Il fallait que les dirigeants européens fussent bien aveugles pour considérer qu’Erdogan fût fréquentable. Promoteur de la guerre civile syrienne, soutien évident des rebelles islamistes et plus ambigu de Daesh qui a largement profité de la porosité de la frontière turque, maître-chanteur à l’immigration de masse, par ailleurs chez lui Chef d’Etat mégalomane qui bombarde les Kurdes et censure les médias, le nouveau sultan bénéficiait d’une incroyable indulgence de la part de l’Union Européenne prête à lui accorder 6 milliards d’Euros, une levée des visas pour les ressortissants turcs, et une réouverture de l’adhésion de la Turquie, en échange de sa « bonne volonté » pour empêcher le passage en Grèce des migrants de toute provenance. Une telle faiblesse soulevait le coeur alors même que l’un des membres de l’Union, Chypre, subit depuis de longues années l’occupation d’un tiers de son territoire par l’armée d’Ankara.
Le 15 Juillet, un drôle de coup d’Etat militaire se produisait. Bien que ceux-ci fussent fréquents en Turquie, celui-ci a été surprenant pour trois raisons. D’abord, son objectif proclamé était de rétablir l’Etat de droit conforme dans ce pays à l’esprit de Kemal Atatürk, fondé sur la laïcité et le respect tout relatif des droits de l’homme. On imagine que cette dernière notion visait surtout la liberté d’opinion et de la presse, mise à mal par le Président. Ensuite, les coups d’Etat bénéficiaient souvent de l’appui de la totalité des Forces armées et après une opération menée sans coup férir, ils conduisaient à des exécutions de dirigeants politiques. Or, celui-ci était manifestement minoritaire et va au contraire conduire à une purge au sein de l’armée. Enfin, on peut concevoir les militaires orfèvres en matière opérationnelle. Ici, l’amateurisme a prévalu : des ponts coupés, des médias occupés, un Chef d’Etat-Major retenu, des bâtiments bombardés, mais le Chef d’Etat, comme par hasard préservé et capable de lancer un message pour mobiliser ses partisans au sein du parti qui le soutient, l’AKP.
En revanche, la rapidité, l’ampleur et la cohérence de la répression laissent peu de place à l’improvisation. Quatre jours après la tentative avortée, la purge est à la fois ciblée et massive. Les chiffres sont impressionnants : 9322 militaires, magistrats et policiers arrêtés, mais aussi 2745 juges démis et 15000 employés de l’Education nationale suspendus. Le Conseil de l’Enseignement Supérieur a demandé la démission de 1500 recteurs et doyens d’Universités. Le Haut Conseil turc de la radio et de la télévision a retiré un certain nombre de licences. Tout se passe comme si une éradication planifiée était mise en oeuvre, visant tous les sympathisants du mouvement Hizmet fondé par le prédicateur Fethullah Gülen réfugié depuis de longues années aux Etats-Unis. Il faudrait être bien naïf pour croire à une réaction spontanée. On peut même se poser la question de savoir si ce n’est pas Erdogan lui-même qui a fomenté ce putsch raté tant c’est à lui que le crime profite.
En tout état de cause, si son pouvoir se trouve renforcé, il parait clair aujourd’hui que ce dictateur est peu fréquentable moins en raison de son absolutisme, que le réalisme politique nous contraint d’accepter, que de son machiavélisme qui le rend trop peu fiable. L’incendie du Reichtag, le prétendu putsch des SA, celui tout aussi imaginaire de Toukhatchevski, le fait de se débarrasser de ceux qui vous ont aidé à prendre le pouvoir, Röhm ou Trotski, sont des cailloux semés sur le chemin des dictatures. Gülen a grandement favorisé l’accession de L’AKP au pouvoir… La ressemblance est troublante et doit inciter à la prudence (article de sputnik).
Comme d’habitude, l’Union Européenne est en dessous de tout. Les ministres des Affaires Etrangères, et la superflue Federica Mogherini se sont réunis à Bruxelles en présence du Secrétaire d’Etat américain, John Kerry pour… faire les gros yeux et souligner leur opposition au rétablissement de la peine de mort à laquelle songe le Grand Turc. On peut compter que cette collection d’impuissances reprendra les négociations avec le sultan si celui-ci a l’habileté de renoncer à ce détail de la peine capitale tout en maintenant son opposition dans les prisons turques dont on connaît l’hospitalité proverbiale.
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