Tribune libre
C’est à un véritable déferlement que nous assistons actuellement : enfin, les médias tiennent une bonne étude bien baveuse, avec des photos abominables à l’appui, qui prouvent sans le moindre doute que les OGM sont nocifs à un point que personne ne soupçonnait avant. L’étude, relayée avec la délicatesse d’un panzer dans une boutique de porcelaine, est maintenant sur presque toutes les lèvres, les autres étant occupées par les crobards de Charlie Hebdo ou les seins de Kate Middleton.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, de quelle étude parle-t-on ici ?
Tout part de cet article du Nouvel Observateur, qui relate l’étude d’un certain Gilles-Eric Séralini. Ce travail, relayé par la revue Food and Chemical Toxicology, très sérieuse selon le magazine dirigé par Laurent Joffrin, montrerait que le maïs génétiquement modifié ne serait pas du tout inoffensif.
Photos dramatiques de rats déformés par des tumeurs monstrueuses à l’appui, l’article détaille comment ces animaux sont tombés malades après le traitement qu’on leur a fait subir. Et justement, ce traitement, parlons-en : un échantillon de 200 rats a été soumis à deux régimes alimentaires, l’un à base d’OGM pour la moitié des rats, et l’autre sans OGM. Pour faire bonne mesure, le chercheur a utilisé de l’herbicide Roundup sur une partie du maïs distribué, ou dans l’eau de boisson des animaux. Enfin, l’expérience s’est étalée sur deux ans.
Bien évidemment, le travail journalistique étant ce qu’il est, nous ne saurons absolument rien des résultats précis et chiffrés de cette étude : l’article ne contient, scientifiquement parlant, absolument rien. Sur le plan médiatique, en revanche, c’est l’avalanche de qualificatif dont la nature péremptoire allume immédiatement plusieurs voyants du bullshit-detector de base que n’importe qui, en possession de deux sous de bon sens, se doit de posséder à l’approche d’un article de la presse mainstream.
Et il y a de quoi faire, et de quoi allumer les voyants : « comparaison implacable », « des conditions de quasi-clandestinité », « crypté leurs courriels comme au Pentagone », « lourdement toxique même à faible dose », « bombe ». C’est étonnant si l’on veut faire croire à la neutralité journalistique, et embarrassant quand l’étude n’est pas aussi tranchante dans ses conclusions… Si l’on ajoute l’étonnante coïncidence de la sortie du documentaire et du livre du chercheur dans les heures qui suivent, on distingue surtout tous les avatars traditionnels d’une bonne lancée médiatique d’un produit phare. L’article n’est pas journalistique, mais publirédactionnel. Certains vendent des films ou des jeux vidéos exactement de la même façon. Ici, c’est un livre et un documentaire, en plus de centaine de milliers de copies supplémentaires d’un magazine qui nous parle aussi des « nouveaux fachos et leurs amis » (avec Zemmour en couverture, miam) pour faire bonne mesure.
Pas de doute, on est bel et bien en présence de l’une de ces habituelles …
Et d’un beau calibre de surcroît lorsqu’on se penche pour de bon sur l’étude elle-même.
Je passe rapidement sur le passé rebondissant et rigolo du chercheur Séralini et sur le CRIIGEN : ce serait, bien qu’informatif, de l’ad hominem. Et puis, ce n’est pas parce que Séralini est ouvertement opposé aux OGM que son étude serait biaisée, hein. Un passé douteux n’élimine pas les changements de méthodes pour le meilleur, après tout. Je ne parlerai pas non plus de la réelle modestie de la revue présentée comme très sérieuse (facteur d’impact de 2.99, ce qui, pour une étude avec ce genre de révélations — on parle d’un risque sanitaire majeur et mondial, caramba ! — est assez faible) : si l’étude est solide, peu importe le média, après tout, n’est-ce pas ?
Bon, eh bien regardons donc l’ensemble des statistiques de l’étude !
Hahem. Petit souci : outre la difficulté d’avoir tous les chiffres statistiques, l’auteur avoue lui-même n’avoir pas testé si ses résultats sont statistiquement significatifs. Autrement dit, on a des rapports et des calculs bruts sur l’échantillon considéré, mais aucun calcul de la pertinence des variations observées. Variations qui sont de l’ordre de 1 à 2%, ce qui, pour un échantillon de 200 individus (100 tests et 100 témoins), eux-mêmes répartis en groupes de 10 individus chaque, est particulièrement … non significatif. Des chiffres sur des paquets de 10 rats, c’est (statistiquement parlant) … du bruit. Caramba !
Autre petit souci comme le note Alexnews : les quelques graphiques qui émaillent l’étude sont bizarrement boutiqués.
Pas de légende, pas d’unités sur les axes, voilà qui est très professionnel. Pire, le graphique tend à prouver exactement le contraire de ce que l’étude conclut : les rats qui mangent des OGM et biberonnent du Roundup seraient moins vites malades que les rats mangeant des OGM sans cet herbicide. Le Roundup améliorerait la durée de vie ?! Caramba, encore raté !
Si l’on regarde un peu les réactions du monde scientifique, on constate la même surprise. Pas une surprise liée aux résultats, mais bien une surprise quant à la façon de les obtenir et de les relayer :
- « Toutes les données ne peuvent pas être montrée dans un papier et seules les plus significatives sont décrites ici. » : ceci est une citation de l’étude elle-même.
- Tiens, pas de rats nourris sans maïs du tout, pour le contrôle ? Pourquoi ? Cela aurait été très pertinent.
- Tiens, pas de résultats donnés pour les rats nourris au maïs non-OGM ? Pourquoi ? Cela aurait été très nécessaire.
