« Moins cher », « plus pratique ». Les consommateurs se montrent assez enthousiastes (1) face à un Uber ou un Airbnb comme le montre l’étude réalisée par l’Institut Harris Interactive. Il faut dire que les pure players promettent d’alléger la facture et de faciliter le quotidien des consommateurs grâce à leurs outils 2.0. Et le modèle se répand à grande vitesse. Mais à quel prix ? Les doutes sont permis quand « l’ubérisation » touche à un domaine aussi sensible que celui de la santé. Les consommateurs doivent-ils se méfier du miroir aux alouettes ? Eléments de réponse.
L’ubérisation en route
On parle désormais couramment « d’ubérisation de l’économie » (2). Le phénomène désigne la façon dont certains acteurs utilisent l’économie digitale pour remettre entièrement en cause un ancien modèle économique bien installé, et révolutionner un secteur d’activité. Cela peut venir de la mise en place d’une plateforme qui réinvente la relation, et l’interface, entre le client et le prestataire ; ou bien d’une solution qui réinvente la relation entre le client et le produit ou le service, comme la suppression des intermédiaires « physiques » dans le cas des pure-players.
Les consommateurs bénéficient alors de nouveaux services en phase avec leurs usages digitaux actuels voire à venir (géolocalisation, communautés …), et, il faut le reconnaître, d’une qualité de service souvent améliorée. En prime, les prix sont souvent plus bas. Le modèle a-t-il forcément tout pour plaire ? Pas pour les acteurs « traditionnels du marché », qui avancent régulièrement que ces services 2.0 sont source de concurrence déloyale.
La transformation de l’économie
En effet ces derniers dénoncent une massification du recours à l’auto-entrepreneuriat : les pure players s’affranchiraient ainsi de contraintes organisationnelles et salariales, ce qui les rend plus agiles… et surtout moins chers. Des voix s’élèvent et pointent également du doigt un modèle synonyme de précarisation sur le marché du travail. Il y a de vraies questions à se poser sur la redéfinition de la législation du travail, et des secteurs réglementés à l’instar des débats houleux qui opposent chauffeurs de taxis et VTC. L’industrie du livre peut également en témoigner : Amazon, devenu géant de la distribution de produits culturels, a causé la disparition de nombreuses librairies.
Ces inquiétudes liées aux mutations de l’économie sont légitimes mais masquent souvent une problématique peu abordée : tous les services peuvent-ils se décliner sous la forme 2.0 ? Comment conseiller un consommateur à travers un écran ? Comment s’assurer que le consommateur a bien affaire à un professionnel ? Force est de constater que la dématérialisation n’est pas sans risque pour les clients. Ces questions se posent notamment s’agissant de la vente en ligne de produits de santé.
Des clients en sécurité ?
En effet, le développement de la vente en ligne n’est pas sans poser questions. Car il en va tout simplement de la sécurité des patients. Le débat est lancé s’agissant de la vente de médicaments en ligne : il s’agit de produits de santé, et non de biens de consommation. Difficile de se passer du conseil et de l’expertise d’un pharmacien formé ! « Je conçois que des entrepreneurs aient des idées pour faire du business avec le médicament, mais pour ce qui nous concerne, nous penchons du côté de la santé », rappelle Philippe Besset, président de la FSPF, l’un des principaux syndicats de pharmaciens. Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre des pharmaciens, précise pour sa part que « l’Ordre est favorable à la modernité et au digital, mais pas n’importe comment et surtout pas au détriment de la qualité, de la sécurité et surtout de la confidentialité des soins ».
Le marché de l’optique a également vu naître un ensemble de pure players qui vendent des lunettes sans qu’il soit nécessaire de passer par un magasin. Or la visite chez un opticien qualifié reste une étape essentielle pour se procurer des verres ou des lentilles, qui sont des équipements de santé, et pas seulement des accessoires de mode. « Le problème des pure players, c’est qu’ils vendent des lunettes sans centrage, sans ajuster la longueur des branches. Comment fait-on chez soi ? », s’interroge Yves Guénin (3), le secrétaire général d’Optic 2000. Ajoutons à cela qu’une paire de lunettes vendue sans réel diagnostic des besoins du porteur, c’est aussi une vue mal corrigée, des incidences en termes de fatigue visuelle et éventuellement de sécurité (certains métiers, comme ceux de la route par exemple, exigent un excellent champ de vision périphérique).
Le débat dépasse donc le simple clivage vente en ligne versus boutique physique, et pose plutôt la question du professionnalisme des « Uber » de la santé. Car en matière de santé, et plus particulièrement de santé optique, le savoir-faire de professionnels reste primordial. Certains gestes ne peuvent pas s’effectuer « en ligne » et nécessite un diagnostic personnalisé. D’ailleurs certains pure players convaincus voire militants, comme Sensee, ont revu leur stratégie : après plusieurs mois de pause, l’entreprise a rouvert son site… et inauguré deux boutiques !
Prendre le virage du digital
Car refuser l’ubérisation ne signifie pas pour autant refuser l’innovation…. Ainsi, il y a déjà quelques années, le groupe Optic 2000 a-t-il lancé son site de vente en ligne adossé à son réseau de 1200 points de vente. La commande peut s’effectuer en ligne, les essayages virtuels également, mais la livraison et les réglages sont effectués en magasin par un opticien qualifié. Les premiers retours de cette stratégie dite cross-canal (4) sont a priori satisfaisants : « avec 3 millions de visiteurs l’an dernier et 10 000 transactions, nous avons le site le plus vu de la profession », explique Yves Guénin.
Doctissimo propose pour sa part un ensemble de services à destination des officines qui voudraient se digitaliser, comme le scan d’ordonnance. Ce qui permet au patient de bénéficier de services complémentaires, et aux pharmacies de se moderniser… sans que la qualité des produits, des services, ou de la relation client n’en soit affectée. Car les risques de l’ubérisation de l’économie sont surtout là : faire oublier qu’il y a des expertises, des savoir-faire, et des exigences de qualité à préserver à tout prix…
George Fontaine
(1) http://www.usine-digitale.fr/editorial/infographie-l-uberisation-appreciee-du-consommateur-francais-moins-du-travailleur.N379952
(2) http://www.sensemaking.fr/Comment-Uber-bouleverse-notre-societe_a202.html
(3) http://www.atlantico.fr/decryptage/yves-guenin-optic-2000-avons-role-professionnel-sante-911142.html
(4) http://www.opticien-presse.fr/2015/03/06/optic-2000-devoile-son-magasin-du-futur-reposant-sur-un-concept-digital/
4 Comments
Comments are closed.