Faut-il avoir peur de la Russie ? (1/3)
Faut-il avoir peur de la Russie ? (2/3)
La lettre ouverte à Philippe de Villiers, publiée récemment sur le site de « Nouvelles de France » par le député polonais M. Marek Jurek, est une très bonne illustration du dogme en matière de politique étrangère partagé par une grande majorité de la classe politique polonaise, toutes tendances confondues.
Ce dogme suppose que la Pologne doit tout mettre en œuvre pour arracher l’Ukraine de la sphère d’influence russe et pour l’ancrer dans l’Union européenne et dans l’OTAN. Une Ukraine pro-occidentale, amicale vis-à-vis de la Pologne, car reconnaissante de l’avoir aidée à se libérer de l’emprise russe, deviendra pour la Pologne un allié précieux et, en même temps, contribuera à réduire la puissance de la Russie, pensent les tenants de cette politique. Les partisans de ce dogme, devenu sacro-saint, affirment également que la plus grande menace pour la Pologne vient de la Russie de Poutine et que, pour contrer cette menace, il n’y a qu’une solution : une plus grande intégration dans l’Union européenne et dans l’OTAN.
Les média polonais présentent quasi unanimement une version extrêmement manichéenne et simpliste de la situation en Ukraine : d’un côté les « bons », partisans du président Porochenko, qui défendent héroïquement leur patrie ainsi que les valeurs de la civilisation, de l’autre, les « terroristes » (les journalistes polonais reprennent volontiers à leur compte la rhétorique de Kiev) dirigés et puissamment aidés par la nouvelle incarnation du diable : Vladimir Poutine.
Cette version « officielle », nourrie par la russophobie des Polonais (que l’on peut d’ailleurs comprendre à la lumière de l’histoire) est rarement remise en question par des personnalités politiques ou par des intellectuels. Ceux qui expriment des doutes ou des critiques à l’égard de la version officielle, se font lyncher médiatiquement.
La partialité, le manque d’objectivité, mais surtout le manque de tout esprit critique et de réflexion sérieuse dans l’analyse de la situation en Ukraine et de ses implications pour la Pologne, ne font honneur ni aux partis politiques ni aux média polonais.
Ainsi, depuis le début de la crise ukrainienne, la Pologne est devenue le soutien le plus actif de Kiev et le critique le plus virulent de la Russie. Avec un zèle sans égal, et contrairement à l’attitude de certains autres pays de l’ex-bloc soviétique, comme la République Tchèque ou la Hongrie, la Pologne demande à cor et à cri l’alourdissement des sanctions contre la Russie, l’aide militaire de l’Occident à Kiev et le renforcement de l’OTAN sur son flanc est.
Elève modèle de la classe atlantiste, au lendemain de la décision de l’administration d’Obama d’abandon du projet d’installation en Pologne du « bouclier anti-missiles », la Pologne a annoncé la construction de son propre « bouclier » basé sur les technologies américaines, pour la bagatelle de 33 milliards d’euros.
Cependant d’après de nombreux experts, ce système de défense serait totalement inefficace et vulnérable par rapport aux systèmes de missiles que la Russie a déployés sur la frontière polonaise.
Les Etats-Unis ont également donné une fin de non-recevoir aux demandes pressantes de Varsovie d’installation sur le territoire polonais de bases militaires américaines. Au delà de quelques gestes symboliques et sans réelle importance, l’Amérique a clairement montré son refus de s’engager militairement en Europe de l’Est. Mais rien ne semble refroidir l’enthousiasme pro-atlantiste de la Pologne.
L’attitude particulièrement hostile de la Pologne vis-à-vis de la Russie surprend même les analystes de la prestigieuse agence privée de renseignement et de prospectives géopolitiques STRATFOR, qui souligne, dans un article publié le 23 septembre : « Amid Conflict, Poland Pushes Ukraine to Align with the West » que la récente proposition polonaise de vendre des armes à l’Ukraine ne sera soutenue ni par l’Allemagne ni par la France et que la politique agressive menée par la Varsovie risque « non seulement de pousser la Pologne vers un conflit ouvert avec la Russie mais aussi de créer une distance entre la Pologne et les autres pays de l’U.E. et de l’OTAN, comme l’Allemagne, qui souhaitent maintenir des relations plus pragmatiques avec Moscou, avec un possible allégement des sanctions, au fur et à mesure que la perspective de désescalade entre la Russie et l’Ouest dans le conflit ukrainien se précise, l’atteinte des objectifs stratégiques visés par Varsovie sera de plus en plus difficile » (…) « Poland Considers Going It Alone » : la Pologne envisage d’y aller toute seule » écrit STRATFOR.
