Le 20 novembre prochain, nous fêterons les 25 ans de la convention des droits de l’enfant. Deux siècles après la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, le monde, subitement, ressent le besoin de préciser les droits de l’enfant. Si louable que cela soit, ce n’est pas sans poser de multiples problèmes et le premier est de constater que les droits de l’Homme ne suffisent pas à protéger le plus faible d’entre eux, l’enfant. Devrait-on donc préciser, Déclaration des Droits de l’homme adulte (sans majuscule alors) ? Car qu’elle est la différence entre un enfant et un adulte ? La majorité légale ? C’est en tout cas ce que suggère l’article premier de cette convention. Ainsi, dans la nuit de ses 17 à 18 ans, l’enfant devient homme et n’a automatiquement plus les mêmes droits que la seconde avant minuit. Il y a là une aporie évidente qui coupe l’être humain en deux, comme une discontinuité. Or cette discontinuité est d’autant plus injustifiée qu’elle porte sur la dimension anthropologique de l’Homme.
La convention, en effet, ne s’occupe pas de donner des droits civiques, comme la possibilité de voter, d’être jugé et les devoirs qui vont avec. L’objet de ce traité international est la protection de l’enfant. Et sans doute aurait-il mieux valu l’appeler ainsi. Car à proprement parler ce texte n’accorde à l’enfant aucun droit supplémentaire par rapport à l’adulte. Il est simplement reconnu son état de dépendance et de fragilité. Dépendance biologique et naturelle vis-à-vis de ses géniteurs (il a besoin d’eux pour se nourrir et se développer), mais aussi dépendance juridique et légale vis-à-vis de la loi et des institutions. En réalité, cette convention cherche plus à protéger les droits inhérents à toute personne humaine que l’enfant n’est pas en capacité de faire valoir lui-même. Et pour ce faire, certaines précautions et préventions sont mises en avant et c’est à proprement parler cela qui constitue ces fameux « droits de l’enfant ». Il s’agit en fait, de donner aux enfants les moyens de faire respecter les droits qui sont les leurs non pas en tant qu’enfant, mais comme personne humaine. Ceci étant, les enfants n’agissent pas directement et ont besoin de tiers pour cela. Finalement ce texte est un recours donné aux enfants ou à un tiers pour assurer leur dignité.
Aussi parler des droits de l’enfant est un raccourci abusif et trompeur. Et il est important de rappeler que les enfants ont par nature, les mêmes droits que les adultes, parce qu’ils partagent la même nature et dignité humaine. Cette charte, en revanche leur accorde non un droit supplémentaire, mais une protection supérieure, étant donné leur état de faiblesse et de dépendance. Il aurait donc mieux valut intitule cette charte « convention pour la protection des droits de l’homme encore enfants ».
Certes, il faudrait revenir sur cette habitude, suicidaire pour la dignité humaine, de parcelliser les droits. Droits de l’enfant, des femmes, des gays etc. Car cette compartimentation crée d’une part un sectarisme et finit à terme par mettre en concurrence ces droits. Que l’on pense à l’opposition entre le droit de la femme et de l’enfant sur sa propre vie. Cette segmentation des droits crée, en fait (et non en vérité), un écartèlement de la personne humaine. C’est une crise identitaire et existentielle permanente qui nous fait revenir des siècles en arrière, lorsque les grecs pensaient que la femme était d’une race différente et inférieure.
Il n’y a qu’une seule dignité humaine partagée par tout être humain quels que soient son sexe et son âge. Mais il y a des situations de faiblesses et de fragilités qui supposent de renforcer la protection où la défense, voire la promotion de ces droits. Les enfants et les femmes en sont un exemple, mais les personnes âgées, les handicapés, tout autant. La vraie question n’est pas d’ajouter ou de retrancher des droits et encore moins de basculer, de par la majorité, d’un droit à l’autre. La véritable problématique qui sape tout l’édifice et l’ensemble des droits, c’est de savoir ce que recouvrent ces droits fondamentaux. Lorsque la convention, à longueur d’articles, cherche à défendre « l’intérêt supérieur de l’enfant », celui-ci n’est jamais explicitement défini. Au mieux quelques considérations matérielles, très vagues (la maturité) nous sont-elles apportées. Or, si les droits d’un enfant sont fondamentalement les mêmes que ceux d’un adulte, les besoins qu’expriment ces droits ne sont pas les mêmes à tout âge. Avoir droit au développement et à la maturité physique et intellectuelle est un droit de l’enfant comme de l’adulte. Mais il ne recouvrira pas les mêmes réalités. Or, la charte ne précise en rien ce développement, ni ce qui caractérise sa réalisation. Et ce n’est pas la nuit de la majorité qui fait basculer ce développement et cette maturité.
En revanche, la convention ne fait aucun état des besoins fondamentaux de l’enfant pour son développement. Et ceci parce que ce traité ne s’intéresse nullement à ce qu’est un enfant, c’est-à-dire un adulte en devenir, à savoir un homme avec toute sa dignité. Ainsi, la dimension familiale de l’enfant n’est indiquée que dans son rapport légal et non pas anthropologique. Les notions de père et mère sont réduites à des entités légales. Certes, la responsabilité éducative est évoquée, mais le rôle de l’Etat dans cette éducation est aussi largement mis en avant.
Peut-être pourrions-nous dire qu’à l’époque, la filiation père mère semblait aller de soi et qu’il n’était pas besoin de préciser qu’un enfant avait besoin d’un père et d’une mère. Mais ce droit, qui n’est pas celui des seuls enfants, est une nécessité pour le développement et l’équilibre de tout homme. Et en effet, la convention n’aborde pas ce sujet.
Il est donc, me semble-t-il, urgent de redéfinir les droits de l’enfant dans leur lien intime avec la dignité de tout homme et ainsi de préciser de façon explicite ce fameux « intérêt supérieur ». Car ce flou ouvre à toute les interprétations et manipulations et in fine, à une véritable déshumanisation de l’enfant et, au-delà, de l’adulte en devenir.
L’Eglise catholique a promulgué il y a quelques années une charte de la famille qui respecte cet équilibre entre les droits, faisant de la famille le lieu naturel d’une transition qui l’est tout autant. Car fondamentalement l’homme est un être qui se construit dans la relation et la différence et non dans la segmentation et la particularisation. Qu’il faille parfois protéger les plus faibles contre les abus de la famille ou des Etats est un fait. Mais protéger ce qui fait défaut ne veut pas dire détruire ce qui est bon par nature.
En résumé, cette convention sera réellement bonne, si elle se redéfinit comme protection de la dignité humaine de l’enfant et si elle explicite cet intérêt supérieur en adéquation avec sa vérité anthropologique. Voilà à mon sens ce que devrait être ce 25 ème anniversaire.
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