L’entreprise européenne a longtemps porté avec elle , surtout dans le monde catholique, un fumet de bien-pensance. De manière corollaire, planait sur ceux qui s’y opposaient le soupçon d’ être de mauvais chrétiens.
Bien-pensance : les Eglises ont pris parti pour le oui, chaque fois qu’il y a eu des référendums sur le projet européen ( 1992, 2005) , croyant faire entendre là la voix de la raison. Cela est vrai de la Conférence des Eglises européennes mais aussi de la Conférence des évêques de France. La presse catholique du courant principal est à l’avenant. C’est dans cette ligne que le 14 mai dernier, le CECEF (Conseil des Églises chrétiennes en France) a publié un communiqué appelant à soutenir l’entreprise européenne aux prochaines élections.
On invoque les pères fondateurs, démocrates-chrétiens (et catholiques) tous les trois ; Adenauer, de Gasperi et Schumann . Le drapeau européen frappé des douze étoiles d’or rappelle celles qui nimbent la Vierge de l’Apocalypse . De ce fait, un homme comme Charles de Gaulle, quoique catholique pratiquant, se trouvait être un chrétien suspect du fait son opposition à Bruxelles. Pour les mêmes raisons, beaucoup de laïcistes se sont méfiés de la construction européenne.
Inversion des signes
Il est clair que ceux qu’inspirent encore ces vieilles lunes n’ont pas encore pris la mesure de la véritable inversion des signes qui s‘est produite au cours des quarante dernières années : tout se passe en effet comme si Bruxelles était devenue au contraire le centre nerveux de l’antichristianisme en Europe.
On s’est longtemps contenté de dire que l’Europe des Six issue du traité d Rome ( lieu significatif) était dominée par les forces catholiques et que l’élargissement y avait seulement accru le poids du monde protestant et donc anglo-saxon. Mais aujourd’hui la mutation est allée bien plus loin. En témoignent le refus d’inscrire les racines chrétiennes de Europe dans les textes constitutifs, la propagande active en faveur des évolutions libertaires les plus débridées , tant de la commission que du Parlement européen, où la majorité social-démocrate et populaire est toujours prête à toutes les surenchères, le harcèlement des pays qui leur résistent.
Le moment clef de cette inversion fut sans doute le rejet brutal de la candidature de Rocco Buttiglione au poste de commissaire européen en 2004 [1]. Buttiglione n’était pourtant pas un fieffé réactionnaire : proche de Jean-Paul II, il l’est aujourd’hui du pape François.
Ancien membre de la Cour des comptes européenne, Romain Rochas a, au vu de son expérience des hautes sphères de l’Union , rompu avec l’européisme. Il vient de publier un Livre noir de l’Europe[2] où il révèle entre autres la profondeur de l’antichristianisme des institutions européennes.
Si cela était nécessaire, on en verra la confirmation dans le récente réunion électorale qui s’est tenue à Varsovie en présence de Donald Tusk , président du Conseil européen en faveur de l’opposition européiste au gouvernement polonais. Y ont été tenus, sans que Tusk les désavoue, des discours d’ une grossièreté et d’une violence inimaginable à l’encontre de l’Eglise catholique, laissant loin derrière tout ce qui pouvait se dire en France au temps du petit père Combes.
Le fait idéologique
Il faudrait de longs développements pour approfondir les raisons de cette mutation qu’a connue l’idée européenne au point d’être désormais associée à l’antichristianisme le plus virulent. Mais il est assez clair qu’elle est inséparable de la dérive idéologique de la construction européenne. Loin d’être un projet de coopération naturel entre pays libres désireux de travailler ensemble, le projet européen est conçu aujourd’hui par ses partisans comme un projet messianique d’abolition des frontières et d’arasement du fait national. Il n’est pas seulement une réalité politique mais une révolution destinée à remettre en cause cette réalité anthropologue fondamentale qu’est le fait national.
L’expérience de siècle dernier a montré que le fait idéologique, que ce soit le communisme ou le socialisme national ( dit nazisme ), est toujours allé une hostilité radicale au fait religieux, ce qui est normal dès lors qu’il se pose comme une Eglise de substitution. Comment s’étonner qu’il en aille de même avec la troisième des grandes utopies, l’utopie mondialiste, dont le projet européen n’est, de l’aveu de Jean Monnet lui-même , qu’une étape ? Emmanuel Todd a montré comment l’engagement européen des élites françaises est parallèle à leur déchristianisation, la foi en la monnaie unique ayant peu à peu remplacé chez elles la foi au Dieu unique.
Il est temps que ce qui reste de croyants en France et en Europe ouvrent les yeux devant ce qui n’est pas seulement un affadissement des convictions chrétiennes des Pères fondateurs mais à une véritable inversion du rapport du projet européen à la civilisation chrétienne pour laquelle il est devenu une véritable machine de destruction.
Roland HUREAUX
[1] Ce rejet a d’ailleurs suscité un courant de méfiance vis-à-vis des institutions de Bruxelles au sein de la Curie romaine, jusque-là favorable au projet européen.
[2] Romain Rochas, Le Livre noir de l’Europe, Ed. Sydney Laurent
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