Où est le véritable intérêt de la Pologne dans le conflit ukrainien ? Le danger d’une invasion russe contre la Pologne n’est-il pas plus imaginaire que réel ? demande avec courage le journaliste polonais renommé, Rafal Ziemkiewicz. Une Ukraine forte et nationaliste serait-elle vraiment un facteur de sécurité pour la Pologne ?, rajoute-t-il, faisant allusion aux récentes manifestations massives à Kiev du parti ouvertement néo-fasciste « Svoboda », parti représenté dans l’actuel gouvernement ukrainien.
Rappelons que parmi ces manifestants, qui ont tenté début octobre de prendre d’assaut le parlement ukrainien, il y avait aussi beaucoup de volontaires des « Bataillons punitifs », notamment ceux des Bataillons’Azov’ et ‘Aydar’, responsables ces les derniers mois de crimes de guerre dans l’Ukraine orientale : bombardements non discriminés, rapts, meurtres, tortures, destructions préméditées dans le tissu économique et culturel des villes « punies ».
Rappelons aussi que les nationalistes ukrainiens de « Svoboda » et de « Pravy Sektor » affichent ouvertement des revendications territoriales vis-a-vis de la Pologne, tandis que la Russie n’exprime aucune revendication de cette nature.
Rappelons enfin que les troupes de l’armée nationaliste et pronazie ukrainienne UPA de Stefan Bandera ont commis dans les années 1943-1944 un véritable génocide contre la population polonaise dans la région de Wołyń. Dans le cadre d’une véritable purification ethnique, les ukrainiens on assassiné de dizaines de milliers de Polonais : hommes, femmes et enfants.
Les troupes ukrainiennes ont participé à la pacification de Varsovie insurgée par les nazis, en août et septembre 1944. Lors du drame de l’insurrection de Varsovie, les Ukrainiens se sont distingués par une bestialité envers la population civile qui surpassait celle de la Wermacht. « Ceux d’entre nous qui sont tombés sur les Allemands et non pas sur les Ukrainiens avaient de la chance », racontent les survivants de cet enfer.
Bien entendu, les Polonais ont également un lourd contentieux historique avec la Russie mais, au moins, les Russes ont reconnu le crime de Katyn. L’Ukraine n’a jamais reconnu ses crimes ni exprimé le moindre regret.
Aujourd’hui, le courant dominant en Pologne, imposé par les partis politiques et par les média, prône un amour sans bornes pour les Ukrainiens et le ressentiment contre les Russes, pour employer un mot gentil. Ne serait-il pas temps que la classe politique et les intellectuels polonais prennent leurs responsabilités, regardent les réalités en face et se préoccupent de savoir où est l’intérêt national de leur pays dans le conflit ukrainien ?
La télévision russe est pleine de publicités pour Volkswagen et Audi tandis que des produits agricoles polonais sont sous le coup de l’embargo russe, décrété en représailles contre la politique de Varsovie. Au lieu de profiter de la formidable opportunité qu’offre à la Pologne l’énorme marché russe, opportunité d’autant plus grande que la proximité culturelle rend les affaires plus aisées, la Pologne est en train de creuser un énorme fossé dans ses rapports avec la Russie. Il faudra sans doute des années pour combler ce fossé entre les deux nations voisines.
De toute évidence la politique étrangère de la Pologne est dans l’impasse. Ceux qui affirment que l’Europe et l’OTAN sont les garants de la sécurité de la Pologne sont ignorants ou mentent. Si la Pologne était un jour attaquée par la Russie, personne ne viendrait à son secours, pas plus qu’en 1939.
L’intérêt national de la Pologne exige que Varsovie change totalement de cap. Retrouver des relations de bon voisinage avec la Russie et garder une attitude neutre dans le conflit ukrainien, telles devraient être les deux priorités d’un gouvernement polonais réellement soucieux des intérêts et de l’avenir de son pays.
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