Le droit de premier occupant peut être contesté au peuple juif, qui avait conquis Canaan très brutalement, derrière Josué, autant qu’au peuple arabe. L’histoire particulièrement tourmentée de cette terre paradoxalement fertile à la fois en guerres tribales microscopiques et en croyances religieuses qui comptent dans le monde, nous apprend que le droit a finalement peu de place dans les relations entre les peuples et les nations. Même lorsqu’il prévaut, c’est toujours parce qu’un rapport de forces favorable l’accompagne. Il n’en reste pas moins vrai que les nations chrétiennes ont leurs territoires et leurs capitales, que les catholiques ont le Vatican, que les nations musulmanes ont également leurs capitales, à l’exception de la Palestine, si tant est que ce soit une nation, et que la communauté islamique a ses deux villes saintes. Le peuple hébreu, la communauté juive, accablés de persécutions et d’exodes, ont une exigence compréhensible de posséder un Etat qui les protège sur un territoire indépendant et qui peut être défendu. Voilà l’enjeu. Que le lieu où ce souhait se réalise, soit celui qui est inscrit au coeur de la foi et de la tradition entretenues pendant des millénaires par les héritiers des royaumes d’Israël et de Juda, revêt une légitimité symbolique suffisamment forte pour lui accorder la priorité. Ni Madagascar, ni la République autonome juive du Birobidjan, au bout de la Sibérie, ne pouvaient répondre à cet appel venu du fond des âges. Le rapport de forces à l’issue de la seconde guerre mondiale, aussi bien à l’ONU que sur le terrain, a rendu cette revendication non seulement légitime, mais possible. La victoire du nazisme l’aurait éteinte. La situation actuelle, avec le poids international pris par les pays musulmans et leurs organisations comme l’OCI, d’une part, et le grand nombre d’Etats issus de la décolonisation, d’autre part, rendrait le processus beaucoup plus difficile.
Israël a introduit la communauté juive dans le concert des nations. Son identité persistante, son désir de trouver dans la terre « promise », qui fut aussi celle où s’est déroulée la partie essentielle de son histoire et qui devient la patrie où elle peut protéger ses membres, ont justifié la Déclaration Balfour favorable à la création d’un Foyer national juif en Palestine, et sa mise en oeuvre à travers la Conférence de San Remo et le traité de Sèvres lors du démembrement de l’Empire ottoman. L’immigration juive en Palestine a d’abord été encouragée. Elle a permis aux juifs qui étaient 85 000 en 1914 d’être 650 000 en 1946, à la veille de l’indépendance. L’opposition et la résistance des Arabes au processus ont été constantes. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Britanniques ont été confrontés à un dilemme : ou empêcher l’arrivée de nouveaux migrants pour ne pas soulever la colère arabe et en subir la double conséquence d’augmenter le terrorisme juif et d’apparaître inhumains à l’égard des rescapés de la Shoah, ou déclencher, comme en 1936, une révolte arabe à laquelle se joindraient les pays voisins. Comme en Inde, le gouvernement travailliste a laissé faire, et dans les deux cas, la séparation entre deux Etats en guerre s’est effectuée dans le sang : Inde et Pakistan, Israël et Jordanie, soutenue par les pays arabes voisins. 1948, 1956, 1967, 1973, 1982 ont été les grandes étapes d’un conflit permanent dont les données ont profondément changé. Israël a quadruplé sa population, mais malgré « l’Aliya », le « retour », le pourcentage des juifs diminue de 87% à 74% entre 1950 et 2016. Les perspectives démographiques ne rendent donc guère possible le retour massif de Palestiniens. Le pays est à la fois petit et puissant, trop petit pour ne pas être fragile stratégiquement, trop puissant pour ne pas être capable de faire payer très cher une agression. Il possède l’arme nucléaire, et son obsession d’empêcher un ennemi de l’obtenir est pour lui vitale. Par ailleurs, c’est un pays riche, développé, et dynamique jusque dans des secteurs de pointe. Une synergie entre ses voisins et lui pourrait être bénéfique à l’ensemble, comme l’Egypte et la Jordanie l’ont compris.
On dira que sur un plan humain, le retour « chez elles » de populations déplacées il y a 70 ans est plus logique, dans la mesure où il y a encore des personnes âgées qui en font partie, que celui d’une diaspora millénaire. Cet aspect de la question a peu de poids face à la réalité, notamment démographique. Israël existe et est prêt à tout pour persévérer dans cette existence conquise de haute lutte, qui met à l’abri de persécutions les juifs qui le souhaitent. Il est d’ailleurs assez humiliant pour la France qu’un certain nombre de ses ressortissants soient amenés à se réfugier en Israël pour fuir l’insécurité qu’ils subissent dans notre pays en raison d’un nouvel « antisémitisme » suscité par l’islamisme. La reconnaissance d’Israël par les Etats arabes est une étape nécessaire à la solution du problème. Le fait que les ennemis d’Israël soient aujourd’hui plus les islamistes que les Arabes a malheureusement accru la difficulté, avec le rôle grandissant de l’Iran et de la Turquie qui furent des alliés de l’Etat hébreu avant que les islamistes chiites ou sunnites ne prennent le pouvoir à Téhéran et à Ankara. La Syrie est le dernier Etat arabe frontalier à être en guerre avec Israël. Le gouvernement syrien, baassiste, c’est-à-dire nationaliste, a, semble-t-il, vaincu les islamistes et l’on pourrait imaginer qu’il finisse par rejoindre les signataires de paix. Sans doute est-ce un point qui a été abordé entre Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahou lorsque ce dernier est allé à Moscou. La Russie est le seul pays à entretenir des relations avec l’ensemble des acteurs régionaux, et notamment à la fois positives avec Israël où les juifs russes sont très nombreux et avec la Syrie qu’elle a sauvée du chaos. Son rôle peut donc être crucial. Néanmoins, l’autre allié de la Syrie, l’Iran est devenu le premier ennemi d’Israël, et le principal soutien, non seulement du Hezbollah, mais aussi du Hamas. Les Palestiniens « laïques » se sont battus aux côtés de l’armée de Bachar al-Assad contre les islamistes. Autrement dit, Damas ne pourra retrouver sa capacité de manoeuvre en faveur de la paix qu’une fois sa pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire pleinement restaurée et que l’ensemble des armées étrangères, notamment turque et iranienne se seront retirées, à l’exception des deux bases russes. C’est ce que les Occidentaux ne semblent pas avoir compris.
Enfin, l’hypothèse des deux Etats est stratégiquement inenvisageable pour Israël. A cette opposition rationnelle s’ajoute celle plus sentimentale qui provient de l’histoire. Les territoires occupés correspondent à la Judée-Samarie, autrement dit davantage aux anciens royaumes juifs que la côte, le pays des Philistins. Cette inversion géographique dans le partage est un motif de plus de le rendre discutable. Le statu quo actuel risque donc de se prolonger longtemps tant que l’Occident et la Russie n’auront pas trouvé une synergie capable d’imposer une solution.
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