Le 18 août dernier, Nouvelles de France avait ouvert ses colonnes à Yves-Marie Pendeliau afin de faire connaître au plus grand nombre l’histoire de ce ressortissant français bloqué au Qatar et mené en bateau par notre diplomatie pendant des mois. À la fin de l’entretien, il nous confiait qu’il envisageait désormais de s’évader de l’émirat. Yves-Marie Pendeliau n’en a finalement pas eu besoin et a été autorisé le 4 octobre dernier à quitter le Qatar. Dans la tribune libre qui suit, il explique comment il s’y est pris, s’interroge sur l’attitude de la diplomatie française à son égard et s’inquiète des conséquences potentielles pour les autres ressortissants français vivant dans l’émirat ou ailleurs.
Le résumé de l’histoire :
Je suis Yves-Marie Pendeliau, technicien salarié dans l’industrie, en poste au Qatar depuis le 16 février 2007 pour diverses sociétés pétrolières/gazières liées a l’exploitation du gaz LNG et ses dérivés.
Lors de mon deuxième contrat au Qatar, j’ai loué entre le 15 août 2009 et le 31 mars 2011, un appartement de deux chambres à Doha. Les huit derniers mois de la location se sont déroulés sans contrat de par la seule volonté du loueur qui n’a pas souhaité le renouveler.
Début janvier 2011, j’ai envoyé un préavis par courriel à celui qui avait signé le contrat d’origine (d’une durée d’un an a partir du 15 août 2009). J’y ai écrit que, mon contrat de travail et mon visa de résident se terminant le 31 mars 2011, je devais impérativement quitter le Qatar et consécutivement l’appartement loué. Tous mes loyers avaient été payés sans exception.
À partir de ce moment, j’ai reçu de nombreux courriels fantaisistes me demandant de régler des sommes importantes aux montants variables, sans aucun justificatif que j’en étais redevable.
Lors de ces échanges de courriels, il s’est avéré que le signataire du contrat de location n’était pas le propriétaire mais apparemment un locataire de ce logement.
Sans succès, j’ai à chaque fois demandé des factures originales à mon nom.
Jugeant ces demandes peu sérieuses, j’ai quitté le Qatar le 2 avril 2011 et j’y suis revenu sans crainte le 29 avril 2011 pour mon troisième contrat.
Le 24 juillet 2011, voulant quitter le Qatar pour trois semaines de vacances d’été en famille, j’ai été rejeté au contrôle des passeports de l’aéroport international de Doha où l’on m’a seulement dit que j’étais interdit de quitter le pays.
Ma famille (épouse et deux enfants de six et trois ans) en provenance de Jakarta (Indonésie) et en transit par Doha m’attendaient à l’intérieur de la zone internationale de l’aéroport de Doha. Je n’ai même pas été autorisé à les rencontrer.
À ma sortie de l’aéroport le jour même, il m’a été conseillé de vérifier si j’avais un cas en justice. Je me suis donc rendu dans diverses cours ; à la troisième visitée, il m’a été remis des documents en arabe et l’on m’a expliqué que j’étais soumis à un travel ban, soit une interdiction de quitter le Qatar émise le 4 juillet 2011. Dans les commentaires (sans justificatifs valides) associés a ce document, il était écrit que je devais la somme de QR 48 866 (environ 10 306 euros) correspondant à une facture d’air conditionné de QR 18 866 (environ 3 980 euros) au nom du signataire du contrat de location et de QR 30 000 pour des mois de loyers de retard (soit environ 6 330 euros)
Cette interdiction de voyager avait été mise en place sans dépôt de plainte et sans notification préalable.
Note : En avril 2012, une nouvelle décision juridique a été rendue (sans justificatifs associés) par le Rental Dispute comitee (organisme officiel de régulation des conflits entre locataires et propriétaires) ; le montant et les motifs avaient changés : de l’électricité (sans factures) et des mois de loyer plus chers et plus nombreux pour un montant total de QR 91 000, soit environ 20 000 euros.
