On pourrait ergoter, mais comme je le notais dans un précédent billet, le mouvement débuté samedi 17 novembre a effectivement permis de lancer un premier message : la taxation que les Français subissent a atteint le point haut où il commence à devenir rentable de sortir de chez soi pour rouspéter. Comme je le notais aussi, cela n’a absolument pas empêché le sommet et son gouvernement ni de cordialement mépriser le cri du cœur venu de la base, ni de continuer à la taxer.
C’est avec consternation mêlé d’une absence totale de surprise qu’on apprend ainsi que le Sénat a donc, probablement pour fêter l’entrée en jeu des Gilets Jaunes, augmenté une taxe sur les mutuelles de 40%.
C’est ainsi qu’on apprend qu’une taxe supplémentaire sera bientôt mise en place pour la collecte des poubelles (pourtant déjà couverte par les taxes locales, d’habitation et foncières, dont les modifications récentes n’ont pas fait que des heureux).
On pourra se rassurer en constatant que l’avalanche taxatoire touche aussi les Parisiens (hormis leurs élites, ne nous égarons pas) qui verront bientôt une nouvelle taxe sur les meublés touristiques. Notons au passage que malgré cette taxe, instaurée pour compenser l’hypothétique baisse de la taxe d’habitation, la Mairie s’empresse d’expliquer pourquoi elle a bien pu augmenter. L’ingénierie financière dans la Capitale (et son trou de plusieurs milliards d’euros maintenant), c’est du sérieux.
Une bonne nouvelle dans ce fatras de taxes naissantes : celle instituée sur les Netflix et autres Youtube a fini par rapporter 7 millions « pour le cinéma français ». Rappelons qu’à l’instar des taxes sur le lait qui sont payées – comme chacun sait – par la vache, les taxes sur les vidéos en ligne sont bien évidemment payées par les sociétés de distribution. Mais si. Puisqu’on vous le dit. Le Français, heureux, en redemandera sans doute.
Comme il redemandera sans doute une grosse louchée de sécurité routière ; la limitation à 80 km/h ayant déjà eu des résultats fumants, on va à présent proposer les « contrôles routiers furtifs » : puisque la signalisation des radars par des panneaux et sur les applications mobiles dédiées permettait à beaucoup d’éviter la prune, il a été judicieusement décidé de mettre fin à cette signalisation. On appréciera la raison invoquée (la lutte contre la criminalité) qui est à la sécurité routière ce que la taxe carburant est à la lutte contre la pollution ou la tournante des Cités au romantisme amoureux : un bon gros foutage de gueule des familles ; il suffira d’apprendre que, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2018, le gouvernement a choisi de réaffecter 577 millions d’euros de ces taxes « écologiques » vers le budget général pour bien le comprendre.
Devant ces derniers éléments récents, pas de doute : la prise de conscience que la bastonnade taxatoire est allée trop loin semble bien lente au gouvernement.
En revanche, elle est bien présente chez les politiciens d’opposition et chez les syndicats.
Chez les premiers, le simple fait qu’ils tentent par tous les moyens de récupérer le mouvement montre qu’ils ont nettement perçu son caractère populaire et transversal à la société française. Voir un Wauquiez ou un Mélenchon trainer leurs yeux globuleux et humides de désir populaire dans ces manifestations ne laisse pas l’ombre d’un doute sur l’ampleur du mouvement qui ne les aurait jamais intéressés s’il n’avait concerné qu’une trop faible proportion de votants…
Chez les seconds, la nature même du mouvement, indépendant de tout syndicalisme, empêchera nos amis encartés de se rattacher, même de loin, à ce genre de manifestations. Griller de la merguez achetée sur les fonds du syndicat ne pose aucun souci ; envisager de le faire pour de la merguez sauvage, non sanctionnée officiellement par un baron syndical, c’est absolument impensable et introduirait une concurrence malsaine qu’en bons anticapitalistes, ils ne supportent pas.
Bref : un gouvernement résolument sourd, des politiciens concernés parce que cupides (au moins électoralement), des syndicalistes terrorisés de voir leur terrain de jeu se dérober sous leurs pieds… La situation, quasi-inédite, est en place.
On doit à présent s’interroger sur les suites possibles sachant que le mot d’ordre (la baisse des taxes et donc, au final, la baisse de la dépense publique) est parfaitement légitime.
En effet, comme la grève de l’impôt n’est guère envisageable (et qu’elle est sévèrement punie par la loi à tel point qu’il vaut mieux tuer un policier, la clémence de la justice sera plus facile à réclamer), il n’y a plus qu’un nombre limité d’options pour aboutir à l’effet désiré.
Au-delà de l’extension du mouvement avec une démonstration de force dans Paris même, qui est d’ores est déjà envisagée, et outre les propositions que je développais ici qui reviennent à gripper les abominables tubulures multiples de nos administrations empesées dans leurs décrets, circulaires et procédures bureaucratiques ubuesques, notons celle déjà mise en place par certains Gilets Jaunes : bloquer certaines administrations.
L’idée de ces Gilets Jaunes est intéressante : eux ont bien compris que le nerf de la guerre ne résidait finalement que dans un nombre fort réduit d’institutions. Principales perceptions des impôts, caisses locales de l’URSSAF, les quelques endroits névralgiques en France où les amendes, PV et autres taxes sont collectées… On a vite fait le tour des quelques « places fortes » dont le blocage en bonne et due forme entraînerait une nervosité extrêmement grande de la part de l’élite en place (et je passe sur Bercy, forteresse symbolique).
Eh oui : à la place du blocage des routes, l’impossibilité pour certains fonctionnaires des finances, des URSSAF, de l’inspection du travail ou des douanes de faire leur travail ne provoquerait aucune espèce d’angoisse existentielle auprès d’une écrasante majorité de Français qui ne se bousculeront pas pour savoir ce qu’il est advenu de leur aimable contrôleur fiscal ou inspecteur du travail ayant déboulé dans leur commerce pour y trouver motif à redressement pharaonique.
Un blocage ciblé, en somme, dont toute la subtilité résidera dans sa durée, la plus longue possible. Après quoi le gouvernement, les mains moites, sera obligé de faire intervenir l’armée – oui, rappelez-vous, ces gens entraînés à utiliser la force et dont la solde et la motivation a été consciencieusement sabotées par Louvois.
On peut imaginer que cette armée, cette police et cette gendarmerie exécuteront sans broncher les ordres lancés d’utiliser la violence pour assurer que les impôts et les taxes continueront de rentrer même si cela ne servira effectivement pas à alimenter leurs salaires mais plutôt à perfectionner le merdier dans lequel tout le monde semble barboter avec un délice discutable.
Ou on peut aussi se rappeler que tout ce beau monde a bien du mal à gérer quelques banlieues susceptibles. Certes, on ne doutera pas que viendra bien vite de la part de nos dirigeants l’ordre de tirer à balles réelles lorsque ce seront leurs voitures qui brûleront et leurs lieux de vie qui seront visés, et non plus ceux de « la base » et ces quartiers émotifs. À partir de là, les choses seront sans doute plus claires.
On peut cependant s’attendre à un éparpillement du mouvement. Au contraire de certaines catégories de salariés ultra-protégés, cette France qui se lève tôt n’a pas les moyens de faire durer l’opération.
Manifestement, le gouvernement, parfaitement hermétique aux demandes, compte là-dessus.
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