Entretien avec Marc Crapez, chercheur en science politique, sur la récente polémique autour des propos de François Hollande sur le PCF et FN.
Peut-on vraiment comparer le FN et le PC comme l’a fait le Président de la République dimanche sur Canal + ?
La comparaison est fondée. Le journal Libération relève, à juste titre, des analogies dans la critique des monopoles et des profits capitalistes qui sacrifieraient l’intérêt national. Il faut ajouter à cela quelques épisodes hostiles à l’immigration de la part du PC des années 70. Ce discours contre la haute finance accaparant la richesse publique était répandu au 19ème siècle. C’est une sorte de doctrine « anti-Gros » propre à un socialisme archaïque.
Quels sont les enjeux d’une telle comparaison ?
François Hollande n’a pas posé d’équivalence entre FN et PC. Il réduisait le programme du FN à un « tract », tout en créditant le PC des années 70 de « principes ». L’extrême-gauche n’en a pas moins exigé des excuses… La droite restant muette, c’est le député socialiste modéré Christophe Caresche qui a sauvé l’honneur en rétorquant : « les peuples asservis par le communisme attendent toujours des excuses politiques du PCF ». A contrario, un jeune universitaire proche du PS assène : « cela fait longtemps que d’un point de vue scientifique, un sort a été fait à l’idée d’un parallèle entre le PCF et le FN ».
On voit bien là ce qui sépare deux gauches. L’une a médité les leçons anti-totalitaires de l’historien François Furet et la notion de gaucho-lepénisme du politologue Pascal Perrineau. L’autre fait la sourde oreille et œuvre sans relâche à la suprématie de son idéologie. L’enjeu est donc politicien. Le socialo-communisme subsiste dans des majorités municipales, à commencer par celle de Paris. Et comme une proportion importante des universitaires en sciences sociales a un passé d’extrême-gauche, certaines idées se trouvent légitimées sous couvert de « scientificité ».
Quels sont les termes du débat ?
En fait, il n’y a jamais eu de débat intellectuel loyal. L’anticommunisme de Raymond Aron, d’Annie Kriegel et de François Furet, a simplement été marginalisé. Ceux qui ont été staliniens ou pro-Chinois, dans leur jeunesse, font oublier leurs errements en prétextant une dissymétrie entre extrémismes politiques. Elle repose sur cet argument ultime : de Gaulle a gouverné avec des communistes et pas avec l’extrême-droite, donc l’extrême-gauche aurait une honorabilité que n’aurait pas l’extrême-droite.
Cet argument fait allusion au contexte spécifique de l’après-guerre, où de Gaulle cohabita avec des ministres communistes notamment pour neutraliser la force insurrectionnelle qu’ils pouvaient représenter dans une situation troublée. Il s’agissait là d’un contexte unique et d’autres situations furent aux antipodes. À Londres en 1940, il n’y avait pas l’ombre d’un communiste du fait du pacte germano-soviétique, et ceux qui avaient rejoint de Gaulle étaient en grande majorité de droite classique, de droite de la droite (comme de Gaulle lui-même) et d’extrême-droite. Dans sa France Libre de la première heure, de Gaulle eut ainsi des « ministres » d’extrême-droite.
Par la suite, la grande majorité des soldats sous commandement anglo-américain qui nous ont délivré du nazisme combattaient les armées sous commandement allemand et l’oppression idéologique totalitaire qu’elles symbolisaient mais ils n’avaient pas du tout le sentiment de combattre l’extrême-droite. Ils étaient de toutes opinions politiques mais attachés aux préjugés de leur temps, c’est-à-dire suspects de xénophobie selon les canons du politiquement correct actuel.
Actuellement, la majorité des citoyens se défie des partis extrémistes parce qu’elle redoute qu’ils ne s’emparent du pouvoir pour mettre fin aux libertés publiques et déclencher une chasse aux opposants. Comme le souligne l’historien André Sénik, la nostalgie historique susceptible de peser dans cette direction est aujourd’hui moins présente à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche.
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