La confusion entre religion et culture conduit à une inversion surprenante entre la tolérance théoriquement impliquée par la laïcité et l’obligation stricte revendiquée par la religion. Depuis quelques jours, le maillot de bain intégral qui correspond à la pudeur féminine exigée par les textes et la tradition islamiques, le « burkini » fait l’objet d’arrêtés d’interdiction sur les plages de plusieurs stations balnéaires. C’est donc la laïcité qui contraint et la religion qui proclame le droit de s’habiller comme on le veut. La France détient le secret de ces débats vestimentaires qui cachent son incapacité d’affronter le véritable problème qui est celui de l’immigration. Il y a eu dans les années 90 la question du voile à l’école. Parce qu’on ne voulait pas que les jeunes musulmanes affichent leur foi dans l’enceinte des écoles laïques, on a voulu interdire aussi les croix ou les étoiles de David, en oubliant au passage que ces mesures ne touchaient pas les établissements confessionnels et allaient favoriser le développement d’écoles musulmanes en contrat avec l’Etat mais à l’abri de leur caractère propre. La seule mesure intelligente était de favoriser le port de l’uniforme commun à tous les élèves d’un établissement. On a préféré légiférer sur ce sujet dérisoire. La « Burka », en fait le « Niqab », la première étant l’encagement afghan et le second, le voile intégral saoudien cachant aussi le visage, fut l’étape suivante de cette guerre du vêtement. J’ai, contrairement à la fois précédente, rédigé une Proposition de Loi sur le sujet. La motivation de l’interdiction était ici limpide : il est stupide d’installer des caméras de videoprotection partout si on accepte que des gens se cachent le visage dans l’espace public. Les arguments fondés sur la liberté et l’égalité des sexes étaient nuls et non avenus dès lors qu’une femme dit souhaiter se vêtir ainsi. Seul un pays totalitaire peut légiférer sur la manière dont les gens s’habillent dans l’espace public. On se souvient du bleu de chauffe des Chinois à l’époque de Mao. Le troisième acte de la comédie est donc le « burkini ». Les élus municipaux « républicains » suivent la ligne brouillée de leur parti en confondant politique et communication. Le burkini est une excellente occasion de faire parler de soi. Le pompon en revient au Maire du Touquet, une ville du Pas-de-Calais où les chances d’aller à la plage sans être couvert ne sont pas si fréquentes. On n’a jamais vu de burkini sur les bords de la Manche, mais l’héritier de Léonce Deprez croit tenir là l’opportunité de s’évader d’un carriérisme insipide. La raison invoquée pour proscrire cette tenue est le trouble à l’ordre public qui en l’occurrence ne s’est pas produit. Le seul cas semble avoir eu lieu dans une région plus ensoleillée, en Corse. Jean-Pierre Chevènement pressenti pour présider une fondation destinée à recueillir des fonds pour financer les lieux de culte islamiques a botté en touche en disant que les musulmans étaient libres mais devaient être discrets.
Entre la satisfaction un peu primaire de dire bien fort : « on est chez nous » et le ridicule d’une situation qui fait rire une bonne partie de la planète, l’opinion tangue. Est-il normal que dans un pays libéral, on puisse empêcher les gens de se vêtir comme ils le désirent. Il est grotesque de parler ici des valeurs de la France comme le fait Manuel Valls. L’impudeur serait-elle une valeur dès lors que les seins nus deviennent plus admissibles que le burkini. Il est trop facile à une musulmane de répondre qu’elle ne souhaite pas s’offrir aux regards comme une marchandise et que tel est son choix. En fait, de façon implicite, la réaction de rejet répond à une intention de provocation parfaitement identifiée, même si elle se camoufle en exigence pudique. Un maillot de bain « une pièce » était la tenue commune sur nos plages il y a quelques dizaines d’années. Serait-il choquant qu’une femme y ajoute un bonnet ? Non. En revanche, la tenue ample et sombre d’un seul tenant, des pieds à la tête, ne cache pas, elle provoque, et agace à juste titre. Le paradoxe de l’interdiction vient de la très grande liberté qu’il y a de se déshabiller qui légitime mal qu’on empêche de se couvrir. Le monokini, les seins nus, le nudisme marginal pratiqué ici et là parce que la police a autre chose à faire que de défendre la pudeur offensée, fournissent aux musulmans un argument de poids : « Ces corps dénudés nous choquent, mais nous sommes bien obligés de les tolérer. Pourquoi voudriez-vous stigmatiser notre correction vestimentaire ? » On se rend compte à quel point nous sommes loin de la religion, car la plupart des chrétiens souhaitent également une certaine rigueur du vêtement. La libération païenne des corps n’a rien à voir avec le christianisme. Alors, comme le Premier Ministre, on se réfugie dans les plis de la République laïque : le voile exhibe l’inégalité des sexes et la servitude féminine. Chacun sait que cet argument est de mauvaise foi. Cette tenue est en fait insupportable parce qu’elle nous jette à la figure la présence chez nous de gens qui n’aiment pas notre façon de vivre et affichent de manière ostentatoire leur différence, voire leur hostilité. Le costume n’est pas qu’une coutume, mais un message. Il dit qui vous êtes, et en l’occurrence se fait signal, un signal d’affrontement délibéré. C’est-là toute la question que l’on n’ose pas nommer, parce qu’elle remet en cause la litanie du « vivre-ensemble » et qu’elle dévoile la guerre en gestation entre les « communautés ».
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