Dans L’Opinion ce lundi 21 octobre, tout juste revenu de Washington, D.C., Gaspard Koenig* se réjouit de “la révolution libertarienne” outre-Atlantique. On aimerait afficher le même optimisme, mais il nous semble que la tendance générale là-bas est plutôt à l’alignement progressif sur l’Europe, comme le montre l’instauration par Barack Obama de l’ObamaCare. Il évoque aussi le Free State Project, dont Nouvelles de France vous a déjà parlé, même s’il est permis de se demander ce qui va se passer quand/si les Free Staters déclareront/déclarent l’indépendance du New Hampshire… Pour mieux faire passer la pilule libertarienne à des lecteurs “pro-business et pro-européens” (c’est la ligne de L’Opinion) et imaginant à tort que diaboliser son prochain permet de se dédiaboliser, Gaspard Koenig s’en prend aux libéraux-conservateurs – qu’il est pourtant bien content de trouver pour tenter de propager ses idées :
La révolution libertarienne souffre de son association avec des groupes libéraux-conservateurs tels que Heritage Foundation ou le Tea Party, beaucoup plus frileux sur le plan des mœurs. De même, le Sénateur du Kentucky Rand Paul, fils du libertarien pur et dur Ron Paul, se voit contraint à une certaine prudence dans sa course aux primaires républicaines ; il a récemment pris des positions décevantes sur l’avortement ou l’immigration.
Euh… Gaspard Koenig semble ignorer que Ron Paul, que j’ai eu la chance de rencontrer en 2008, n’est pas moins “pro-vie” que son fils, Rand. Et d’ailleurs, comme l’écrit le professeur de philosophie Damien Theillier,
le libertarianisme, en tant que philosophie politique, n’a rien à dire sur ce sujet de l’avortement, au moins dans un premier temps. En effet, l’avortement est d’abord une question de philosophie morale pure, qui repose sur la considération du statut ontologique de l’embryon. S’agit-il seulement de quelques cellules, comme une verrue ou un kyste ? Ou bien est-il question d’un être humain, même en devenir ? Seul un être humain à part entière est sujet de droit. Est-ce le cas de l’embryon ? Comme sur de nombreux sujets de morale, il y a place pour un débat sur ce sujet au sein de la famille libertarienne. Chacun, en tant qu’individu qui réfléchit, doit faire appel à sa raison pour répondre à cette question.
Ajoutons que s’il avait fallu compter seulement sur les libertariens pour s’opposer à l’ObamaCare, la réforme santé de Barack Obama, elle serait passée comme une lettre à la poste, et tant pis pour la liberté religieuse par exemple (les entreprises et associations y compris conservatrices ou religieuses, sauf les églises – un maigre acquis des libéraux-conservateurs, sont forcées de payer les avortements et la contraception de leurs employés).
Gaspard Koenig oublie aussi de dire aux lecteurs de L’Opinion qui, dans le récent bras de fer opposant l’administration Obama à une coalition menée par la Heritage Foundation, a planté la seconde, au dernier moment, comme des gros lâches. Je vous le donne dans le mille : les frères Charles et David Koch, propriétaires à 84% de la 2e entreprise non cotée du pays, 36 milliards de dollars de fortune chacun, paraît-il fervents militants libertariens. Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans une lettre ouverte adressée au Sénat jeudi 10 octobre dernier, ils ont dit leur désaccord avec la stratégie liant le vote du budget à l’Obamacare. « Cette lettre est un tête-à-queue, ils ont quitté le champ de bataille malgré l’unité des républicains à la Chambre ! », a d’ailleurs regretté le journaliste conservateur de Newsmax John Gizzi. Linda Feldmann, du Christian Science Monitor, pense, elle, que les Koch ont « beau être conservateurs, ils sont avant tout des hommes d’affaires et ne veulent pas voir l’économie plonger ». Pro-business/crony capitalist ou libertarien, il faut choisir !
Les frères Koch, dont l’influence au sein du Cato Institute (que Charles a co-fondé en 1974), n’est plus à démontrer, au point de créer des tensions internes… Tiens, le fameux Cato Institute, cité comme une référence du combat libertarien par Gaspard Koenig dans sa tribune ! On se demande parfois si les libertariens les plus sectaires (on les reconnaît facilement, ils portent le doux surnom de “libertarés” et vomissent sans cesse sur les libéraux-conservateurs, davantage que sur les socialistes !) ne sont pas les idiots utiles de l’étatisme. Surtout quand ils se prononcent en faveur des lois sociétales, accroissant toujours plus le périmètre de l’État, sans comprendre, en bons Parisiens très privilégiés, que plus la famille est abîmée, plus l’État enfle et les libertés reculent.
*Gaspard Koenig est le président du think tank Génération Libre.
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