A l’école de deux contre-exemples
Emmanuel Macron a beaucoup appris des deux présidents qui l’ont précédé à l’Elysée. De Nicolas Sarkozy, il a retenu qu’un président n’était pas un premier ministre, et qu’il n’avait rien à gagner à courir après le dernier fait divers sur lequel les médias braquent leurs projecteurs. François Hollande, de son côté, lui aura démontré, malgré lui, que sa fonction était tout sauf « normale ». De l’enseignement de ces deux contre-exemples, le leader d’En Marche ! a tiré son concept de « présidence jupitérienne ».
Une fois ce constat posé, une question surgit : Macron a-t-il les moyens, ou du moins pourra-t-il se donner les moyens, d’assumer un tel type de présidence ? Et d’abord, qu’est-ce qu’une présidence « jupitérienne » ? Une parole rare, un sens aigu du régalien comme domaine réservé du chef de l’Etat, le souci de conserver à la fonction une verticalité qui la préserve à la fois du narcissisme infantile du vibrionnisme obsédé par les médias, et de l’horizontalité d’une normalité placide virant à l’insignifiance ? A ce niveau, Emmanuel Macron a parfaitement rectifié les deux erreurs de posture de Sarkozy et Hollande.
Cependant, est-ce suffisant pour redonner à la fonction présidentielle son lustre d’antan ? La prestance individuelle de l’homme Macron arrivera-t-elle à rehausser à elle seule l’aura qui doit entourer l’exercice d’une présidence de la cinquième République ? Rien n’est moins sûr. Au moins trois raisons étayent le scepticisme à ce sujet.
Dérive managériale
D’abord, tout dépend de la conception que Macron se fait de la politique. Là-dessus, de nombreux commentateurs ont souligné la dérive managériale du macronisme. Cette pratique managériale se traduit par un souci obsessionnel de l’efficacité. De la même façon qu’un patron d’ entreprise fixe ses objectifs à ses cadres, Macron assigne à la politique la tâche d’obtenir des « résultats ». Sans doute cette manière d’aborder la pratique politique résulte-t-elle de l’exaspération de l’opinion, lasse de la persistance d’un chômage de masse depuis quarante ans. Toutefois, en substituant un gouvernement des choses au gouvernement des hommes, le macronisme s’éloigne de l’objectif initial de réinjecter de la verticalité dans la politique, au profit d’un économisme plus ou moins gestionnaire. On sait, par exemple, que les candidats d’En Marche ! à l’élection législative ont été recrutés sur simple CV !
Afin de corriger cette silhouette managériale trop marquée, la présidence jupitérienne de Macron a tout intérêt à fixer une feuille de route à la France qui ne s’épuise pas dans des directives technocratiques, fussent-elle étayées de chiffres et de courbes. Sinon, Jupiter court le risque de se métamorphoser, plus vite que prévu, en simple patron faussement gentil d’une start-up géante.
Quelle tradition pour le macronisme ?
Emmanuel Macron a bien conscience que pour incarner une présidence jupitérienne, il est impératif d’inscrire celle-ci dans une tradition susceptible d’asseoir son autorité. Mais laquelle ? Notre président, qui a été assistant de Paul Ricoeur, sait que l’autorité ne se décrète pas, qu’elle résulte d’un ordre objectif qui était là avant nous, ordre qui constitue précisément ce que l’on appelle une « tradition ».
Or cet ordre antérieur à la manifestation de notre volonté, le macronisme sociétal aura toutes les peines du monde à l’avaliser pour la simple raison que le rapport à la société qu’il véhicule est individualiste, lesté de sentiments et de moralisme pieux. Si l’ordre social, qui fonde votre autorité, doit en effet être approuvé à chaque instant par les membres de la collectivité pour conserver sa légitimité, et qui, de ce fait, peut être remis en cause à tout moment, on baigne en pleine illusion lorsqu’on prétend vouloir rétablir l’autorité sur une base aussi fragile, et ceci afin de revêtir les habits d’une présidence jupitérienne.
Ou bien le macronisme décide de renouer avec le récit national afin d’arrimer son « jupitérisme » (excusez le néologisme) à une tradition qui le légitime, et de redonner à l’Etat la force que lui dénie le contractualisme pour lequel tout est négociable, ou bien cette posture, qui désire renouer avec un certain gaullisme, finira par ne plus être qu’un coup de com’ de plus. L’opinion, qui ne sera pas dupe bien longtemps, tournera alors le dos à ce leurre. Le résultat en sera un discrédit aggravé non seulement de la politique en général, mais aussi des autorités intermédiaires chargées d’assurer la cohésion du corps social dans son ensemble.