Le 24 juillet 2011, désemparé et ne sachant que faire, suite à ma situation et au drame familial vécu a l’aéroport, j’ai demandé par courriel au service consulaire de l’ambassade de France au Qatar de me recommander un avocat pour prendre cette affaire en charge et la défendre.
Les services consulaires m’ont recommandé le 25 juillet 2011 « l’avocat-conseil de l’ambassade de France », je l’ai rencontré le jour même et lui ai versé la somme de six mille Qatari Riyals, soit environ 1 270 euros.
La réalité est que « l’avocat-conseil » de l’ambassade de France était en réalité un conseiller juridique français sans aucune autorité légale au Qatar.
Celui-ci m’a laissé croire entre juillet et décembre 2011 qu’il était avocat, qu’il était intervenu quatre fois auprès des juges pour demander la levée de l’interdiction de voyager et autres diverses actions qu’il lui était impossible d’exécuter compte tenu de son statut de conseiller juridique.
Il a abandonné mon dossier vers la fin décembre 2011 sans jamais l’avoir défendu, après avoir rendu ma situation pire en décembre qu’en juillet.
Il a été observé pendant cette période que ce conseiller juridique n’a jamais transmis mon dossier a un avocat apte a le défendre et qu’il a fait obstruction à tout action en justice dans le but d’un compromis non officiel à mes dépens.
Constatant que me situation évoluait négativement, j’ai fait appel début septembre 2011 aux services du cabinet d’un très médiatique avocat de Marseille à qui j’ai transféré dix mille euros.
Ce cabinet, n’ayant pas d’autorité légale au Qatar, ne pouvait donc pas intervenir auprès de la justice locale ; je n’ai pas tiré bénéfice de ses éventuelles actions.
Dans deux courriers de services liés aux Affaires étrangères françaises, du 20 avril 2012 et du 9 mai 2012, on peut lire : « L’avocat français de Monsieur Pendeliau en France, doit être reçu prochainement au ministère des affaires étrangères et européennes a Paris pour s’entretenir de cette situation. L’entretien qui devait se tenir le 10 avril dernier dans mes services a été annulé par ce dernier ».
En 2011 et 2012, j’ai rencontré quelques avocats légaux au Qatar, certains n’ont pas donné suite à mes demandes et d’autres semblaient plus particulièrement intéressés par le montant de leurs honoraires.
Vers la fin mai 2012, j’ai fait appel à un cabinet parisien d’avocats auquel j’ai transféré la somme de quinze mille euros. Ce cabinet, n’ayant pas d’autorité légale au Qatar, ne pouvait donc pas intervenir auprès de la justice locale, je n’ai pas tiré bénéfice de ses éventuelles actions.
Comment j’ai recouvré mes droits au Qatar et ma normale liberté de circuler en trois semaines seulement :
Après deux rendez-vous en août et septembre 2012 avec le Vice-Procureur Général du Qatar et quelques conseils, j’ai finalement recouvré mes droits au Qatar et ma normale liberté de circuler par mes actions auprès de la justice locale, seul, sans avocat, sans intermédiaire, selon les règles de cette justice locale, sans négociation, sans compromis aucun.
La cour civile n’a pas tranché ni pris de décision sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire si j’étais redevable ou non d’une dette, en conséquence je n’ai subi aucune condamnation.
La cour civile a pris la décision le 4 octobre 2012 de lever le travel ban contre un chèque de banque au nom de la cour d’un montant de QR 90 899 qui correspondait à la somme exigée par la partie adverse. C’est-à-dire une sorte de garantie dans le cas ou je quitterais le Qatar sans y revenir.
Note : les actions du Vice-Procureur General du Qatar sont relatives à la justice pénale. Il m’a fait apporter quelques conseils mais ne gère pas de cas comme le mien qui relèvent de la cour civile.
Observations :
Si, à partir du 25 juillet 2011, les services consulaires m’avaient recommandé un avocat apte a défendre mon dossier, ou si Monsieur le Magistrat de liaison (détaché a l’époque auprès de l’ambassade de France au Qatar) m’avait conseillé sur les actions effectuer en justice, j’aurais vraisemblablement été apte à quitter le Qatar en août 2011 (et non en octobre 2012).
