Nos médias toujours aussi perspicaces et objectifs lui prédisaient le « Nobel de la Paix ». Angela Merkel sera-t-elle canonisée pour son accueil des migrants ? Malgré l’élection sans surprise à la Mairie de Cologne de la candidate CDU, victime d’un agresseur, et bénéficiaire de l’émotion suscitée, beaucoup d’Allemands commencent à dénoncer la politique de Mme Merkel en faveur des migrants. Les sondages basculent : elle a perdu 9 points d’opinions favorables en un mois et atteint son plus mauvais score depuis quatre ans. 51% des Allemands sont désormais inquiets devant la vague des « réfugiés » contre 38% il y a un mois. La fronde a gagné le parti majoritaire dont l’aile bavaroise, la CSU, plus conservatrice et plus exposée par son implantation géographique grogne manifestement, tandis que l’AfD eurosceptique grappille des points. Au gouvernement, Thomas de Maizière, le Ministre de l’Intérieur a même critiqué l’attitude des « réfugiés », qui ne sont pas dans le besoin et se montrent exigeants en matière de logements et de nourriture. La chancelière pourrait bien se retrouver dans une position inconfortable, tiraillée entre la majorité conservatrice de sa coalition de plus en plus réticente et la minorité social-démocrate qui, avec un mélange d’opportunisme et d’idéologie, voudrait au contraire amplifier l’accueil des migrants.
Madame Merkel n’est pas un grand responsable politique. Elle a seulement acquis cette image en raison du poids économique de l’Allemagne et de son redémarrage après l’unification. Elle s’est contentée de prendre le train en marche et de le conduire sérieusement et prudemment. Elle ne pouvait paraître exemplaire à bon compte que comparée aux vaniteux incompétents qui gouvernent chez nous. Les Allemands, de plus en plus libérés de leur passé, croyaient avoir trouvé une « Bismarck », rigoureuse sur les questions économiques et monétaires, mais humaine et pacifique sur la scène internationale, faisant oublier à la fois l’Allemagne guerrière et génocidaire du siècle dernier et la folle inflation des années 20. La statue vilipendée par les Grecs n’a pas résisté. Elle s’est écroulée. La fille du pasteur est passée de l’éthique protestante du devoir à la charité compassionnelle imposée comme une obligation morale.
Depuis, c’est une fuite en avant dans la faute politique. L’annonce que l’Allemagne accueillerait 800 000 à un million de réfugiés cette année et recevrait généreusement tous les demandeurs d’asile syriens a ouvert les vannes. A partir d’une photographie et d’un événement mis en scène par les médias, l’appel d’air s’est démesurément amplifié. Les migrants ont afflué par la Turquie et la Grèce, traversé les Balkans, et malgré la résistance de la Hongrie, pénétré en Autriche et en Allemagne dont le passé entrave les réactions « xénophobes »… jusqu’à présent. La Chancelière est dépassée, sent sa majorité lui échapper, s’aperçoit un peu tard que nombre de migrants ne sont pas syriens et sont des demandeurs d’emploi plus que d’asile. Aussi s’est-elle lancée dans des contre-feux peu cohérents ni convaincants. L’Allemagne devrait privilégier les réfugiés par rapport aux migrants économiques. Mais dans le même temps, Mme Merkel va proposer un accord à la Turquie. Celui-ci faciliterait l’octroi de visas pour les Turcs et leur libre circulation dans l’Union Européenne, offrirait une aide financière à Ankara, que le Premier Ministre, Ahmed Davutoglu, évalue au delà des 3 milliards d’Euros promis, pour compenser l’accueil de 2,2 millions de Syriens et de 300 000 Irakiens. Surtout, il réouvrirait le processus d’entrée de la Turquie dans l’Union avec l’idée est qu’elle est la meilleure gardienne des frontières européennes.
On peut difficilement se plonger davantage dans le contre-sens. Quand on voit le rôle joué par le pouvoir « islamo-conservateur » d’Erdogan, on a lieu de s’inquiéter de la naïveté de l’Allemagne, suicidaire pour l’Europe. La Turquie est un pays structurellement génocidaire qui a construit son identité sur l’élimination des Chrétiens, arméniens, grecs et assyro-chaldéens et qui admet difficilement la spécificité des Kurdes. C’est elle qui a favorisé la déstabilisation du régime syrien et qui aide encore les rebelles. Elle prétend bombarder les terroristes de l’Etat islamique, mais s’en prend surtout aux combattants kurdes qui s’opposent à lui. Ses frontières avec la Syrie, l’Iran et les pays du Caucase sont dangereuses. Ce ne sont pas des frontières européennes et l’Europe n’a aucun intérêt à s’étendre jusqu’à elles. Les Romains déjà avaient confié la garde du Limes à des Barbares stipendiés. On connaît le résultat. La Turquie « accueille » les réfugiés d’une guerre dont elle est en partie responsable et qu’elle entretient. Par quelle culpabilité pathologique les Européens devraient-ils se croire obligés de recevoir ceux qui fuient et redevables envers les Turcs de les héberger ? Est-il normal que l’incendiaire d’une maison soit payé pour abriter ses victimes par un tiers qui s’en voudrait de ne pas le faire ?
Dans cette affaire, les politiques trahissent la politique au nom d’une prétendue morale irresponsable. Les représentants du Peuple ont un mandat pour servir le Bien Commun, pour viser l’intérêt général, et donc pour faire des choix judicieux en ce sens. On en est arrivé à présenter le flux migratoire comme une fatalité ou une nécessité irrépressibles, ou comme un impératif moral qui s’imposerait à la volonté générale. Dans le premier cas, les élus sont inutiles. Dans le second, ils quittent la démocratie pour la théocratie en nous menant dans un enfer pavé de bonnes intentions. La démocratie, fût-elle chrétienne, admet la guerre juste et la légitime défense. Le premier service que l’Europe devrait rendre aux Syriens et aux Irakiens serait de faire la guerre une bonne fois pour rétablir la paix dans ces pays. Ce sont les Russes qui ont courageusement opéré ce choix.
On pourra enfin chercher, dans les désarrois de Mme Merkel, une intention plus pratique et réaliste, celle de répondre aux préoccupations du patronat allemand inquiet à juste titre des 140 000 ingénieurs, techniciens et programmateurs qui manquent au pays, des 40 000 places d’apprentis non pourvues, et des quatre millions de travailleurs qui feront défaut en 2040. Le chômage est loin d’avoir disparu en Europe. La solidarité de même que l’espoir d’une intégration sans heurts devrait privilégier les Européens. On pouvait même croire que c’était le but d’une Europe que l’Allemagne va définitivement achever.
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