« Il court, il court le furet… » Cette ritournelle pourrait illustrer la stratégie « Macron ». Elle rappelle celle que Sarkozy avait mise en oeuvre : bouger sans cesse, passer d’un sujet à un autre, être sans cesse en mouvement pour ne jamais être une cible statique. Le 11 Octobre, il était à Rungis pour clôturer les Etats Généraux de l’Alimentation et parler de l’Agriculture. Le 15, c’était son Grand Entretien sur TF1 devant trois journalistes complaisants et séduits. Les regards énamourés de Pujadas laissaient apparaître une sentimentalité qu’on ne soupçonnait pas chez ce « journaliste » habituellement plus enclin à piéger ses interlocuteurs. Ce n’était pas une interview, mais un cours assez condescendant qui permettait au Président de dérouler longuement une pédagogie un peu hautaine, parsemée de formules sur sa volonté de faire comprendre ce que des élèves limités ont des difficultés à assimiler. Le 18 Octobre, il recevait à l’Elysée 500 hauts responsables de la Police et de la Gendarmerie pour évoquer la sécurité, et ses deux piliers, la lutte contre le terrorisme, et la nouvelle Police de Sécurité du Quotidien. Dans les intervalles, ce sont de multiples communications directes et indirectes de l’exécutif annonçant l’ouverture de nombreux chantiers et déployant à l’Assemblée les perspectives budgétaires. Les Français ont du mal à faire le point sur une image qui bouge tout le temps. Lorsqu’on les sonde, ils expriment leurs doutes et leur défiance grandissante. Les réticences se font plus fortes lorsqu’on descend l’échelle sociale. Une majorité lui fait encore confiance parmi les cadres et les professions intellectuelles, mais elle se réduit de 68% à 56% de Mai à Septembre. Chez les employés et les ouvriers, le basculement est net, de 58 ou 56%, on tombe à 32%. En revanche, cette évolution négative ne se traduit pas encore dans les manifestations et les mouvements sociaux, tant l’avalanche de nouvelles parfois contradictoires, comme la suppression de l’ISF, hors immobilier, et la taxation des signes extérieurs de richesse, brouille les radars et empêche de fixer la cible. La complexité est un écran de fumée qui fait partie de la tactique. La multiplication des seuils au-delà desquels, par exemple, l’augmentation de la CSG s’applique mais la suppression progressive de la taxe d’habitation ne se fera pas, fragmente les Français en groupes dont les intérêts ne sont plus les mêmes. La fragmentation des opposants potentiels est également une mesure qui retarde et atténue la montée du mécontentement. Mais à travers le brouillard qui finira bien par se dissiper, les mots vont reprendre leur sens. La « cordée » habilement jetée dans le débat pour justifier les avantages consentis à ceux qui réussissent va devenir un objet de plaisanterie amère pour ceux qui ne montent pas et davantage encore pour ceux qui descendent.
Tandis que la communication en sens unique, la parole permanente mais rarement exposée, saturent les canaux d’information, l’opposition est privée de terrain. Le mouvement qui soutient le Président ne se veut ni de gauche ni de droite et entend regrouper tous les Français qui soutiennent la « transformation du pays ». Ses représentants sont aussi bien des rescapés de la débâcle socialiste, prêts à tout pour survivre, que des arrivistes de droite « progressistes », c’est-à-dire réduisant la politique à l’économie, sans s’embarrasser inutilement de questions sociétales superflues telles que la PMA qui ne peuvent passionner que des conservateurs obsolètes. En dehors d’ »En Marche » et de ses alliés du MoDem et des « constructifs », voire de l’UDI, les partis qui devraient s’opposer à la politique menée, sont, soit anéantis comme le PS, soit affaiblis et divisés contre eux-mêmes comme LR ou le FN. La France Insoumise, à force de verser dans l’excès pour tenir le devant de la scène, sombre dans le ridicule en étalant ses insuffisances. Le discours de Macron comporte un certain nombre d’éléments, parfois ambigus, qui sont des signes séducteurs faits à l’opposition, celle de droite sur la sécurité ou l’immigration, celle de gauche, sur la PMA « pour tous ». Là encore le pouvoir s’avance masqué : lorsqu’il dit expulser les clandestins délinquants, veut-il dire qu’il accueillera les autres de mieux en mieux ? C’est probable. Lorsqu’il affirme exclure la GPA, il sait que les tribunaux la feront passer pour les enfants nés à l’étranger, et bientôt pour tout le monde pour faire respecter l’égalité.
En fait, la stratégie de Macron, complexe et embrumée en apparence, est limpide. La division des Français se fera, non plus entre la gauche et la droite des valeurs opposées, mais entre le haut et le bas, entre ceux de gauche et de droite qui réussissent, les bobos et les « bourges » des beaux quartiers, et tous les autres, ceux qui freinent et ceux qu’on traîne. L’homme qui a passé sa courte vie professionnelle à marier des entreprises, qui a permis comme Ministre ce qu’il avait souhaité auparavant, l’absorption d’Alstom Energie par General Electric, voit de la même façon l’avenir des Etats. L’Europe est appelée à remplacer les Etats-Nations désuets. Cela permettra aux « sachants » de diriger en dehors des lourdeurs démocratiques paralysantes, en imposant le règne du marché en synergie avec un droit voué à l’efficacité. Que feront les Peuples ? Rien, car ils auront cessé d’exister, en devenant de plus en plus nomades. N’investissez pas dans la pierre mais dans les actions, ne soyez pas propriétaire mais locataire, apprêtez-vous à changer plusieurs fois d’entreprise, de métier, de lieu de résidence, voire de pays. Cessez l’épargne de précaution, choisissez le risque. Soyez des individus mobiles dans une société fluide. La sécurité, je promets, dit Macron, de m’en occuper ! Plus ce projet apparaîtra comme un évidence, plus la France le rejettera !