- Cela fait plus de vingt ans que des milliards d’animaux aux États-Unis et en Europe ont été nourris avec des OGM, provenant principalement d’Amérique Latine. Aucun problème n’a été rapporté par les centaines de milliers d’agriculteurs, d’officiels ou de vétérinaires concernés. Complot ? Complot maousse ? Vraiment maousse ?
- Dans la même revue scientifique, on trouve une autre étude, sur une durée certes plus courte de 90 jours, qui ne montre aucun effet néfaste des OGM sur des rats. Caramba aussi ?
- Aucun calcul de pertinence statistique. Est-ce vraiment normal ?
Les citations de chercheurs qui ont pu jeter un œil sur l’étude (ou les maigres données qui en sont disponibles) montrent qu’ils sont perplexes :
« À mon avis, les méthodes, statistiques et la façon de rapporter les résultats sont très en dessous de ce que j’attendrais d’une étude rigoureuse – pour être honnête, je suis surpris qu’elle ait été acceptée pour publication. « – Pr. David Spiegelhalter, Université de Cambridge
Oh. Il n’est pas très gentil, le Pr. Spiegelhalter.
« Comme la plupart des débats sur les OGM, ce travail a peu à voir avec les OGM. Les auteurs du papier ne suggèrent même pas que les effets sont causés par les modifications génétiques » – Pr. Ottoline Leyser, directeur associé du Laboratoire Sainsbury, University de Cambridge
Mmh. Comment dire ? LOL ?
« Aucune donnée sur la quantité de nourriture n’est fournie, ni sur la croissance. Cette race de rats est notoirement sujette aux tumeurs mammaires particulièrement lorsque la quantité de nourriture ingérée n’est pas restreinte. » – Pr. Tom Sanders, directeur de la Division de Recherches Scientifiques sur la Nutrition, au King’s College de Londres
Caramba, encore raté ?
« La première chose qui me vient à l’esprit est que rien n’est apparu des études épidémiologiques dans les pays où tant d’OGM ont été utilisés dans la chaîne alimentaire depuis si longtemps. Si les effets étaient aussi forts que ceux rapportés, et si cette étude peut s’appliquer aux humains, pourquoi les Américains ne tombent-ils pas tous comme des mouches ? » – Pr. Mark Tester, Centre Australien pour la Génomique Fonctionnelle Végétale, Université d’Adélaïde
Ah et puis zut.
Je note enfin le fait de faire durer les expérimentations sur des rats jusqu’à leur durée de vie maximale, et y laisser se développer des tumeurs de cette taille. Voilà qui est très éthique. J’attends les réactions des défenseurs des animaux … Rien ? Étrange.
Accessoirement, la race de rats en question, Sprague-Dawley, est sujette au développement de tumeurs mammaires : une étude publiée dans la revue Cancer Research en 1973 avait montré une incidence de 45% de cette pathologie sans la moindre intervention. Normalement, on n’utilise jamais cette race pour des études de cancérogénèse. Mieux : la tendance aux tumeurs est plus forte encore lorsque le régime alimentaire est mal contrôlé. Avec 11% de maïs, ce régime déséquilibré a d’ailleurs provoqué des tumeurs aussi chez les rats témoins. Et puis, au bout de deux ans (soit, peu ou prou, leur durée de vie normale), c’est un résultat banal. Bref, mis à part l’intérêt purement médiatique et « photogénique » de ces essais, cette durée n’était en rien nécessaire pour constater des tumeurs. Mieux, l’Association française des Biotechnologies végétales (AFBV) a déclaré à ce sujet que :
« Contrairement à ce qui est affirmé, la dernière étude du CRIIGEN n’est pas la première à avoir évalué les effets à long terme des OGM sur la santé. Il existe en effet de nombreuses études toxicologiques qui ont évalué les effets à long terme des OGM sur la santé des animaux. Ces études réalisées sur des rats mais aussi sur d’autres animaux par des chercheurs d’horizons différents n’ont jamais révélé d’effets toxiques des OGM. »
L’AFBV précise tenir à la disposition la liste de ces études et leurs références pour tous ceux qui veulent disposer d’une information diversifiée (et un peu plus sérieuse que la marée journalistique gluante à laquelle on assiste ici). Autrement dit, on comprend ici que le but a été avant tout de choquer par des images de rats déformés, sans le moindre souci ni pour l’animal ni pour l’expérience elle-même.
La conclusion de tout ceci est sans appel : cette étude ne vaut pas le papier sur lequel elle est imprimée et encore moins les efforts des pisse-copies pour la promouvoir au rang de Saint-Graal des anti-OGM. On ne s’étonnera pas du buzz qu’ils auront réussi à provoquer alors que, par contraste, il y a quelques semaines, sortait une méta-étude, scientifiquement plus solide et bien mieux réalisée, qui détaillait l’impact du bio sur la santé et concluait que le bio n’était pas meilleur :
The published literature lacks strong evidence that organic foods are significantly more nutritious than conventional foods. Consumption of organic foods may reduce exposure to pesticide residues and antibiotic-resistant bacteria.
Les études publiées manquent de preuves claires que le BIO soit significativement plus nutritif que la nourriture traditionnelle. La consommation de nourriture bio pourrait réduire l’exposition aux pesticides et bactéries résistantes aux antibiotiques.
Ce que montre, par contraste, le traitement de l’étude de Séralini et l’absence de battage autour de l’étude sur le bio, c’est que, comme d’habitude en France, on aime se faire peur. On aime pleurnicher pour avoir le plaisir douillet de se jeter dans les jupes de Maman État, qui n’a d’ailleurs pas tardé à réagir, pour montrer qu’il est là et va s’occuper de ses petits apeurés.
Quelle manipulation !
> h16 anime le blog hashtable.
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