La France ne se gère pas comme le parti socialiste. On n’ose même plus dire « dirige » ou « gouverne », tant les demi-mesures et les non-choix relèvent d’un amateurisme qui fait honte à notre pays et à son État. Qu’on aime ou non le Général, lorsqu’il a écrit que « la France ne peut être la France sans la grandeur », il a rappelé un idéal qui est au cœur de notre identité, qui anime tous les Français qui portent l’espérance et l’avenir de notre pays. Or, jamais sans doute ne s’est retrouvé au sommet de l’État quelqu’un qui soit à ce point éloigné de cette idée et manifestement incapable d’en ressentir la nécessité. L’entremetteur des courants, le fabricant de petites blagues faisait illusion dans les rédactions. Comme les chats gris la nuit, la médiocrité ne se voit plus tant elle fait partie du paysage. On a de la peine à imaginer que celui qui représente notre pays aux yeux du monde puisse parfois s’interroger sur sa responsabilité de successeur de tant d’hommes exceptionnels qui ont conduit la France . Certes, c’est plus facile lorsqu’on fait commencer la France en 1789… Mais, ne trichons pas, la France c’est le Philippe-Auguste de Bouvines, le Saint-Louis de la Renaissance capétienne, le Louis XIV du triomphe de l’âge classique et de Denain. C’est aussi une série d’hommes d’État qui n’ont pas été les chefs de cet État mais ont incarné admirablement le service du pays, de Richelieu à Clémenceau en passant par Colbert, et aussi par ceux dont les idées n’ont malheureusement pas su s’imposer à la désastreuse lecture idéologique de notre histoire, comme Turgot ou Guizot. La comparaison avec l’occupant provisoire de l’Élysée fait naître la curieuse impression d’un siège vide, d’une « absurde anomalie », comme écrivait encore de Gaulle.
Lorsque Bertrand de Jouvenel s’interroge sur les raisons de l’obéissance au pouvoir, il en évoque plusieurs. La plus importante qui conditionne toutes les autres est le sentiment de la participation, plus efficace que la crainte, l’idée que nous sommes dans le même bateau et que nous participons à l’effort commun parce que nous le voulons. C’est pourquoi le but que poursuivent le pouvoir et celui qui le détient est une seconde raison de lui obéir. Or, personne ne peut actuellement préciser l’objectif du Chef de l’Etat, qui n’est pas formulé clairement par l’intéressé lui-même, mais est contesté dans son gouvernement, sa majorité législative et son parti lui-même. L’idée d’inverser la courbe du chômage à coups d’emplois artificiels financés par des déficits qu’on prétend par ailleurs réduire est un minimum insuffisant, lorsque sur des questions comme l’économie, la fiscalité, l’environnement, la sécurité et l’immigration, on entend tout et son contraire. Jouvenel se réfère aussi à la « majestas », ce prestige dont le Général considérait qu’il était inséparable de l’autorité et n’allait pas sans une certaine distance. Ces derniers jours, le roi est tombé de son trône, car il s’est mêlé d’une affaire qui n’était pas de son niveau et s’est fait donner la leçon par une gamine mal élevée. Qui plus est, il a montré qu’il était incapable de faire des choix clairs. Bref, il a involontairement révélé qu’il n’avait rien compris à la charge qui est la sienne et n’en situait pas la hauteur. Il a abaissé la fonction présidentielle en avouant du même coup qu’il ne possédait pas les qualités requises pour l’exercer.
Dans la situation diminuée de la souveraineté à l’heure présente, le Président de la République sait que la politique étrangère est la partie la plus résistante de la peau de chagrin. Suivre aveuglément les États-Unis dans le monde et se soumettre à la suprématie allemande en Europe ne sont pas les meilleurs moyens pour la sauvegarder. Aucun de ses prédécesseurs n’a été aussi inexistant sur ce terrain, à l’exception d’une intervention au Mali qui n’était, certes pas, prévue au programme. À l’intérieur, le paradoxe est éclatant : n’osant rompre avec aucun des pouvoirs, des syndicats, des groupes de pression qui sclérosent la démocratie française, le Président a remis en cause une donnée anthropologique fondamentale pour « faire mode » et satisfaire un lobby tout-puissant. Casser un peu plus une institution fondamentale comme la famille pour faire plaisir à une minorité remuante est une curieuse conception du pouvoir et de ses devoirs. Il ne s’agit pas d’un accident, mais d’une ligne : c’est aussi pour caresser dans le sens du poil les lycéens mobilisés par la courroie de transmission du PS auprès d’eux que le Président a commis la double faute de proposer une solution illégale à une personne qu’il devait ignorer.
Il ne reste donc qu’une seule cause au pouvoir du Président : son origine. Il a été élu. Est-ce suffisant ? J’observe que le député M. Boutih disait récemment qu’il ne reconnaîtrait en aucun cas la victoire démocratique du Front national. Cette étrange conception de la République doit nous interpeller. Si les partisans du Chef de l’État refusent de reconnaître la légitimité qui suit immédiatement une élection, pourquoi ne pas défendre l’idée qu’un pouvoir qui reçoit aujourd’hui le soutien de moins d’un Français sur quatre, et voit monter la marée déferlante des mécontentements, doit se poser la question de sa légitimité non plus légale, mais réelle et interroger celui qui est le vrai Souverain : le Peuple. C’est ce qu’a fait le Général de Gaulle, parfois à son détriment, mais lui savait ce qu’était le Pouvoir, l’Autorité et la véritable légitimité.
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