Le rôle et les missions de l’Etat sont à nouveau au centre du débat à la suite de l’effondrement du viaduc autoroutier qui surplombait la ville de Gênes. On ne peut à la fois limiter et entraver l’Etat dans ses missions régaliennes qui sont centrées sur la sécurité extérieure et intérieure, en lui imposant des frontières ouvertes, une immigration massive, et de multiples freins à l’action policière et judiciaire contre la délinquance et réclamer qu’il intervienne dans tous les domaines comme s’il était le seul garant d’un résultat satisfaisant. La catastrophe du pont « Morandi » amène de nombreuses voix à contester la privatisation des autoroutes, et à réclamer le retour du monopole de l’Etat sur les transports publics. C’est là une manière simpliste et superficielle de traiter la question.
L’Etat doit protéger, contrôler et réprimer. Sa première mission est d’assurer la protection de la nation qu’il a la charge de conduire, et celle des personnes qui la composent. Il détient évidemment le monopole de cette fonction face aux périls extérieurs. Les dangers internes demandent, quant à eux, de la clarté et de la souplesse alors que les solutions actuelles accentuent à la fois l’opacité et la confusion. L’effondrement démographique est plus lourd de conséquences que celui d’un pont, mais on pense cependant que l’Etat n’a pas à intervenir sur les choix des individus, si ce n’est pour les garantir alors même qu’ils sont en contradiction avec le bien commun de la collectivité. En revanche, dès qu’un accident se produit dans un domaine où l’initiative privée et l’action publique se chevauchent, immédiatement, le réquisitoire se dresse qui accuse la rapacité des entreprises, leur empressement à enrichir les actionnaires, et leur ignorance de la notion de service public. Le pont Morandi n’a pas été voulu et financé par une société privée. Il s’agit, comme pour toutes les infrastructures importantes de transport public de la conséquence d’une décision politique suivie pour sa réalisation d’un financement tout aussi public. Ensuite, la construction a fait appel à des entreprises privées et celle-ci achevée, la gestion est confiée à une entité publique ou non. Autostrada per l’Italia, fondée en 1956 n’a été privatisée qu’en 1999 et son capital est désormais détenu par Atlantia, un groupe dont l’actionnaire principal est la famille Benetton. Les Français ont déjà entendu parler de cette société. C’est elle qui possédait 70% du capital d’Ecomouv’ chargée de percevoir l’écotaxe des poids lourds. Après appel d’offres, le gouvernement français l’avait choisie. Les experts pensaient qu’une entreprise publique aurait été moins onéreuse, mais le savoir-faire italien dans ce domaine permettait une plus grande rapidité. Le fiasco fut politique, et donc public. La France s’engagea à rembourser 839 Millions d’Euros à Atlantia qui gère actuellement les autoroutes du nord et de l’est dans notre pays.
L’hypothèse suivant laquelle c’est la conception même du Pont Morandi qui explique la catastrophe impliquerait également davantage la décision politique initiale que l’entretien manifestement inapproprié assuré par le gestionnaire privé. Celui-ci n’a pas pris la mesure d’un danger qu’aucune étude n’avait d’ailleurs précisé. Il n’est pas sûr qu’une gestion publique eût été plus efficace. La rentabilité politique, électorale ou financière, des choix ne garantit pas davantage leur conformité à l’intérêt général que le rendement des actions. Lorsqu’une catastrophe survient, elle touche autant les élus qui sont impliqués que les actionnaires qui voient fondre leur capital. Si l’Italie connaît une certaine porosité entre le secteur privé, parfois mafieux, et le monde politique qui explique la fragilité des ouvrages d’art en Sicile ou en Calabre, le désastre le plus important, colossal, demeurera celui de Tchernobyl, cette centrale nucléaire, mal conçue et mal gérée dans un pays, l’URSS à 100% public ! On peut même penser que les sanctions sont plus claires et plus nettes dans le privé que dans le public, où le copinage est souvent beaucoup plus intense. Les sociétés mises en cause peuvent en mourir. Les Etats ne meurent pas, ce qui en fait des emprunteurs irresponsables.
C’est pourquoi il faut sur cette question faire preuve de pragmatisme. L’Etat ne peut pas tout, et d’autant moins que ses interventions multiples dans nos sociétés social-démocrates l’ont lourdement endetté. A force de dépenser pour fonctionner, il n’investit plus suffisamment. Sur 12000 ponts en France, 1/3 ont besoin de réparations, et 7% sont menacés d’effondrement. La règle d’or qui consisterait à imposer à l’Etat comme c’est déjà le cas pour les collectivités territoriales de s’interdire tout déficit en fonctionnement devrait être la priorité. Pour le reste, c’est à lui de décider des grandes infrastructures nationales. Il n’est pas indispensable qu’il les gère, mais il doit en contrôler la gestion et être impitoyable sur tout manquement aux obligations d’un cahier des charges explicite et public. Dans certains cas, le choix du privé sera judicieux. Dans d’autres, il ne le sera pas. Ainsi, on peut penser que la privatisation des autoroutes en France par Dominique de Villepin a été une très mauvaise affaire. La Cour des Comptes a estimé les 14,8 Milliards perçus inférieurs de 10 Milliards à la valeur du bien concédé. Depuis, les emplois ont diminué, les tarifs ont augmenté, et les profits tout autant, directs et indirects, puisque les sociétés d’autoroute sont détenues par des géants du BTP. On peut raisonnablement penser que les revenus des péages auraient été plus utiles à l’Etat que la vente du réseau, dont le produit a disparu dans le puits sans fond de notre dette. Mais là encore on peut s’interroger sur ce que l’Etat aurait fait de ces ressources : actuellement, sur 46 Milliards de rentrées fiscales routières, l’Etat ne réinvestit que 13 Milliards dans le réseau.
Il faut avec bon sens remettre chacun à sa place. L’Etat, ou les collectivités territoriales, doivent décider de la réalisation des infrastructures. Leur gestion doit le plus souvent possible être confiée à des organismes privés en sauvegardant les intérêts légitimes du contribuable. En revanche, le contrôle et donc la protection des usagers, doivent demeurer les obligations vigilantes de l’Etat.