La lecture du livre de Patrick Buisson, « La Cause du Peuple » est indispensable pour ceux qui ont l’intention de participer au scrutin des « primaires » de la droite et du centre. Bien sûr, le conseiller très efficace de Nicolas Sarkozy, qui lui avait permis de gagner en 2007 et lui avait assuré un résultat honorable en 2012, donne de celui-ci une image peu flatteuse, mais qui est fondée sur une longue proximité. Ma proximité moins grande et plus courte, entre 1993 et 2007, m’avait conduit à une conclusion analogue. Entre 2007 et 2012, l’incohérence vibrionnante du personnage avait entraîné de plus en plus souvent mes votes à l’écart de ceux de la majorité. Mon exécution publique, lors de son annonce de candidature sur TF1 en 2012, confirma chez moi le sentiment que le désir de pouvoir chez cet homme ne s’embarrassait d’aucun scrupule. Pour Sarkozy, l’électorat est un marché. Il faut donc séduire selon les circonstances telle ou telle portion de celui-ci, et virevolter de l’une à l’autre en lui offrant les slogans qu’elle préfère : enthousiasmer le peuple de droite lors des élections présidentielles par un discours sécuritaire et identitaire pour éviter qu’il se tourne vers le Front National, et une fois le rapt accompli, la victoire obtenue, naviguer à la godille en visant cette fois davantage les journalistes qui font l’opinion plutôt que le peuple à qui on ne demande son avis que périodiquement. La presse, elle, est là en permanence. C’était chaque jour. C’est maintenant, avec les chaînes d’information, à chaque seconde. L’ouverture à gauche, les clins d’oeil au lobby gay faisaient partie de cette tactique. Mon exécution pour avoir dit la vérité, comme les tribunaux l’ont établi, était un cadeau à ce groupe de pression décisif dans le microcosme médiatique. Cela s’imposait au début d’une campagne qui allait à nouveau et avec succès « buissonner » sur les terres du FN, en l’éliminant de la finale, mais insuffisamment pour gagner celle-ci. Beaucoup d’électeurs avaient compris le jeu. De même que l’ont compris les militants de « Sens Commun », la branche « Manif pour Tous » des Républicains, qui après avoir entendu l’ex-président leur dire qu’il voulait bien abroger le mariage unisexe pour leur faire plaisir, avaient eu la surprise d’apprendre qu’il disait le contraire ailleurs et à d’autres moments. Ils ont donc apporté leur soutien à François Fillon.
Nos gouvernants sont donc démagogues le temps des campagnes. Ils sont ensuite « médiagogues » lorsqu’ils sont au pouvoir, selon le mot utilisé par Patrick Buisson. Etymologiquement, ce terme devrait désigner ceux qui possèdent l’art de conduire les médias, et avec le sens péjoratif pris par « démagogie », qui, de « conduire le peuple » est devenu « le berner », le « médiagogue » devrait être celui qui manipule la presse. Sa signification est plus ambivalente. En fait, le monde des « médiagogues » est celui du microcosme politico-médiatique. Il s’agit d’un pouvoir siamois où le politicien et le journaliste se manipulent réciproquement. Les médias dessinent les contours du pensable et du dicible, sélectionnent les personnes et les faits qu’il convient de mettre sous le projecteur. Les politiciens jouent dans cet espace et sous ces lumières mais ils peuvent aussi en jouer. C’est à ce jeu que François Hollande s’est fait prendre. Celui qui, premier secrétaire du PS, parlait à l’oreille des journalistes, a voulu continuer à le faire en introduisant à l’Elysée deux d’entre-eux, qui au cours de 61 rencontres au cours du mandat, devaient devenir les chroniqueurs du Président normal. Le résultat de cette tentative de séduction est un Chef d’Etat privé de toute hauteur, tombé d’un trône qui est celui que lui confie le peuple, le cocu de cet affaire où le président volage n’a guère conquis ceux qu’il courtisait.
L’émotion, la compassion, l’image du jour, les petites phrases, les dérapages hors du politiquement correct et la bordée de condamnations indignées qui leur répond, découpent le temps en séquences courtes, effacent les perspectives à long terme et favorisent les contradictions. C’est ainsi qu’en 2011, Sarkozy fustigea le juges français, en raison de leur laxisme à l’égard de Tony Meilhon, le multirécidiviste assassin de Laëtitia, et mena une croisade contre les juges, et le gouvernement mexicains, insuffisamment indulgents pour Florence Cassez, compagne d’un trafiquant, mise sur le même plan qu’Ingrid Betancourt, prisonnière des FARC, libérée par l’armée colombienne, mais accueillie à Paris, comme si la France y était pour quelque chose. C’est ainsi qu’il reçut Kadhafi à l’Elysée après la libération des infirmières bulgares et joua un rôle essentiel dans sa chute, et donc sa mort, quelques années plus tard : deux opérations médiatiques sans lien logique entre elles et sans la moindre analyse des conséquences qu’on sait aujourd’hui être calamiteuses. Ces choix contradictoires visent pourtant le même objectif : pour l’homme politique, acquérir une bonne image dans la séquence. L’apparence immédiate devient la préoccupation majeure des politiques au détriment des actions au long cours.
Ce monde est celui de la caverne dans la République de Platon : le Peuple y est détourné de la réalité pour ne voir que les ombres fugaces que les politiciens et les communicants en tous genres lui projettent. Il y 25 siècles un philosophe grec voulait faire sortir les hommes de la caverne, les délivrer de leurs illusions. Lui aussi était citoyen d’une forme de démocratie où le peuple était manipulé par des sophistes, de brillants orateurs, des ambitieux cyniques. Sa solution pour les libérer était de mettre fin à la démocratie en instaurant le règne des Philosophes, une sorte de despotisme éclairé et vaguement communiste. Sommes-nous à nouveau devant cette alternative ?