Prévoir ce qui va se passer, en France, revient souvent à prévoir le pire (tout en espérant le meilleur, qui arrive de plus en plus rarement). L’incendie de Notre-Dame de Paris en est une nouvelle illustration…
Dès mardi et alors que les cendres fumaient encore, j’évoquais les risques qui pesaient déjà sur l’avenir du monument en notant qu’il ne faudrait pas longtemps pour que la faune politique s’empare du sujet et tire rapidement la couverture à elle, au détriment de toute pudeur et de toute prise de recul qu’un tel événement devrait pourtant imposer.
Cela n’a évidemment pas loupé.
Il y a bien sûr eu la polémique, inévitable, sur les dons des grandes fortunes et des entreprises du CAC40. Pour tout ce que la France compte de gauchistes indécrottables, il ne faisait pas l’ombre d’un doute que les dons de ces personnes et de ces entreprises n’avaient qu’un but exclusivement fiscal. Et une fois qu’on a appris que ces dons ne seraient pas utilisés pour des opérations de réductions fiscales, une fois qu’il fut expliqué que les sommes n’ouvraient en réalité aucun abattement de taxes (les sociétés ayant déjà atteint le plafond), la même engeance ne pouvant plus guère utiliser cet argument, trouva celui du buzz médiatique que ces dons étaient censés représenter : pas de doute, ces dons n’étaient qu’une opération de communication !
Gageons cependant qu’elle trouvera une autre raison d’exécrer les riches lorsque ceux-ci feront leurs prochains dons anonymement.
Pour d’autres encore, ce fut l’occasion de déverser quelques barils de moraline bien grasse à coup de « hiérarchisation des émotions ». On notera la performance de l’ex-footballeur Thuram qui, parallèlement, ne s’est pourtant jamais offusqué des transferts multimillionnaires de coéquipiers célèbres et des contrats juteux qu’il aura signés.
La cohérence globale de ces individus ayant toujours laissé à désirer, on ne s’étonnera pas plus de ceux – officiellement de gauche – qui ont émis de petits couinements sur le mode « on donne trop pour la Cathédrale et pas assez pour nos SDF », argument étonnamment proche d’un « on donne trop pour les migrants et pas assez pour nos SDF » d’autres couineurs – ouvertement de droite et qui montre que l’idée de faire ce qu’on veut de son propre argent est, en France, une idée absolument inouïe, alors même que les Français (ceux qui ne couinent pas) donnent, largement, et ce même alors que leurs impôts augmentent toujours…
Cette cacophonie n’a pourtant pas empêché la popularité du chef de l’État de progresser puisque selon un sondage, elle atteindrait à présent 32% de bonnes opinions, ce qui, au passage, laisse 68% de mécontents dont le sort ne préoccupe que très vaguement l’exécutif français. Il faut dire que pour une majorité de Français, le président Macron a « bien géré » l’incendie de Notre-Dame et a probablement gagné ces quelques points de popularité lorsqu’il a décrété que le chantier de reconstruction serait bouclé en 5 ans.
Après tout, un plan quinquennal dans un pays soviétique ne choque pas, et il sera d’autant plus facile à tenir qu’il sera financé avec l’argent des autres qui – ça tombe bien – coule à flot.
Du reste, les dons déboulent si vite et si fort que, toujours en conformité avec ce qu’on pouvait prévoir de pire, il n’a pas fallu longtemps pour que cette abondance se traduise par un désir renouvelé d’encadrement. Au prétexte d’une fraude pourtant toujours présente dans toutes les catastrophes où des appels aux dons sont lancés, le gouvernement a donc publié un décret visant à détailler ce qu’on allait faire des dons affluant pour restaurer la cathédrale.
Rassurez-vous : il semble en effet qu’une partie de ceux-ci pourraient bien être consacrés, éventuellement, à restaurer l’édifice. L’ensemble des sommes sera tout de même porté au « budget général de l’État » (celui-là même qui est en déficit depuis 40 ans, ce qui rassure tout de suite) et le ministère de la Culture pourrait donc voir ces dons débouler dans son budget propre, moyennant, cela va de soi, une petite loi pour encadrer tout ça ainsi qu’un Comité avec président et membres honoraires et, on le subodore, l’une ou l’autre commission avec des petits rapports annuels et autres joyeusetés qui seront rémunérées en prouts de licorne puisque, c’est Ed le ministre qui le dit, chaque euro destiné à la reconstruction de la cathédrale ira à cette réfection et rien d’autre.
On ne s’interrogera pas, même pas de façon fugace, sur le cadre légal des dons qui existe pourtant déjà, puisqu’on vous dit qu’il en faut un autre, plus solide, plus sûr, plus transparent. Ce sera l’occasion (inespérée, avouons-le) d’ajouter une surcouche de lois et de décrets dodus sur l’épaisse fiscalite granitée déjà présente dans les strates géologiques profondes et qui forme un tablier aussi solide qu’impénétrable pour toute fondation digne de ce nom.
On ne s’interrogera pas plus sur la pertinence de faire encadrer tout cela par les mêmes instances qui furent en charge de l’édifice jusqu’à présent, à commencer par le Ministère de la Culture, ici probablement récompensé par cette excellente gestion qui a abouti à voir une toiture multicentenaire partir en fumée.
Non, décidément, ces interrogations sont inutiles puisque tout est déjà cadré et bien enquillé pour un nouveau succès de l’équipe gouvernementale en place qui pilote finement le pays vers de nouvelles vallées de miel et de lait. C’est décidé : il faudra bien 5 ans et un milliard d’euros pour venir à bout de cet immense chantier dont la réalisation nous laisse déjà deviner qu’on assistera à un feu d’artifice de bon goût, de pertinence et de progrès pour cet édifice religieux.
La Cathédrale avait besoin d’un miracle ; avec Macron et son équipe, elle y aura droit. Il n’y aura ni dérapage dans la durée des travaux, ni dépassement de budget. La reconstruction sera solide, réussie, dans le temps et le budget imparti, dans la plus grande transparence.
Un miracle, je vous dis.
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