par Sébastien Meurant, sénateur LR du Val d’Oise
L’affaire Macron-Benalla est déjà gravissime, en soi. Elle montre l’existence, au plus haut niveau de l’Etat, d’organisations parallèles et clandestines, et le mépris des lois par ceux-là mêmes qui doivent les appliquer. Elle manifeste l’amateurisme doublé d’arrogance qui caractérise le « nouveau monde ». Elle met au grand jour, aussi, le fossé qui sépare le sommet de l’Etat de la haute fonction publique, ce qui n’est certes pas la moins inquiétante des facettes de cette affaire.
Mais, dans la torpeur de l’été, nous avons appris que cette affaire Benalla se doublait d’une nouvelle affaire des fiches de grande ampleur qui aggrave encore singulièrement la situation.
Pour le moment, la situation est passablement confuse, mais voici ce que l’on peut en comprendre avant les enquêtes qui, je l’espère, feront toute la lumière sur ces violations à répétition des droits individuels en général et des droits de l’opposition en particulier.
Début août, l’ONG EU DisinfoLab, largement financée par toutes sortes d’officines mondialistes… et par Twitter, officiellement pour lutter contre la désinformation et les fameuses « fake news » qui sont le cauchemar de notre vénéré président, a publié une étude sur les twittonautes et l’affaire Benalla. En soi, une telle étude ne manquait pas d’intérêt : faire une cartographie des réseaux sociaux à l’occasion d’une vague d’émotion comme celle qu’a soulevée cette affaire d’Etat peut aider à comprendre les logiques des internautes.
Mais, dans le cas d’espèce, cette étude était tout simplement loufoque puisqu’elle visait principalement à disqualifier toute interrogation sur l’affaire Macron-Benalla. Tout n’y est envisagé que sous l’angle des « fake news » et sous l’angle de l’action d’influence. L’objectif était de « démontrer » que la plupart des tweets relatifs à l’affaire avaient été publiés par des twittonautes militants anti-Macron, relayant sans vergogne des informations fausses ou non vérifiées. Au détour d’un paragraphe, on pouvait lire que certains partages étaient humoristiques plus que militants, mais que cela n’affectait en rien la qualité de l’étude. Pourtant, combien de caricatures avons-nous vues sur cette affaire ? Je crois, quant à moi, que beaucoup de gens les ont partagées car les Français aiment plaisanter, spécialement aux dépens du pouvoir – et que cela ne dit strictement rien sur l’appartenance politique de ceux qui partagent ou s’amusent. Plus farfelu encore, l’étude prétendait « démontrer » que plus on était actif sur Twitter à propos de Benalla, plus on était désinformateur et plus on était russophile – car, naturellement, l’affaire Benalla ne pouvait qu’être une nouvelle preuve de l’ingérence russe dans les affaires françaises !
“M. Macron réclame « sa » réforme de la constitution – comme si la constitution de 1958 n’avait pas été assez charcutée comme cela ! Peut-être pourrait-il commencer par appliquer les règles de droit d’aujourd’hui, en refusant toute police parallèle, en poursuivant avec sévérité les officines qui s’occupent de faire du fichage politique, en respectant les droits de l’opposition.”
Bref, les données brutes de l’étude ne manquaient pas d’intérêt, mais les interprétations pseudo-scientifiques ne valaient pas grand-chose, tant les biais d’interprétation étaient grossiers.
Cela aurait pu n’être qu’une tentative un peu dérisoire de délégitimer les questions des citoyens sur l’affaire Benalla. Mais, en réalité, c’est une affaire d’Etat dans l’affaire d’Etat. Car EU DisinfoLab ne s’est pas contentée d’analyser les comptes de façon anonyme, comme font les sociologues ou les instituts de sondage : l’ONG a produit un fichier nominatif (de 55 000 comptes tout de même !), classé selon l’appartenance politique et l’activisme. Mieux encore, ce fichier a circulé sur le web avec des informations privées, comme l’appartenance religieuse ou l’orientation sexuelle. Accusée de fichage politique et de divulgation d’informations privées, EU Disinfo Lab s’est défendue en accusant ses détracteurs d’avoir eux-mêmes ajouté les informations personnelles. C’est possible – mais assez peu vraisemblable, comme l’a expliqué le blogue spécialisé « Les Crises ». Toujours est-il qu’un fichage politique a bel et bien eu lieu, et qu’il est manifestement possible, de le compléter par un fichier d’informations personnelles éventuellement « sensibles ». Et, quand on voit les pratiques de barbouzes qui sont couvertes par l’Elysée, cela n’est pas franchement rassurant pour les libertés publiques.
Il n’est d’ailleurs pas tout à fait anodin qu’un certain nombre des comptes les plus actifs de cette étude, au moins pour ceux de droite, aient été récemment bloqués par Twitter (officiellement parce qu’on les prenait pour des « robots » !) et n’aient pu être débloqués que par l’envoi d’un numéro de téléphone portable (ce qui complète efficacement le fichage…).
En attendant l’avis de la CNIL qui s’est saisie du dossier, en espérant aussi qu’une commission d’enquête parlementaire puisse étudier cette inquiétante dérive, je retiens que les opposants politiques les plus actifs à Emmanuel Macron sont fichés, que l’on peut suspendre leurs comptes et donc les réduire au silence.
Si l’on ajoute que la France est l’un des pays qui demandent le plus de fermeture de comptes à Twitter (sous Manuel Valls, elle avait même « battu » la Chine, la Turquie ou l’Arabie saoudite !), si l’on ajoute aussi l’arbitraire qui se profile avec l’absurde loi dite « anti fake news », on voit ce que pèsent les droits de l’opposition et en quelle estime le gouvernement Macron tient les libertés publiques en général, et la liberté d’expression en particulier.
Il est vrai que la gauche sectaire a une longue expérience du fichage. On se souvient de l’affaire des fiches de 1904, où l’on avait découvert que les officiers de l’armée française étaient classés selon leur pratique religieuse. Ce fichage est d’ailleurs largement responsable de la médiocrité du haut commandement au début de la guerre de 1914. Il est clair que cette affaire n’a pas servi de leçon et que la gauche au pouvoir continue à réclamer « des têtes », comme le camarade Quilès au congrès de Valence, pour justifier ou masquer son incurie.
M. Macron réclame « sa » réforme de la constitution – comme si la constitution de 1958 n’avait pas été assez charcutée comme cela ! Peut-être pourrait-il commencer par appliquer les règles de droit d’aujourd’hui, en refusant toute police parallèle, en poursuivant avec sévérité les officines qui s’occupent de faire du fichage politique, en respectant les droits de l’opposition. Mais, manifestement, lui et ses amis sont favorables à la liberté, à la condition expresse que l’on soit d’accord avec eux !
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