Décidément, le monde d’après n’est vraiment pas différent du monde d’avant. Dans le monde d’avant, l’État était ce pachyderme obèse tétanisé par les souris numériques ; dans le monde d’après, c’est toujours un pachyderme obèse (il a même encore grossi !) et il est toujours autant tétanisé par les souris.
Pourtant, certains, dans les médias, dans les ministères, voulaient vraiment y croire à cette application mobile de recherche des contacts épidémiques dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid19 : nombre d’articles étaient donc parus, dans le courant et à la fin du mois de mai, au moment de son lancement officiel, pour en louer les capacités et l’évidente nécessité, ainsi que l’impact évident d’une telle réalisation sur le futur du fier politicien qui porterait cette réalisation.
Interrogé, Cédric O, le secrétaire d’État au Numérique, n’y était d’ailleurs pas allé par quatre chemins en expliquant calmement que l’outil informatique, destiné à un succès fulgurant et 45 millions d’installations fébriles, permettait d’éviter des malades et des morts dès les premiers téléchargements ! Avec un peu de persuasion, le secrétaire d’État aurait probablement pu nous faire la retape de son produit sur le mode « en cliquant sur Stopcovid à chaque repas, vous retrouverez peps et bonne humeur ! »… N’hésitant d’ailleurs pas à se lancer dans l’emphase, le brave Cédric a même déclaré que « l’application fonctionne très correctement ». Pas seulement « bien », « comme prévu » ou « de façon optimale » ni même « super top », mais « très correctement » ce qui se situe entre « ça le fait » et « globalement, on est dans les clous », ce qui correspond au score « pas dégueu-et-demi » sur l’échelle officielle d’Assurance Qualité Des Projets Informatiques Pilotés Avec Brio Par l’État.
Bref, Cédric O et l’État français ont donc lancé une application mobile bien testée sur plein de téléphones différents, bien propre sur elle, qui fonctionne « très correctement », le tout pour un coût général de fonctionnement qui n’a même pas fait de vagues tant on parle de petits montants rikikis.
Nous voilà deux semaines après un lancement en fanfare largement analysé par nos serviles médias : déchargée plus de 600.000 fois en quelques heures, dépassant le million d’installations dans les jours qui suivent, le gouvernement, les autorités de santé et Cédric O peuvent respirer puisque ce n’est pas un four…
Évidemment, passés ces quelques jours où tous ceux qui voulaient l’installer l’ont fait, les frétillements d’aises ministériels se réduisent : non seulement, le nombre d’installations se tasse très vite, mais en plus constate-t-on avec tristesse que ce nombre dépasse à peine les 2% de la population, loin des chiffres d’autres pays décidément plus enthousiastes dans le pistage du cheptel de la population. Zut alors.
Malheureusement, les déceptions ne s’arrêtent pas là : petit-à-petit, on découvre que la collecte de données, qu’on promettait aussi minimale et peu intrusive que possible, est nettement plus étendue que prévu.
Alors que, normalement, les interactions sociales des uns et des autres devaient rester privées, un chercheur a découvert que les données de toutes les personnes croisées par les utilisateurs sont collectées par la plateforme : tous les contacts croisés pendant les quatorze derniers jours sont ainsi directement collectés par le serveur ce qui n’a en pratique aucun intérêt sur le plan épidémiologique (mais en a certainement sur d’autres plans, ne vous inquiétez pas).
Deux semaines après son lancement, c’est donc un constat d’échec que s’empressent d’ailleurs de dresser certains médias dont l’épine dorsale, d’une souplesse véritablement légendaire, permet toutes les torsions et tous les retournements les plus prompts : voilà que, par exemple, même France24 feint de confirmer un « échec annoncé »…
Cependant, reconnaissons que si les évidences de maintenant n’apparaissaient guère dans leurs colonnes (ou celles de leurs confrères), il n’y avait pas besoin d’être grand devin pour imaginer le sort funeste de cette nouvelle incursion étatique balourde dans le domaine du numérique.
Certes, ce four-ci nous coûtera moins cher que tous les calamiteux échecs précédents qui comptèrent, je vous le rappelle, celui de Louvois (dont la facture finale doit largement dépasser le demi-milliard d’euros à présent), l’Opérateur National de Paie pour l’Education Nationale (des centaines de millions d’euros au drain), les aventures de Gide et Genesis pour la Justice (des douzaines de millions d’euros partis en fumée), Faeton, le système de gestion du permis de conduire (nouveau salto arrière double carpé pour les finances publiques) ou celui des cartes grises (bonheur sucré de tous les particuliers tentant de vendre leur véhicule), ou même le magnifique « cloud souverain » qui s’est terminé avec le feu d’artifice financier qu’on connait.
Néanmoins, et compte-tenu de cet historique aussi coûteux que navrant, il était raisonnable d’imaginer qu’une fois encore, l’État allait se gameler avec élan pour cette énième réalisation numérique et cramer une nouvelle piscine olympique de billets en provenance directe de la poche du contribuable. Si l’on évite les dizaines de millions d’euros de gabegie, on devrait malgré tout dépasser le million, sans que cette application puisse prétendre éviter des contaminations.
Parions cependant que la perte ne sera pas totale pour ceux qui récupéreront discrètement les données collectées…
Oui, certes, c’est impossible puisque l’État nous a assuré que cette application était carrée, propre sur elle. Conservons cependant un sain scepticisme, et ce d’autant plus qu’à la suite de cet échec attendu, observé et finalement lamentable, Cédric O, ragaillardi devant le désastre, veut maintenir le système étatique d’identité numérique fourni par l’État (comprenant notamment une reconnaissance faciale, comme en Chine, miam !).
Tout ceci est extrêmement rassurant, ne trouvez-vous pas ?
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