Peu à peu un sophisme est devenu le ressort de la pensée dominante, du politiquement correct qui régit les médias avec un conformisme auquel se plie par mimétisme une grande partie de l’opinion. Les traditions chrétienne ou révolutionnaire s’y réunissent pour penser qu’il y a plus de valeur humaine dans les bas-fonds que dans l’aristocratie. Le succès persistant des « Misérables » de Victor Hugo est une marque de ce préjugé national. Celui-ci peut se traduire, par exemple dans un domaine essentiel comme le monde scolaire, par :
1) Tous les mauvais élèves sont des victimes.
2) Toutes les victimes sont des bons.
3) Les mauvais élèves sont donc des bons….
Bien sûr, le raisonnement est faux, au moins parce que le mot « élève » a disparu dans la conclusion. Mais, c’est pourtant cette logique absurde qui oriente les réformes scolaires. Celui qui connaît un échec scolaire ne subit pas les conséquences de sa paresse, ni d’un QI auquel la génétique ne serait pas étrangère. Non, il est victime d’une société qui reproduit l’injustice, comme dirait Bourdieu. Il est victime d’un système qui n’est pas adapté à ce qu’il est, à son origine, à ses préférences ou à ses envies. L’école doit donc privilégier l’excuse pour refuser l’exclusion, réduire les inégalités plutôt que récompenser l’effort et le mérite, bannir la sélection au profit du nivellement, gommer les héritages et les traditions qui favoriseraient les héritiers au profit des nouveaux venus. Plus de latin, ni de Princesse de Clèves… Le but est qu’en donnant le maximum de moyens aux « défavorisés », on arrive enfin à 100% de réussite à un baccalauréat qui ne vaudra vraiment plus rien.
Cette logique compassionnelle est présente dans toutes les politiques. Il est tellement plus reposant d’être doux que d’être dur. L’ennui, c’est que les « durs », les rigoureux, les professeurs exigeants, par exemple, sans lesquels ni la société ni l’école ne tiendraient debout, deviennent des coupables, comme le sont les policiers répressifs qui auraient le front d’utiliser leur « flash ball » quand les Kalachnikov sont en vente libre, les propriétaires qui scandaleusement oseraient défendre leurs biens, les armes à la main, ou les politiques qui prétendraient faire appliquer la loi.
Le débat sur la crise grecque a donné à cette pathologie française une dimension européenne. Certains, à la fois marqués par les modèles américains, et par ce tropisme national ont présenté le tandem franco-allemand comme celui du « Bad-cop » et du « Good-cop ». Le premier, c’est Angela Merkel, prête à indiquer la porte de la sortie au tricheur et au cancre, le second, la larme à l’oeil, repêchant le malheureux, qui selon sa maman, ne dort plus,ne mange plus en raison des souffrances de son peuple-martyr de l’Euro. Pourtant, le dossier de Tsipras ne plaide pas en sa faveur : voilà quelqu’un qui se fait élire en promettant la lune à ses concitoyens, qui use de tous les expédients pour ne pas respecter ses obligations envers ses partenaires, qui par une démagogie irresponsable annule les mesures prises par le précédent gouvernement et entraîne un retour du déficit et de la récession, qui, acculé, sort de son chapeau un référendum-surprise, dont les résultats montrent que les Grecs rejettent l’austérité et qui finit, néanmoins, par accepter un plan plus dur encore que ce que le peuple avait refusé. Mais, la logique absurde de la victimisation l’emporte. Tsipras accepte le plan européen auquel il dit ne pas croire comme le pendu tend son cou à la corde. Il acquiert, grâce à un référendum dont on néglige la réponse, une légitimité inattendue. Le compassionnel Hollande se donne le beau rôle, lui dont la politique place également la France parmi les mauvais élèves européens. « Après moi, le déluge », se dit notre Président qui a un faible pour les « Pompadour ». La Grèce ne s’en sortira pas, mais mon image, elle, y a gagné. Pendant ce temps les regards accusateurs se pointent vers une élève tellement bonne que ce n’est pas normal, tellement travailleuse et modeste que ce n’est pas catholique ( ce serait d’ailleurs plutôt protestant). Angela Merkel a beaucoup à faire pardonner aux Allemands dont la réussite et la domination deviennent insupportables.
Dans son Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes, Rousseau avait écrit : » L’homme est naturellement bon… la société déprave et pervertit les hommes. » Cette pensée est à l’origine de la culture de l’excuse si présente depuis dans les « sciences sociales » et la politique. Elle dresse le pavois des victimes et le bûcher des hommes libres et responsables à qui il arrive d’être durs, y compris envers eux-mêmes.
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