Un tel dilemme démontre que la pratique jupitérienne de la politique doit impérativement être solidaire d’une idéologie prenant le contre-pied de l’individualisme postmoderne. Sinon, l’objectif de Macron est peine perdue. Le nouveau président ne peut pas avoir le beurre de l’autorité et l’argent du beurre du libertarisme sociétal, selon lequel chacun fait ce qui lui plaît – dans les limites des « droits » qu’il conquiert ; le beurre de la nation qui lui confère son statut de président, et l’argent du beurre de la répugnance, sous la pression du politiquement correct, à nommer l’ identité propre de notre pays.
C’est bien beau d’honorer les fêtes johanniques d’Orléans ou le Puy du Fou de sa présence. Mais ces visites n’assurent pas à elles seules la reconnaissance d’une verticalité dont on prétend se prévaloir dans l’exercice de sa fonction. Un temps viendra où le choix s’imposera entre inscrire sa présidence dans une tradition identifiée, ou bien renoncer à faire de sa prestance autre chose qu’un « coup » de communication politique, pareil à ces idoles antiques, chamarrées d’or à l’extérieur, mais creuses et rongées par les bêtes à l’intérieur.
Le macronisme est-il compatible avec le temps historique long ?
Autrement dit, l’autorité dont Macron désire se prévaloir, ne peut être bâtie sur le vide, sur ses seules déclarations, voire ses postures. Ici aussi, le flou n’est opératoire qu’un temps. Certes, De Gaulle faisait du mystère et du silence deux composantes essentielles de la fonction présidentielle (version V République). Mais l’homme du 18 juin vivait dans une France où les manettes de l’Etat répondaient encore lorsqu’on les activait, une France qui savait qui elle était, qui n’avait pas de problèmes d’identité, un pays qui n’était pas gangrené par les maux conjugués du communautarisme et de l’individualisme. Notre pays ne rechignait pas à s’insérer alors dans une temporalité longue. Est-ce encore possible aujourd’hui, à l’heure des start-up nées d’hier, et dont la durée de vie s’avère aussi éphémère que celle d’un papillon de nuit ? A l’heure où les institutions les mieux établies du monde, comme le mariage, sont susceptibles de changer de nature, de muer en des réalités totalement différentes de celles qu’elles ont toujours été ? De Gaulle pouvait se permettre le luxe d’être « mystérieux » parce que la France était encore sûre d’elle-même. Mais un pays qui flageole sur ses jambes, qui vit au jour le jour, que le harcèlement médiatique hystérise et énerve continuellement, ce pays a-t-il encore les moyens de se payer le luxe d’un président à l’aura évanescente ? Macron doit ici éviter deux écueils : ne pas se transformer en super-premier ministre, tout en se gardant de rester trop éloigné de son peuple et de ses attentes, fussent-elles non relayées par les médias (comme le thème de l’immigration).
Il y a plus : l’autorité que les hommes sont prêts à reconnaître à une institution, ou à un homme, se mesure également au degré de dangerosité du monde dans lequel ils vivent, et de la marche de l’histoire où s’inscrivent leur action collective. Partout et toujours, ce qui a été revêtu d’autorité, hommes ou institution, l’a été, entre autres raisons, afin d’assurer la cohésion de la cité face aux périls qui la menaçaient. Or, l’idéologie managériale du macronisme, fidèle à la superstition postmoderne de la sortie de l’histoire et à son présentisme, fait l’impasse sur cette conception tragique de l’histoire.
Optimisme de commande
Dans ces conditions, en l’absence de tout danger identifié, et plus globalement, de toute inscription dans une histoire nationale longue, la présidence jupitérienne aura du mal à réclamer des citoyens une délégation d’autorité pour celui qui désire l’incarner. Et ce n’est pas l’optimisme managérial de commande dont il fait montre, méthode Coué plus propre à alimenter le scepticisme qu’à susciter l’enthousiasme, qui lui assurera bien longtemps le consentement du peuple. Surtout si l’histoire ne sert que de prétexte pour battre notre coulpe au sujet de notre passé.
Sur tous ces points, il est évident que le projet d’Emmanuel de mettre son quinquennat sous le signe d’une présidence jupitérienne et verticale, reste très problématique.
Jean-Michel Castaing
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