La politique n’est pas un art aisé, et le pouvoir est un exercice particulièrement périlleux, surtout pour ceux qui s’en emparent sans jamais avoir réellement réfléchi à ce qu’ils allaient en faire. C’est, très manifestement, le cas des clowns à roulettes qui dirigent la France.
L’histoire retiendra toute l’ironie d’avoir mis au pouvoir un parti nommé « En Marche » qui aura littéralement mis à l’arrêt tout le pays pendant deux mois : le 13 avril dernier et conformément à ce qu’on savait déjà et qu’on redoutait évidemment, le président de la République française a annoncé que le peuple français reprendrait une louchée d’un mois de confinement, de cerfa auto-signés, de vexations maréchaussées et d’indécision chronique du gouvernement.
Sur fond d’une pandémie dont on commence à comprendre qu’on n’en sera pas débarrassé en quelques semaines, confinées ou pas, il nous aura donc expliqué que le gouvernement allait se pencher sur un déconfinement à partir du 11 mai, laissant subrepticement en suspens la question de savoir ce que ce même gouvernement bricolait depuis le 17 mars et pourquoi il lui faudra donc un mois de plus pour autoriser les gens à reprendre leurs activités.
Macron n’aura cependant pas dérogé à ses habitudes : dans un discours ampoulé et gavé d’un lyrisme de Prisunic déclamé comme un théâtreux adolescent qu’il n’a finalement jamais cessé d’être, le président nous aura gratifié de ce « en même temps », véritable marque de fabrique de son quinquennat passé à se tortiller la nouille d’indécision entre un attentisme confortable et une action aussi effervescente qu’à côté de la plaque.
C’est ainsi qu’il fut question ce lundi 13 avril de conserver confinés les personnes âgées et les individus à risque. Et alors que le côté anticonstitutionnel de cette discrimination ne pouvait normalement pas échapper au gouvernement (on imagine, faussement apparemment, qu’est vérifiée la solidité des aspects juridiques des propositions balancées à la télé), il aura fallu attendre le vendredi 17 avril pour que ce confinement discriminatoire disparaisse par évaporation rhétorique.
Cette péripétie, bien qu’anecdotique, illustre en réalité assez bien la façon dont le gouvernement et les institutions gèrent cette crise en particulier et plus généralement la vie des Français, c’est à dire absolument n’importe comment, dans une improvisation et un amateurisme complets qui dénote surtout la totale déconnexion des administrations et des gouvernants de ceux qui, par la force des choses, les nourrissent. J’emploie à leur sujet le terme d’Occupant intérieur qui semble de plus en plus approprié à mesure que, la crise aidant, leurs exactions apparaissent au grand jour.
Ce phénomène n’a rien de nouveau, le poids de ces administrations, leur encombrement législatif et procédural, le nombre exponentiel de formulaires à manipuler pour obtenir quoi que ce soit dans ce pays n’ayant cessé d’augmenter ces dernières décennies. Cependant, son caractère toxique et invasif n’apparaissait pas aux yeux des Français car il était jusqu’à présent diffus, caché derrière un mélange de propagande (« le système social que le monde entier nous envie », « la cinquième pardon sixième puissance du monde, les enfants, ça ne rigole pas », etc.) et un aveuglement commode leur permettant d’accepter leur sort de moutontribuable régulièrement tondu ras.
La crise sanitaire et le choix du confinement auront mis en exergue, d’un coup, l’ensemble des incroyables lourdeurs, des scléroses intellectuelles invraisemblables et des paralysies mortifères de tout l’édifice administratif français. Elle aura démontré l’obésité morbide de l’État, incapable ni de comprendre les principes de bases de l’économie de marché (Bruno Le Maire devenant le polichinelle emblématique de cette opacité mentale), ni le caractère indispensable de la liberté (individuelle, de marché, j’en passe) pour résoudre aussi bien les problèmes de logistique de base que les problèmes sanitaires ou humains.
Dans l’optique macronienne, qui n’est – soyons honnête – que le prolongement d’une logique franco-française tenue pour indépassable depuis au moins 40 ans, l’État décide ultimement de tout, autorise ou interdit explicitement chaque acte, chaque procédure, chaque liberté. Dès lors, quelques semaines après avoir déclaré, grandiloquent, que l’État s’occupera de tout et paiera tout, lorsque Macron fait appel à la « responsabilité individuelle » pour essayer de mitiger les conséquences catastrophiques du confinement qu’il a pourtant décrété et que l’État encadre à coup de ridicules autorisations citoyennes, il fait appel à un concept qui a été consciencieusement banni du territoire dans lequel l’État-Providence peut tout, fait tout, décide de tout, paie tout.
Depuis plus de quatre décennies, l’administration et l’État ont, très progressivement mais inexorablement, retiré tout sens commun des Français, toute propension à utiliser leur liberté et leur responsabilité. Mieux : à force de lois, de petits cerfas et de coups de tampons idiots mais incontournables, ces administrations ont fait en sorte de criminaliser l’usage de leur bon sens et de leur responsabilité.
Dans cette situation, il n’y a plus qu’une longue liste de choses que l’État autorise ou interdit explicitement, quitte à s’embourber dans la complexité du réel comme le démontre de façon cocasse et ridicule l’actuelle discussion autour de la définition de « petit » pour les festivals, suite à la lumineuse idée de Riester de leur maintien tant qu’ils sont « petits », les autres étant bien évidemment interdits :
« Par contre, un petit festival rural, avec une scène, un musicien et 50 personnes, qui sont à un mètre les unes des autres, sur des chaises, et qui ont un masque, et en ayant en rentrant sur le site la possibilité de bien se laver les mains avec des produits spécifiques, on pourra tenir ces festivals-là »
On imagine déjà le texte d’un prochain décret définissant dans le sabir administratif habituel ce qu’est un « petit » festival, la distance entre les chaises, le nombre de flacons hydroalcooliques qu’il devra fièrement positionner à son entrée, voire (pourquoi pas ?) le nombre de guitaristes ou d’accordéonistes et la puissance nominale des haut-parleurs tant qu’on y est.
Grâce au travail imputrescible et indispensable de ces tâcherons du décret et de la procédure administrative, la France n’est plus qu’un immense marécage putride d’interdictions, d’autorisations distribuées au compte-goutte, minutieusement millimétrées, dans lequel les habitants sont maintenant sous la coupe d’un Occupant intérieur qui ne se cache même plus de vouloir les pister jour et nuit. Et apparemment, les Français en sont contents.
Ce pays est foutu.
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