En politique, s’il y a bien quelque chose qu’on ne doit jamais oublier, c’est qu’on ne doit jamais laisser passer l’occasion d’utiliser une catastrophe à ses propres desseins. Si ces derniers peuvent être électoralistes voire purement populiste, c’est encore mieux et l’effondrement du pont de Gênes en est, encore une fois, une aveuglante démonstration.
Alors même que les secours peinent à extraire les derniers cadavres de l’enchevêtrement de béton et d’acier du pont Morandi de Gênes, les politiciens français ne sont pas restés inactifs.
C’était d’autant plus facile que les inquiétudes des Italiens, au constat de la vétusté de leurs infrastructures routières, ont trouvé un écho fort préoccupant chez les Français à la sortie d’un rapport particulièrement bienvenu sur la leur, paru en juillet dernier : selon la synthèse produite, 7% de nos ponts présenteraient un risque d’effondrement « à terme » et devraient donc – en toute logique – être fermés pour réparation aussi vite que possible.
Chose intéressante : l’étude de ce rapport portait sur les infrastructures du réseau routier national non concédé à des sociétés privées qui sont donc entièrement à la charge des administrations publiques. Et sur les 12.000 ponts qui appartiennent à cette catégorie de l’infrastructure routière du pays, un tiers nécessite des réparations. Il faut le reconnaître : l’État n’a clairement pas mis suffisamment de moyens dans l’entretien de ces infrastructures.
On pourrait tenter de se rassurer en écoutant les déclarations lénifiantes de la ministre des Transports, Elisabeth Borne, qui déclarait récemment avec aplomb que toutes ces infrastructures « font l’objet d’une surveillance permanente, les ponts font l’objet de visites annuelles ». On oubliera bien vite que le pont Morandi était lui aussi sous surveillance permanente et faisait même l’objet de réparations partielles… Ce qui ne lui a absolument pas empêché de s’effondrer d’un coup.
Mais qui peut, décemment, encore faire confiance aux politiciens pour gérer l’infrastructure ?
Cependant, si l’on ne peut absolument pas accorder le moindre crédit à ces derniers lorsqu’ils prétendent s’en occuper, on peut en revanche les croire sur parole lorsqu’ils envisagent, dès à présent, de trouver un moyen supplémentaire de taxer les contribuables au motif d’augmenter les ressources qui seront allouées aux grandes, belles et particulièrement efficaces administrations qui en ont actuellement la charge.
C’est ainsi que l’habituelle clique des profiteurs de catastrophe s’est subitement réveillée avec l’idée évidente de remettre l’écotaxe au goût du jour pour, justement, financer les réparations et autres améliorations du réseau routier français. Pour eux, c’est évident : afin de restaurer le réseau routier français dans sa virginale efficacité et une sûreté optimale, il faut ponctionner un peu plus les automobilistes et pour cela, réinstaurer cette écotaxe qui fut salement interrompue en 2013.
Et franchement, ça tombe bien : une « loi de mobilité » est justement en préparation qui pourra parfaitement accueillir ces nouvelles idées d’extorsion de contribuable. N’y voyez là aucune coïncidence : comme le gouvernement et ses députés-godillots sont sans arrêt en train de débiter des lois à rythme industriel comme d’autres des saucisses, il était inévitable que l’une ou l’autre loi pourrait, sans problème, servir de cavalier législatif à ce nouveau furoncle taxatoire.
Et si je parle ici de furoncle taxatoire, c’est pour deux raisons essentielles.
D’une part, nos politiciens semblent avoir oublié un peu vite que l’écotaxe avait été envisagée dans le cadre certes fumeux mais ô combien efficace de l’écologie gouvernementale et de la lutte contre les méchantes pollutions qu’entraînait un usage intensif de la route au détriment du ferroutage ou d’autres modes de transport plus ou moins crédibles.
Autrement dit, en souhaitant réinstaurer cette même taxe tout en changeant son motif qui passerait d’écologique à sécuritaire, ces politiciens démontrent une fois encore qu’ils font feu de tout bois et ne s’embarrassent jamais de faire correspondre les buts affichés avec les moyens réels mis en œuvre. Or, puisque l’on comprend bien ici que l’écologie n’était donc qu’un prétexte à l’instauration de cette taxe tant son changement d’objet semble à ce point simple, on doit en déduire que la sécurisation des infrastructures sera, son tour venu, reléguée au même rang de prétexte oublié. En somme, on peut garantir que l’argent sera bien ponctionné, mais absolument aucune garantie ne peut être obtenue qu’il le sera pour le renouvellement des routes, des ponts, des petits panneaux « 80 km/h » ou des radars automatiques qui font tant de bien à la mobilité française.
D’autre part et comme le détaille brillamment cet article de Contrepoints, l’automobiliste français (qu’il soit en voiture ou en camion) finance déjà outrageusement cher ces infrastructures et leur réfection : avec un total de plus de 40 milliards d’euros de taxes diverses et variées prélevées sur les usagers de la route française, ils seraient en droit d’avoir plus de trois fois ces infrastructures, neuves, chaque année.
Dès lors, demander à ces mêmes payeurs, déjà ultra-taxés, de supporter une nouvelle taxe pour subvenir à des besoins qu’ils surpayent déjà outrageusement permet de passer ce foutage de gueule d’un niveau international au niveau interplanétaire. Il faut véritablement être un politicien, c’est-à-dire avoir été opéré de la honte très jeune, pour oser proposer sans sourciller ce genre de crapulerie, plutôt que demander, haut et fort, où sont passés ces taxes. Quelles tubulures chromées de notre usine à gaz fiscale ces taxes ont-elles empruntées pour que 40 milliards s’évaporent ainsi tous les ans des usagers de la route et que seulement 700 millions leur reviennent ?
Il n’y a pas à tortiller : avec plus de 98% de ces fonds évaporés, les politiciens sont passés maîtres dans l’art de la lyophilisation du pognon des autres.
Au passage, on ne s’étonnera pas du peu de réaction de la presse qui ne s’est jamais embarrassée de rappeler les quelques évidences mentionnées ici : elle-même complètement sous perfusion, on la voit mal reprocher à ces populistes hontectomisés ce genre de flibusterie sachant qu’elle en bénéficie indirectement dans un autre domaine ; ce serait un peu comme la bouteille de vodka qui reprocherait son degré d’alcool à la bouteille de cognac…
Mais la France reste la France et ce genre de pratique ne dérangera finalement personne. Le prétexte de la catastrophe génoise utilisé pour surtaxer à nouveau les automobilistes français est évidemment parfaitement inique, mais les motifs « écologiques » de l’écotaxe ayant échoué à la faire s’installer, ceux de la sécurité marcheront peut-être mieux ; après tout, ils ont marché pour toutes les avanies de la décennie écoulée, pourquoi pas pour celle-ci ?
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