Il y a quelque chose de pourri au royaume de Jupiter-Narcisse. L’affaire Benalla n’est pas un détail, un incident isolé. C’est au contraire le signe qui révèle sans doute, plus que le style, la nature profonde du pouvoir actuel. Arrivé pour nettoyer les écuries d’Augias de la politique française, M. Macron, l’ancien énarque, conseiller de Hollande, puis son ministre qui connaissait le sérail de l’Elysée où il avait vécu dans l’ombre du prince, montre qu’il y patauge avec un bonheur sans partage. Prince à son tour, il s’évertue par un silencieux mépris à l’égard des critiques à prouver que son pouvoir est inaccessible aux questions qui pourraient l’abaisser. La cour des opportunistes et des arrivistes qui ont accompagné son étonnante accession au trône s’emploie à réduire le scandale à la faute personnelle d’un individu, déjà sanctionnée « comme jamais », grossie par une opposition illégitime et irresponsable, qui cherche à entraver la marche de la République. Mais ni les plaidoyers des uns, ni les leçons des autres n’éteignent l’incendie. D’abord parce que les pompiers, le « journaliste » devenu cireur de pompes, Bruno Roger-Petit, ou le président du groupe LREM, Richard Ferrand, ancien socialiste, ancien directeur des Mutuelles de Bretagne, et ministre éphémère, manquent de la moindre crédibilité. Ensuite et surtout, parce que les faits sont têtus. Les vidéos qui montrent Benalla s’acharnant sur deux personnes lors d’une manifestation Place de la Contrescarpe ne laissent aucun doute sur la violence du personnage ni sur son usurpation de la fonction policière. S’il s’était agi d’un excès de zèle d’un garde du corps désirant combattre les ennemis de son patron en dehors des heures de service, on aurait pu mettre ça au compte du dévouement quasi-passionnel d’un fidèle un peu bas de plafond, mais on apprend que celui-ci disposait d’un bureau à l’Elysée, accompagnait le Président dont il était très proche dans tous ses déplacements, disposait d’une limousine haut de gamme dotée des signes extérieurs des véhicule de police (aux antipodes des véhicules hors d’âge qu’utilisent le plus souvent les policiers), et allait même devenir Préfet après avoir été « nommé » Lieutenant-Colonel de Gendarmerie dans la réserve opérationnelle. A 26 ans, sans le moindre bagage, si ce n’est une formation dans les gros-bras du PS et sa participation à la campagne présidentielle comme garde du corps du candidat élu, la carrière du jeune homme avait pris un départ fulgurant. On se souvient alors d’un mot du lexique de la monarchie : M. Benalla était-il un favori ? N’était-il donc adoubé que par le bon plaisir du prince pour services rendus à sa personne ? La hiérarchie du mérite, du temps long ou des actes exceptionnels était doublée par le choix du monarque. La « République inaltérable » était bel et bien ébranlée.
Et l’Etat de droit, dont on nous rebat les oreilles, ne l’était pas moins ! Coups et blessures volontaires en réunion, usurpation de la fonction policière, port illégal d’insignes : tels sont les trois premier motifs de la garde à vue du nervi trop voyant. Mais les dates ne laissent aucun doute sur la protection princière. Les images de l’agression caractérisée contre un jeune homme et une femme ( Tiens, on n’entend pas Mme Schiappa ?!?) sont connues depuis le 2 Mai à l’Elysée. Une suspension de 15 jours avait paru suffisante. Sarkozy et Hollande avaient été plus sévères. Et le sbire avait continué à exhiber sans vergogne son passe-droit élyséen au Panthéon pour l’entrée de Simone Weil ou à l’arrivée des Bleus , dès l’Aéroport où il avait même prétendu donner des ordres à un gendarme en exigeant de lui le plus grand respect. Qui plus est, il disposait d’un logement depuis le 9 Juillet au Quai Branly, là où le prince loge les proches dont il a le plus grand besoin. C’est là que Mitterrand cachait sa seconde famille soustraite aux regards des Français avec la complicité des journalistes et du pouvoir. Autrement dit, le même système qui n’avait pas hésité à humilier des officiers généraux, des serviteurs courageux et fidèles du pays, protégeait un homme de l’ombre du souverain, au-delà de la Loi, puisque les faits connus auraient du être transmis au Parquet, dès le 2 Mai. Il n’y a pas de démocratie digne de ce nom dans le monde où un tel scénario puisse se dérouler.
Depuis, le chevalier blanc devenu roi s’accroche aux branches en chutant de l’une à l’autre. Chacune de ses parades renforce le doute et le malaise. Ainsi, cette fois Benalla est licencié parce qu’un fait nouveau est apparu. Trois gradés de la police lui auraient remis des vidéos pour lui permettre d’étayer sa défense. C’est ce quatrième motif, qui éclabousse la police au passage, sur lequel s’appuie le licenciement. Comme si l’ensemble n’accusait pas, au-delà de l’encombrant personnage, le fonctionnement de l’Etat français, celui d’un pays qui parle d’autant plus de République et d’égalité, qu’il multiple les privilèges et fait du coeur du Pouvoir, le Palais de l’Elysée, un lieu qui sacralise ceux qui y séjournent au point qu’ils se croient tout permis, et qui est craint dans la soumission par ceux qui ne devraient obéir qu’à la loi ! Mais le monarque, méprisant selon sa nature profonde, se tient coi et distant. Il envoie son Premier Ministre au Tour de France pour répondre aux journalistes au sujet de cette ténébreuse affaire. Là encore, notre grand réformateur volontiers moraliste bouscule allègrement les institutions. Pour le coup, Edouard Philippe, qui s’est abaissé à cette mascarade indigne, n’est pas directement en cause, car ce n’est pas lui qui est responsable des agissements de Benalla, mais celui qui l’a installé à l’Elysée. En revanche, il est responsable devant les Députés qui ont bien raison d’exiger de lui qu’il vienne donner des explications. D’ailleurs, puisque le Président tient tant à dialoguer avec le Parlement, en éludant le gouvernement, n’est-ce pas lui qui devrait venir ? A force de bousculer nos institutions pour modeler une « république » selon son goût, Jupiter-Narcisse serait pris à son propre piège. Un usurpateur modeste aurait mis en lumière l’usurpation structurelle qui définit le pouvoir que la France subit.
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