Par divers courriers/courriels et un article dans Le Journal de Saône-et-Loire du 13 octobre 2012, différents services liés aux Affaires étrangères française, prétendant que j’aurais une dette suite un litige, ignorant totalement la présomption d’innocence, m’ont désigné depuis des mois comme seul coupable dans une affaire qui n’a pas été jugée, qui est sous le secret de l’instruction et qui n’a pas fait l’objet d’un dépôt de plainte par la partie adverse.
En contradiction avec cette accusation, le 4 octobre 2012, la cour civile n’a pas tranché sur le fait que j’étais redevable d’une dette ou non, mais a seulement levé l’interdiction de quitter le Qatar en échange d’un chèque de banque du montant de la somme exigée par la partie adverse.
Si les Affaires étrangères ont été si efficaces qu’elles le prétendent depuis, comment expliquent-elles que j’ai été interdit de quitter le Qatar de façon ininterrompue pendant quinze mois? Pourquoi ne mentionnent-elles pas la liberté de circuler qui fait partie de la déclaration universelle des droits de l’homme ? Pourquoi ne mentionnent-elles pas qu’au Qatar, je n’avais commis aucun délit ni violé aucune loi ?
Que cette administration démontre, preuves et documents à l’appui, le soutien et la mobilisation qu’elle prétend m’avoir apporté : Je n’ai obtenu ma libération que grâce à mes actions auprès de la justice locale, au bout de quinze mois de blocage abusif pendant lesquels j’ai été abandonné, seul, livré à moi-même, dans un pays qui n’est pas le mien, sans même un support moral ou psychologique.
En fin du compte, ceux qui m’ont aidé à retrouver ma liberté de circuler et mes droits ont été les mêmes autorités du Qatar qui avaient émis l’interdiction de voyager et les autorités pénales par le biais du Vice-Procureur Général du Qatar.
Je ne dois donc absolument pas ma liberté retrouvée ni aux Affaires étrangères françaises ni à mes avocats.
Obsession du compromis :
Dans certains des courriers consultables infra et un courriel, cette administration affiche son but persistant que cette affaire se termine seulement par un « compromis ». La notion de solution par la justice n’y apparaît pas.
Voici, pour exemple, un extrait d’un courriel datant du mois d’août 2012 : « Ainsi, il a été permis d’espérer qu’un compromis serait trouvé et lui permettrait de quitter le Qatar, la voie de la médiation semblant constituer la meilleure issue possible. Plusieurs pistes ont été explorées en ce sens avec ses avocats ».
Dans l’une des correspondances, datée du 1er août 2012, adressée a ma mère, je suis accusé de n’avoir pas donné suite un compromis entre avocats le 27 novembre 2011. D’où provient cette affirmation ? À cette date, mon dossier était sous le secret de l’instruction et entre les mains du conseiller juridique, avocat-conseil de l’ambassade de France et aussi entre les mains du cabinet d’avocats de Marseille.
De quel droit interfère-t-on dans une affaire dite privée ? De quel droit s’ingère-t-on dans une affaire sous le secret de l’instruction ? De quel droit m’accuse-t-on d’une action que je n’ai pas faite ? Pourquoi persistait-on dans le but que cette affaire se termine par compromis ?
Mon but n’a jamais été un compromis en catimini qui n’aurait apporté aucune garantie, ni de recouvrement de mes droits au Qatar ni de recouvrement de ma normale liberté de circuler, mais que cette affaire soit gérée par la justice locale et c’est ce qui s’est passé, par mes actions pendant trois semaines auprès de cette justice, sans participation aucune de la diplomatie française.
Dans une autre correspondance, consultable infra, datée du 14 août 2012, un chef de cabinet déclare que l’ambassade de France au Qatar est déjà intervenue plusieurs fois auprès des autorités locales, malgré le caractère privé de cette affaire.
Cette affirmation appelle les commentaires suivants :
1) De quel droit s’ingère-t-on dans une affaire que l’on déclare privée et qui est sous le secret de l’instruction ?
