Le Zemmour du mardi. Lance Armstrong ? “On ne l’aimait pas. On le respectait, mais on ne l’aimait pas. On ne savait pas pourquoi, on se disait que c’était pour de mauvaises raisons. Parce qu’il était Américain, qu’il venait dans notre tour à nous, longtemps chasse gardée des champions français, belges ou italiens, qu’il avait osé battre le record de cinq tours de France établi par notre Anquetil légendaire, record que même Eddy Merckx avait eu la décence d’égaler mais de ne pas effacer. Ces sept tours ne valaient pas vraiment les cinq d’antan, se disait-on avec une mauvaise foi toute franchouillarde, car personne ne l’avait jamais attaqué, personne ne l’avait jamais secoué. Amstrong n’avait jamais eu de rival à sa mesure, quand Anquetil avait eu Poulidor, Merckx Ocaña et Hinault LeMond. On se forçait quand même à l’admirer : son cancer vaincu, sa ténacité face à la maladie nous arrachaient un coup de chapeau. Mais on regardait ailleurs quand le Président Sarkozy le recevait avec tous les honneurs. On se disait qu’il en faisait toujours trop… Maintenant, on sait. On sait qu’on n’avait pas tort. Amstrong n’était pas seulement un tricheur de plus, Anquetil ne marchait pas qu’au champagne, et personne depuis lors. Le cyclisme est un sport de forçat. Mais Amstrong était un tricheur scientifique, un tricheur industrialisé, un tricheur à l’américaine. L’empereur de la triche, qui menaçait et exécutait les rebelles, les dissidents, les bavards, l’Al Capone du vélo.
“Comme les civilisations, les sports sont mortels”
En fait, Amstrong nous emmène dans la troisième dimension du sport, celle qu’on ne veut pas voir, celle des champions entièrement refaits par la science, comme le héros de la série TV, l’homme qui valait trois milliards : des champions bioniques, des champions entre l’homme et la machine, l’avenir du sport pris dans la démesure de la performance et de la rentabilité. Le cyclisme n’est pas le seul touché : tous les sports le sont à des degrés divers. On n’arrive plus à croire aux records, aux exploits. Ils nous laissent un goût amer dans la bouche. On a perdu notre innocence d’enfant. Le vélo est, avec le football, le sport le plus populaire. Il est donc touché avec les autres. Le Tour de France, c’est à la fois des paysages naturels somptueux et l’effort inouï de l’homme qui se dépasse : un spectacle presque métaphysique de l’infiniment petit qui chevauche dans l’infiniment grand mais y inscrit sa marque. De grands écrivains ont encensé les exploits dantesques des géants d’antan. Avec Amstrong, on aurait davantage besoin des lumières du dernier Prix Nobel de médecine. Il n’est pas sûr que le cyclisme et le Tour de France se relèvent d’une pareille épreuve. La boxe a connu un destin similaire, sport jadis très populaire, détruit peu à peu par la triche, les combines, le fric. Désormais, le noble art n’intéresse plus qu’un cercle réduit d’amateurs. Comme les civilisations, les sports sont mortels.”
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