellation de collectivité locale au même titre que le département. Elle avait été précédée par la région de programme dès 1954 et aurait pu voir le jour en même temps que la disparition du Sénat par la loi de 1968 défendue par Jean-Marcel Jeanneney et soumise à référendum par De Gaulle, sans obligation constitutionnelle, en 1969. On connait la suite… Les français, ce jour là, ont été girondins. Ils ont défendu l’embryon de fédéralisme que constituait le Sénat dans une constitution fortement jacobine. Mais, dans son esprit, cette réforme, avait le mérite supérieur à la loi du 2 mars 1982 (dite loi Deferre) de ne pas risquer la féodalisation régionale. Ce qu’il faut retenir de la loi qui fonde les régions, cette fois avec succès, en 1982, c’est évidemment la suppression de la tutelle administrative et financière de l’État, mais ce n’est que le 28 mars 2003 que la Constitution consacre le principe de l’organisation décentralisée de la République et un statut de collectivité territoriale de plein droit à la région. Qu’on se rassure, si on aime le millefeuille, celui-ci continue de croître avec l’intercommunalité et, bien entendu, au dessus, la métropole ! Cette dernière a été voulue par Sarkozy et est appliquée par Hollande. Autant de locaux, autant de fonctionnaires autant de dépenses de fonctionnement, n’en jetons plus ! On aura sûrement noté une évolution de raison inverse entre la confiance du peuple dans ses élus et la multiplication de “représentations”. En réalité, le résultat est que la France a créé une caste, quelque chose comme une noblesse de robe qui est manifestement parasitaire. Il faut descendre à l’échelon du maire pour retrouver du respect et de la popularité pour la fonction. La région, quant à elle, n’a que des attribution limitées : les lycées, les transports l’aménagement du territoire, et pourtant, certaines prétendent établir des relations diplomatiques avec d’autres régions d’Europe par dessus l’État. La question est donc : faut-il la supprimer, faut-il en réduire le nombre ?
Faire les régions sans défaire la France
Quelques principes devraient inspirer le législateur dans cette action si complexe où l’intérêt national est souvent oublié. Les élus sont trop nombreux, élus trop longtemps, trop indemnisés. Le législateur non partisan sera écartelé entre plusieurs contraintes, celle de respecter les héritages du passé et celle de s’affranchir du fardeau du millefeuille de plus en plus lourd à digérer, celle de trouver la dimension critique nouvelle. Il semble que, dans cette logique, le regroupement de communes soit nécessaire sauf à transférer aux communautés de communes la majorité de leurs attributions. De même, le département pourrait être gardé comme circonscription administrative en regroupant les cantons, ce qui se fait aujourd’hui mais d’une façon maladroite et trop timide et que la parité vient compliquer par l’élection d’un binôme homme/femme comme conseillers départementaux (exit le conseiller territorial voulu par Sarkozy). Cette élection bisexuelle est grotesque et constitue une promesse de confusion supplémentaire. Au dessus, faire des regroupements pour passer de 23 à 15 régions, ce qui est dans les projets du pouvoir. Par exemple, fusionner les deux Normandie, l’Auvergne et le Limousin, le Nord – Pas-de-Calais et la Picardie. Le problème étant de limiter strictement leurs attributions pour faire la région sans défaire la France. On sait qu’en 2009, Nicolas Sarkozy avait restreint l’autonomie financière des régions, la fiscalité des ressources propres représentant moins de 10% des budgets, la DGF (dotation globale de fonctionnement sur le budget de l’État) constituant l’essentiel de ses revenus. Au vu des dépenses des régions, cette logique aurait du être maintenue par la révision constitutionnelle de 2010. À partir de 2015, les régions et les départements n’auraient plus agi que dans le cadre des compétences fixées par la loi, la clause de compétence générale étant supprimée. Mais comme Hollande n’a eu de cesse que de détricoter les dispositions de son prédécesseur, le projet de loi du 18 juillet 2013 a rétabli la clause de compétence générale, source évidente d’inégalités territoriales et de dépenses tous azimuts. Il parait clair qu’en cas de réforme des régions et pour éviter toute dérive, ne serait-ce que budgétaire, il est impératif de rétablir dans l’esprit de la loi de 2010, la limitation des compétences territoriales régionales aux seules disposition prévues par la loi et de supprimer le Haut Conseil des Territoires prévu par la loi de juillet 2013. Ce Haut Conseil de la catégorie des innombrables “observatoires”, sources de dépenses pour le plus grand nombre et de prospérité pour l’oligarchie.
Voici donc à peine esquissés les prolégomènes d’une réforme régionale. Parions que, malgré une existence assez récente, les regroupements de régions vont déchainer les passions “gauloises”.
1. Jacques Guillaume Thouret, avocat normand né en 1746, élu du tiers aux Etats généraux de Rouen. Girondin, il fut exécuté sous la terreur en 1794 avec l’avocat de Louis XVI, Malesherbes.
2. Projet pour une disme royale, il inventait la flat tax !
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