C’est en grandes pompes que l’actuel locataire de l’Élysée nous l’a annoncé : la France est en guerre ! Et comme tout pays en guerre, tout le peuple s’est dressé, comme un seul homme, pour combattre l’ennemi invisible. Certains font des masques ou du gel hydroalcoolique, d’autres sauvent des vies pendant que d’autres encore restent chez eux à regarder la télé. Quelques uns, courageusement, se sont fixé pour but d’en finir avec ce qui fonctionne encore en France.
Et en France, il y a un moyen rêvé pour saboter les entreprises qui marchent bien : le tribunal. Les lois étant innombrables, il ne sera pas dur de faire tomber celui qu’on maudit.
Pour Amazon, coupable de fournir un service public de qualité, indépendant de La Poste (dont la mission de perdage de paquets et de fermeture de guichets est amplement remplie), permettant à des myriades de petits commerces d’écouler leurs marchandises et à des millions d’individus de se faire livrer chez eux avec un minimum d’interactions humaines potentiellement contaminantes, de fiers syndicalistes sont parvenus à en faire fermer rapidement plusieurs sites. Grâce à leur action décisive, des milliers d’employés sont maintenant au chômage technique et viendront gonfler la facture de l’assurance chômage dont l’insolent bénéfice et la gestion taillée au cordeau pourront fort bien s’accommoder.
Il ne faudrait cependant pas croire qu’une si belle victoire arrête le long travail de sape indispensable à la collectivisation intensive dans lequel le pays s’est lancée : pendant que certains assignaient Amazon en référé, Google continuait à être poursuivi par les habituelles pleureuses de la presse française.
L’histoire n’est pas neuve et mérite un petit rappel : observant les profits juteux que la firme américaine engrange chaque année et notant que le moteur de recherche californien met en avant, gratuitement et sans barguigner, les contenus que la presse propose, cette dernière a rapidement compris qu’elle pouvait attaquer le géant américain pour contrefaçon ou honteux détournement du droit d’auteur et de ses droits voisins (qui pour un titre d’article, qui pour une accroche, qui pour une photo d’illustration) et obtenir de l’infâme Google qu’il paie !
Ces éditeurs de presse, faisant une pression de plus en plus importante tant au niveau du parlement français que du parlement européen afin de pousser leur vision très particulière du droit d’auteur, finirent par obtenir gain de cause : en criminalisant l’usage du lien HTML et de la courte citation, ils pensaient avoir trouvé un moyen de forcer la firme étrangère à enfin rétribuer leur fine production que – c’est bien connu – tous les internautes s’arrachent chaque jour dans une bousculade largement monétisable.
Las ! Les choses se déroulèrent exactement comme prévu, c’est-à-dire mal pour les petits brigands lobbyistes : constatant l’obligation qui lui était faite de payer pour utiliser les contenus de la presse s’il venait à les afficher dans son Google News, la firme de Mountain View décida fourbement de n’afficher ces extraits qu’avec l’autorisation explicite des éditeurs de presse, autorisation assortie d’une exonération de tout paiement.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, devant la menace de voir disparaître tout référencement (gratuit), toute mise en avant (gratuite) et toute publicité (gratuite) que Google leur offrait pour leurs contenus, les éditeurs s’empressèrent de signer. Google News continua donc exactement comme si de rien n’était.
L’affront fut vif, la brûlure de la fessée cuisante sur les petites fesses tendres des éditeurs de presse française, vraiment pas accoutumés à ne pas recevoir la déférence obséquieuse que les pouvoirs publics et les politiciens leur offrent habituellement, gluants de concupiscence à l’égard des bénéfices médiatiques qu’ils en tirent en retour.
Les éditeurs n’en restèrent donc pas là : l’Alliance de la presse d’information générale a donc décidé d’en appeler à l’un des nombreux croupions républicain pour qu’enfin soit tranché, en sa faveur, le différend qui l’oppose au vilain moteur de recherche. En faisant appel à l’Autorité de la Concurrence, organe administratif pourtant non juridictionnel, les éditeurs de presse ne prenaient pas de risques tant ils savaient que l’étude de la plainte leur serait favorable.
Sans surprise donc, cette Autorité a donc décidé d’intimer l’ordre à Google d’enfin filer la pièce aux éditeurs qu’il présente dans son outil d’information.
Mieux encore : comme l’affaire dure depuis un moment, elle demande à ce que Google paye les sites de presse rétroactivement au 24 octobre 2019 pour avoir montré leur contenu. La firme américaine a expliqué vouloir se conformer à la décision de l’Autorité, probablement pour récompenser cette presse française de la qualité générale des prestations fournies, son absence immaculée de fake news, son absence méticuleuse de parti-pris dans la présentation des informations (notamment celles en provenance du gouvernement) et, de façon générale, pour tenir compte de l’incroyable opportunité que représentent ces articles finement ouvragés dans son petit moteur de recherche anecdotique.
Pour le moment, Google indique vouloir se conformer à la décision rendue par cette indispensable autorité administrative, républicaine, citoyenne et festive. Dans ce cadre, il n’est donc pas inimaginable que l’entreprise américaine fasse le calcul simple de ce qu’il va devoir payer d’un côté, en plus de ses coûts de production actuels, et de ce que lui rapporte le service gratuit qu’il fournissait ainsi gracieusement à ces éditeurs de presse.
Si l’on peut croire, comme semblent naïvement le faire ces éditeurs, que l’opération reste rentable pour Google, peut-être ce dernier lâchera-t-il quelque argent pour ces éditeurs dont, très manifestement, la compréhension de l’économie et du marché actuel ne semblent décidément pas parfaite.
Plus raisonnablement, Google va considérer que le coût devient élevé de présenter les articles de presse française dans son moteur, et que le bénéfice en termes de visites ou de publicité induite ne compense plus ce coût. Dans ce cas, Google fermera son service français, comme il l’a fait jadis, un temps court, pour la version allemande et la version espagnole.
Temps court car les éditeurs allemands et espagnols avaient très vite fermé leur clapet et arrêté de poursuivre la firme tant les bénéfices apportés par ce portail était important à leur propre survie, ce que semblent avoir complètement oublié les éditeurs français, bien plus sûrs (et à raison) de leur bon droit que de leurs notions d’économie de base.
Oui, vraiment, la France est en guerre : pendant que le peuple français se débat donc dans un confinement de plus en plus mortifère, contre une collectivisation de plus en plus poussée de leur pays et contre une mise en coupe réglée de leurs activités par l’administration, la police et les politiciens, une partie de nos concitoyens a choisi d’aider l’Occupant et s’est donc juré de fusiller un peu plus les entreprises qui marchent.
Ils y parviendront, ajoutant avec application quelques dalles au pavage de l’enfer qu’ils nous construisent de leurs bonnes intentions.
Forcément, ça va bien se passer.
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