2) Aucun justificatif n’accompagne cette affirmation.
Devoir de protection et de sécurité :
La recommandation d’un avocat apte à défendre mon dossier fait partie des devoirs de l’ambassade de France au Qatar. Sur son site internet, on lit : “Ce que peut faire la section consulaire en cas d’arrestation ou d’incarcération : faire savoir aux autorités locales que vous êtes placé sous la protection consulaire de la France➢ s’enquérir du motif de votre arrestation➢ si vous le souhaitez, prévenir votre famille, et solliciter les autorisations nécessaires pour pouvoir vous rendre visite.➢ S’assurer des conditions de votre détention et du respect des lois locale.➢ Vous aider judiciairement en vous proposant le choix d’un avocat qui pourra vous défendre.”
Il paraît aussi que « l’une des priorités de l’Ambassade de France est de garantir la sécurité de ses ressortissants ». Dans son message du 5 octobre 2011, son excellence l’ambassadeur de France déclare : « Dans l’exercice de mes fonctions, l’administration, l’accompagnement et la protection des ressortissants français sera naturellement une de mes priorités. Il en va des devoirs de l’État et des exigences de solidarité qui fondent notre pacte républicain. Il en va aussi des conditions nécessaires à l’heureux développement des relations entre la France et le Qatar. Soyez assuré qu’avec l’ensemble de mes collaborateurs de l’Ambassade, je me consacrerai sans réserve à cette exaltante mission. »
Attitude diplomatique :
Les Affaires étrangères n’ont pas remis en cause et n’ont pas condamné cette punition totalement injustifiée qu’est ma rétention forcée de plus de quinze mois à l’intérieur des frontières du Qatar, ni les souffrances de toute une famille qui y ont été associées. Elles se sont seulement obstinées à me designer comme seul coupable et ont persisté afin que cette affaire se termine seulement par un compromis, à mes seuls dépens, sans action en justice, et sans jamais se préoccuper de l’aspect humain et familial.
Restent quatre questions :
– La diplomatie française ne met-elle pas en danger nos concitoyens par le message d’impunité qu’elle envoie ici aux auteurs potentiels d’actes malveillants contre les ressortissants français ?
– Le poste d’avocat-conseil est-il un poste officiel ? Si c’est le cas, pourquoi n’ai-je pas rencontré celui-ci dans un bureau de l’ambassade de France mais dans un bureau d’avocat privé de Doha ?
– Comment se fait-il que cette affaire soit devenue rapidement et durablement un conflit franco-français ou la partie adverse n’a été inquiétée en aucune façon ?
– Pourquoi cette administration s’obstine-t-elle depuis des mois, même après ma libération, à dénigrer la victime française d’une injustice et sa famille, plutôt que de s’attaquer aux vrais responsables de cette situation ?
Demande :
Je demande que soit officiellement clarifié le comportement de la diplomatie qui est revenu à sacrifier inutilement un Français sur l’autel d’intérêts restant à définir mais qui ne sont vraisemblablement pas liés au maintien des bonnes relations bilatérales France-Qatar.
Yves Pendeliau
Pièces consultables : Courrier de Monsieur le Directeur des Français de l’étranger du 20 avril 2012, courrier de Monsieur l’ex-Ministre des Affaires étrangères du 9 mai 2012, courrier de Monsieur le Directeur de Cabinet auprès de la Ministre déléguée chargée des Français de l’étranger du 1er aout 2012, courrier du chef de Cabinet auprès de la Ministre déléguée chargée des Français de l’étranger du 14 août 2012, Courrier de Monsieur le Sénateur des Français de l’étranger à son Excellence l’Ambassadeur de France au Qatar, article « Affaire pendeliau : Des précisions du Quai d’Orsay » publié dans Le JSL du 13/10/2012, reçu par la justice locale d’un chèque de banque d’un montant de 90 899 Qatari Ryials.
Lire aussi :
> Yves Pendeliau : Otage au Qatar. La diplomatie française aux abonnés absents
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