par Christian Chevalier
L’édition française coûterait 52 millions d’euros par an en frais sociétaux nationaux et internationaux, selon un rapport du Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne ou BASIC. Ses conclusions méritent qu’on y prête attention, mais compte tenu de sa tonalité « à charge » envers le monde de l’édition et les pratiques d’impression, il n’est pas inintéressant non plus de se demander qui sont les commanditaires de l’étude.
Le rapport BASIC, intitulé « Un livre français : évolutions et impacts de l’édition française. Analyse de la filière de production du papier et du livre en France » n’est pas vraiment passé inaperçu, c’est le moins qu’on puisse dire. Le syndicat national de l’édition (SNE) n’a pas vraiment apprécié la mise en cause du monde de l’Edition dans ce qu’il considère plus comme une tribune à charge que comme une étude rigoureuse.
Un rapport sans mise en perspective
Ce rapport, pour pertinentes que soient les problématiques qu’il soulèvent, pose d’entrée de jeu un problème de forme : il s’agit d’un constat brut à un instant donné, une photo instantanée du coût écologique et social estimé d’une partie seulement de la filière édition, à savoir le « livre noir », autrement dit le roman et la littérature. « La littérature ne représente que 30 % de la production de livres, qui elle-même ne pèse que 5 % de la consommation papier en France », rappelle Pascal Lenoir, président de la commission Environnement du Syndicat national de l’édition (SNE). Or, le rapport du BASIC fonde la majorité de ses conclusions sur l’analyse du cycle économique, écologique et social du papier, notamment à travers l’exemple du Brésil. Ses conclusions semblent recevables, mais peut-on généraliser ce résultat ? Et à quoi ? A l’ensemble de la filière édition, pour laquelle le papier n’est qu’une partie des enjeux écologiques, ou à l’ensemble de la filière papier, au sein de laquelle l’édition ne compte que pour un faible pourcentage ? Difficile dans ces conditions de tirer des conclusions de portée générale.
Les éléments passés sous silence
Un chiffre en soi ne signifie rien : que représentent ces 52 millions d’euros au regard des enjeux sociétaux dont il est question ? Est-ce peu ou beaucoup ? A quoi peut-on le comparer ? Mais surtout il serait intéressant de sortir du côté « instantané » et de connaitre l’évolution de ce chiffre au cours de la dernière décennie par exemple. Car, en dépit du titre mentionnant les évolutions de l’édition française, il y a bien peu sur le sujet. Or, selon le sens de cette évolution, les conclusions peuvent être radicalement différentes, entre saluer des efforts ou au contraire alerter sur une dégradation. Malgré tous les efforts des acteurs de la filière pour rendre le livre et l’édition « durable », la tonalité de cette étude suggère plutôt que l’évolution n’irait pas dans le bon sens. Il reste sans aucun doute beaucoup d’efforts à faire au sein du monde de l’édition en matière de développement durable, mais ne pas rendre compte de ce qui a été fait jusque-là apparait comme partial.
Comme souvent dans ce genre d’exercice, le plus important est peut-être bien ce qui n’est pas dit. Il y a tout d’abord la question de l’impact écologique du livre électronique et des liseuses associées. Le débat fait rage depuis des années mais le combat commence a tourné en défaveur du livre électronique. Dans le rapport du BASIC, il est simplement précisé que cette question n’est pas l’objet du rapport et ne sera donc abordée ni dans l’étude ni dans les recommandations. Parler de l’impact écologique du livre sans mentionner le livre électronique est curieux, et peut-être pas innocent. Par ailleurs, lorsqu’on se penche sur l’annexe n°1 du rapport, consacrée aux méthodes de calcul, le lecteur s’aperçoit que l’immense majorité des données utilisées concerne exclusivement le Brésil. Quant aux calculs proprement dits, il est bien précisé à chaque fois qu’il s’agit « d’estimations ». Sans précision supplémentaire, le lecteur est en droit de se demander d’où sortent réellement les chiffres mis en avant.
Témoignages anonymes contre remerciements explicites
Ce rapport fait appel à de nombreux témoins pour étayer ses conclusions. Mais là où cela devient problématique, c’est que la plupart de ces témoins interviennent de façon anonyme : sont ainsi intervenus pêle-mêle un « imprimeur français », « un représentant d’ONG environnementale française », « un expert technique de la filière papier », « un responsable d’ONG au Brésil », « un éditeur français », « un représentant des libraires français », « un universitaire spécialisé dans l’édition français », … Pourquoi de telles précautions ? Nul secret d’Etat ou d’entreprise trahi dans ces lignes pourtant. Et rien ne tombe sous le coup de la loi, personne n’est diffamé ou insulté.
C’est probablement dans les remerciements en préambule qu’il faut chercher une partie des intervenants cités : on y trouve entre autres la Nouvelle Imprimerie Laballery et l’imprimeur Yenooa, les Éditions Vents d’ailleurs et Charles Léopold Mayer, l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI). Une fois encore, l’important est ce qui n’est pas dit : l’imprimerie Laballery et l’imprimeur Yenooa sont des défenseurs et promoteurs de l’impression à la demande, l’une des recommandations centrales du rapport. L’imprimeur Yenooa et les Editions Vents d’ailleurs sont soutenus par l’incubateur la Rue des Editeurs. A la tête de ces trois structures, on retrouve Gilles Colleu, un farouche partisan de l’impression à la demande, d’ailleurs remercié en personne par le rapport du BASIC. Un autre acteur revient régulièrement : la Fondation Charles Leopold Mayer pour le Progrès de l’Homme ou Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH). Les éditions Charles Léopold Mayer, qui ont pour prestataires l’imprimerie Laballery, lui appartiennent ; elle héberge également le BASIC au sein de son siège social, de même que l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI), qui compte parmi ses membres les Éditions Vents d’ailleurs et Charles Léopold Mayer.
Au bilan, on constate que le rapport du BASIC est surtout le produit d’institutions partageant toutes des liens qui, eux, n’apparaissent pas explicitement. Une partie de ces structures a d’ailleurs tout intérêt à voir promouvoir les pratiques d’impression à la demande, une des recommandations centrales dudit rapport. De là à considérer qu’il s’agit d’un produit commandé, il y a un pas. Mais la question peut tout de même être posée.