Depuis le récent remaniement ministériel, plus aucun doute n’est permis : la majorité ne gouverne plus, ni de près ni de loin. Le président Hollande, réduisant ses objectifs à un seul, sa réélection à tout prix, tente un peu tout et n’importe quoi, en vrac, pour inverser une courbe du chômage devenue synonyme d’épieux douloureux dans le fondement de son futur quinquennat. Et pour plier cette courbe à son objectif électoral, le président semble tout miser sur… Myriam El Kohmri.
La stagiaire a donc monté dans les tours et le petit moteur vrombit maintenant à plein régime : voilà une belle loi, toute pimpante et fort vigoureuse, destinée à réformer en profondeur le droit du travail. Si, dès la lecture de cette ligne, vous avez comme un sentiment de déjà-vu, c’est normal. Cela fait plusieurs mois que le droit du travail est sur la sellette, et plusieurs mois qu’on parle de le réformer aussi vigoureusement dans les mots que mollement dans les actes.
On se souvient sans mal qu’en novembre dernier, déjà, étaient évoquées quelques pistes musclées pour redonner un peu de latitudes aux entreprises et aux employeurs dans un pays complètement calcifié par les codes, et on se souvient aussi qu’après examen minutieux des propositions d’El Kohmri, il ne restait pas grand-chose des belles intentions de départ, à l’exception peut-être du montant des tickets resto, ouvert à négociations…
Mais cette fois-ci, c’est du sérieux. C’est d’ailleurs d’autant plus facile à comprendre lorsqu’on voit que toute la gauche ou presque s’est levée, comme un seul homme, pour dénoncer le projet de loi en question : depuis les députés frondeurs qui dénoncent « le retour au droit féodal », « la plus importante contre-révolution depuis un siècle » ou « une trahison de la gauche », en passant par un Gérard Filoche remonté comme un coucou suisse et qui réclame à qui veut l’entendre une grève générale de tout le monde partout et tout le temps possible, il n’y a aucun doute que l’actuelle ministre du Travail a touché un paquet de cordes sensibles.
Il faut dire qu’avec ce que propose El Khomri, il y a matière à débat voire à crises de nerfs dans les rangs de gauche et des syndicats où, on le rappelle, leur désir permanent de venir en aide aux chômeurs et aux pauvres les en fait créer de nouveaux un peu tous les jours. Qu’on en juge ici : des entreprises qui pourraient déroger aux règles de rang supérieur, une plus grande souplesse dans les horaires hebdomadaires, notamment en cas de problèmes économiques, le plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement déclaré abusif, refonte des principes du licenciement économique, bref, tous les sujets explosifs sont mis sur la table, et relayés par une presse qui se fait fort de présenter la proposition de réforme d’une façon délicieusement neutre.
Dans ce contexte, pas étonnant d’observer une crispation brutale, complète et probablement définitive des syndicats et des politiciens, au point que soit envisagé le passage en force de la loi, utilisation du 49.3 à la clef.
Au vu de ces crispations, de ces pétitions, de ces cris enragés, de ces hurlements, de ce déferlement de consternations, on sait déjà que si une telle réforme devait effectivement voir le jour, ce ne serait qu’après un rabotage massif diminuant drastiquement la portée du texte. Heureusement, Hollande est déjà intervenu, tant pour calmer le jeu que remettre la ministre dans son cadre en rejetant toute possibilité du sulfureux 49.3.
Autrement dit, tout ceci va, encore une fois, se terminer en jus de boudin.
Mais, du reste, peut-on vraiment s’en étonner en France ? La question n’est pas seulement rhétorique : encore une fois, en France, une volonté de réforme va être très proprement étouffée dans l’œuf. On savait déjà fort bien, par les nombreuses tentatives et les nombreux échecs qui se sont accumulés les décennies précédentes, que les « réformes » menées en douceur en faisant de longues négociations impliquant toutes les parties concernées (essentiellement donc, les syndicats) n’aboutissaient à rien de vraiment palpable ni en matière de simplification des codes, ni en matière d’assouplissement des lois et règlements qui corsètent l’emploi en France, que du contraire même. On sait maintenant aussi que le passage à la hussarde – dans les mots tout au moins – ne marchera pas non plus.
Et si on peut l’affirmer calmement, c’est simplement parce que tout, en France, participe de cette illusion que les syndicats sont là pour protéger les salariés et non leur petit pré carré, que le patronat ne veut que la perte des salariés, que l’exploitation de l’homme par l’homme bat son plein, et que toute la propagande (il n’y a pas d’autres mots) est en place pour frapper d’anathème tout ce qui pourrait redonner un peu de mou à la gestion des emplois.
Et le meilleur anathème reste bien évidement celui du libéralisme.
Or, avec un timing absolument génial, qu’observe-t-on actuellement ? Un déferlement d’antilibéralisme primaire, viscéral même, tant pour fustiger ce projet de réforme que pour bien faire comprendre que l’État et les syndicats sont les seuls remparts contre un monde abominable qui se dessine si jamais on applique les propositions d’El Khomri.
Comment ne pas voir la coïncidence commode de la diffusion, actuellement sur Arte, de la navrante série Trepalium, dans laquelle est décrite une société dystopique avec architecture soviétique, personnages déshumanisés, pauvreté endémique typique des pays communistes, un état policier intervenant massivement dans l’économie, des apparatchiks ultra-protégés, des méga-entreprises tellement de mèche avec l’État que les mots de connivence, corruption et copinages deviennent de délicats euphémismes, et pourtant, malgré l’écrasante évidence, comme l’explique Jesrad dans un récent billet de blog, au lieu d’y voir une critique d’un système totalitaire typique du socialisme, toute la presse, toutes les critiques, et mieux encore, tous les téléspectateurs biberonnés aux informations étatiques françaises n’y voient qu’une critique évidente … du libéralisme, bien sûr !
On pourrait revenir sur la parution, là encore avec un minutage diabolique, d’une énième tribune d’économistes atterrants réclamant l’abandon de toute austérité (ah oui, cette terrible austérité qui a fait exploser la dette française au-dessus de 2000 milliards d’euros et qui provoque des dépenses toujours accrues des administrations publiques, ben oui), économistes frétillant de gauchisme et fustigeant un Hollande pour lequel certains n’avaient pas hésité, en 2012, à apporter un soutien chaleureux voire humide… Quelle bouffonnerie !
Et on pourrait parler de douzaines d’autres exemples dans la presse et ailleurs incitant tout le monde à conclure que la France souffre actuellement d’un trop plein évident de turbo-libéralisme destructeur, exemples qui, au demeurant, fonctionnent à merveille auprès d’une populace toute acquise à cette alter-réalité.
Dès lors, comment voulez-vous qu’une réforme, même timide, soit envisageable ? Et plus à propos, comment peut-on croire qu’une stagiaire qui serait dépassée par un simple strapontin dans son propre ministère pourra porter autre chose qu’un bricolage a minima ?
> H16 anime le blog Hashtable.
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