Les ententes entre entreprises du bâtiment existent depuis que le bâtiment existe… Malheur à ceux qui se font prendre!
En Lorraine, la dernière enquête bouclée par la justice messine nous permet d’observer de près les rouages de cette corruption au quotidien, jugée incontournable, voire banale, par certains professionnels du bâtiment.
Une longue enquête
C’est après cinq ans d’investigation que le parquet de Metz a demandé au début du mois d’octobre le renvoi en correctionnelle de onze chefs d’entreprise et dirigeants de bureaux d’études qui s’étaient répartis les marchés des réseaux secs (électricité, téléphonie, éclairage public), de Metz à la Moselle-
Leur mode de fonctionnement était très simple : les chefs d’entreprises du bâtiment du secteur se réunissaient lors de « tables rondes », dans des hôtels ou au siège d’une des sociétés, voire même à la maison du Bâtiment de Metz.
Afin d’éviter de se faire concurrence, les entreprise s’entendaient sur le montant des offres. Pour chaque marché public, on déterminait l’entreprise qui devait l’emporter en prenant soin que toutes y retrouvent leurs petits. “On” communique alors au chef d’entreprise le montant de la retro-commission qui doit être versée au parti politique ou à l’élu concerné. Le chef d’entreprise n’a plus dès lors qu’à faire son prix (large, il ne sera pas en concurrence…), ajouter le montant de la retro et balancer le total aux autres membres du club qui n’ont plus qu’à soumissionner quelques points plus cher.
Encore un lanceur d’alerte qui prend le boomerang dans la tête…
Le système était bien rodé et aurait pu durer encore de nombreuses années si un entrepreneur de Behren-lès-Forbach, Patrick Malick, ne l’avait dénoncé à la Répression des fraudes de Metz en mars 2009.
Malheureusement pour lui, l’entrepreneur « lanceur d’alerte » fait aujourd’hui figure « d’arroseur arrosé » puisqu’il est également poursuivi.
Ce sur quoi les enquêteurs ont les preuves
Les enquêteurs ont établi le trucage, entre 2008 à 2011, de 58 marchés publics de maîtrise d’œuvre, pesant des millions d’euros.
Des bureaux d’études, des entreprises de TP et des communes ont participé à cette combine. Même la présidente de l’époque du syndicat régional des réseaux secs de Lorraine sera jugée prochainement en correctionnelle !
Le volet « abus de biens sociaux » de l’instruction cible, enfin, les habitudes douteuses mais révélatrices d’un bureau d’études messin. Il faut comprendre que toutes ces affaires passent obligatoirement par un bureau d’études. Rappelez vous l’affaire “Urba” du Parti Socialiste.
Les descriptifs des travaux sont rédigés par des bureaux d’études qui doivent établir que les soumissions des entreprises sont techniquement conformes. Ils ont de plus un devoir de signaler toute ce qui pourrait leur paraître suspect dans une soumission. Ils sont donc au cœur du système d’entente sur les marchés et rien ne pourrait se faire sans leur complicité. Dès lors, les responsables des bureaux d’études sont choyés par les entreprises, dont de grands noms des travaux publics. En l’occurrence, les enquêteurs ont établi qu’ils ont reçu plus de 60 000 € euros de cadeaux sous toutes les formes : voyages (Italie, Espagne, Crête, Canaries, Grèce…), séjours (Eurodisney, Center Parcs) sommes en espèces, abonnements divers (golf) et livraison gratuite de matériau (dont des granulats) ou travaux sans contrepartie (installation de portes…) et voitures de luxe en leasing.
Ceux qui passent entre les mailles du filet
Les élus seront les grands absents du procès. L’instruction démontre pourtant qu’ils étaient « demandeurs » d’arrangements préalables aux marchés. « Oui, c’est un simulacre de concurrence », déplore un des chefs d’entreprise qui, comme les autres sociétés, a avoué ses pratiques au juge, « mais il est accepté par les collectivités, qui ne cachent pas leur préférence pour certains bureaux d’études et ne font rien pour combattre ces concertations ».
Mais voilà, eux, sont probablement mieux conseillés et le pistage de leurs retro-commissions s’arrête sur une société écran située au Luxembourg…
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