Première partie: la destructuration de l’État rwandais
Dans un livre absolument remarquable intitulé Rwanda, le génocide, l’Eglise et la démocratie, le plus brillant des africanistes français, Bernard Lugan, montre très bien que si les missionnaires Pères Blancs catholiques et l’administration coloniale belge n’ont évidemment pas voulu engendrer le génocide rwandais, la déstructuration – cynique – de cet État-nation africain plurimillénaire, qu’ils ont engendrée afin de faciliter les conversations au christianisme d’abord, l’imposition de la démocratie européenne ensuite, constitue bel et bien le terreau qui aura provoqué la catastrophe.
I) Une fracture entre Tutsis et Hutus du fond des âges temporisée par les traditions, les coutumes et la religion païenne rwandaises (-1 000 avant J.-C. – 1900)
Le Rwanda est un petit État-nation de l’Afrique central se situant dans la région des grands lacs riches en hydrocarbures. Le Rwanda est composé de deux races distinctes, les Tutsis, minoritaires à 15%, peuple éleveur de bétail, et les Hutus, agriculteurs, majoritaires à 85%. Les premiers originaires génétiquement du groupe nilo-saharien arrivèrent de la région du Tchad quelques siècles avant les Hutus, eux-mêmes issus des grandes migrations bantouphones parties de l’Afrique occidentale pour s’installer dans la région des grands lacs dont le Rwanda entre -400 et -200 avant J.-C..
Une partie des Tutsis établit une monarchie aristocratique, qui dominait le reste des Tutsis et l’ensemble des Hutus. Indépendamment de quelques hypothèses marginales de métissage entre les deux groupes humains, les Hutus, qui se faisaient remarquer par leurs aptitudes particulières pour la guerre ou leur service rendu à la monarchie, pouvaient obtenir un titre de noblesse qui leur conférait un grand pouvoir. Mais ces nominations étaient peu fréquentes.
Entre le Xème et le XIIème siècle, eut lieu une nouvelle migration tutsi du clan des Nyiginya qui s’intégra à la monarchie aristocratique tutsi préexistante puis la domina. Pour justifier leur prise du pouvoir, ils falsifièrent l’Histoire en racontant qu’ils étaient tombés du ciel, « qu’ils étaient d’essence divine et donc porteurs de tous les principes civilisateurs. Ils affirmaient donc qu’ils avaient vocation à commander aux Hutus, mais également aux Tutsis qui les avaient précédés dans la région » (page 26). C’est à cause de cette affirmation erronée que les Hutus se considérèrent comme un peuple premier, dominé et colonisé, alors même qu’ils s’étaient installés au Rwanda après les premiers Tutsis, qui les dirigeaient déjà.
Mais ce malaise fut grandement temporisé par la civilisation originale que conçurent les deux peuples, dans ce qui allait devenir ce véritable État-nation africain qu’était le Rwanda, transcendée par une monarchie aristocratique dépassant les clivages, aidée d’une religion politico-sociale païenne, patriote, enracinée, qui développa des rites, des coutumes et des traditions liant fortement les deux races. Les missionnaires Pères Blancs qui débarquèrent au Rwanda à l’aube du XXème détruisirent volontairement cet équilibre afin de faciliter l’évangélisation du pays…
II) La déstructuration de l’État Rwandais par les Pères Blancs puis par l’administration coloniale belge (1900-1962)
A) Les Pères Blancs favorisent l’Hutu « opprimé » (1900-1913)
Le christianisme est une religion subversive qui contredit l’ordre et les hiérarchies naturelles. Comme l’exprime si bien Alain de Benoist dans son entretien avec la catholique Danièle Masson : « pour l’esprit antique, l’amour représente toujours une tension vers le supérieur (…) dans le christianisme, au contraire l’amour emprunte le sens inverse, il provient de l’être parfait qui fait de l’être imparfait son objet. Vue proprement révolutionnaire qui, transposée dans le monde des hommes, justifie par analogie l’amour de l’ « inférieur » – du moins noble, du malade, du laid, du vulgaire, du « pécheur », c’est à dire de réorienter vers le bas ce qui est normalement orienté vers le haut ».
Ainsi, à l’inverse par exemple du Dieu hindou et incarné Krishna qui exhorte le prince Arjuna, dont les richesses et le trône ont été volés par ses cousins usurpateurs, à reconquérir son royaume héroïquement, Jésus incite le jeune homme riche à délaisser tous ses biens et sa noble lignée pour le suivre. A l’opposé du paganisme qui demande de suivre la pousse de notre corps en devenant des hommes et des femmes responsables donnant le meilleur d’eux-mêmes pour s’unir à Dieu, Jésus enjoint à ses adeptes de devenir des « petits enfants » pour gagner le Royaume des cieux. Il explique après avoir lavé les pieds de ses disciples « qu’il faut se considérer comme le dernier d’entre tous » et Saint Paul s’exclame dans son épître à Timothée que « Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont il est le premier » et exhorte ses disciples à choisir des métiers, des situations et des vies « humbles », au lieu d’être ambitieux et de vouloir le grand.
Résultat : c’est par prédisposition spirituelle que les Pères Blancs missionnaires catholiques débarquant au début du XXème siècle soutinrent les Hutus dirigés par les Tutsis afin d’évangéliser le pays. Cyniquement, les Père Blancs vont systématiquement soutenir les « pauvres » Hutus contre les « puissants » Tutsis. Bernard Lugan prend l’exemple du règlement des conflits où les missionnaires ouvriront des tribunaux parallèles à la justice rwandaise qui prendront systématiquement fait et cause pour les agriculteurs hutus contre leurs chefs tutsis quand bien même ces premiers seraient en tort. Le but de cette politique était de créer une hémorragie efficace de conversions, qui avaient malheureusement le défaut d’être intéressées et non gratuites puisque, avant tout, émancipatrices de l’autorité tutsi.
L’administration coloniale rwandaise fut dirigée de 1885 à 1918 par les Allemands qui, grâce à leur esprit aristocratique protestant avaient fondé leur autorité sur le respect de la hiérarchie traditionnelle rwandaise. Bien que non opposée à l’évangélisation catholique, l’administration allemande mettra plusieurs fois en garde les Pères Blancs dont la stratégie de conquête risquait à terme de déstructurer le royaume. Le 9 décembre 1911, excédé, le lieutenant résident allemand Gudovius adressa une missive admonestant le supérieur de la mission et lui demandant instamment d’arrêter cette stratégie mortifère sapant l’autorité royale. Les Pères Blancs, peu à peu, obtempérèrent et changèrent radicalement de tactique, soutenant désormais la monarchie tutsi en pensant, judicieusement, qu’une conversion du monarque et de son entourage inciterait le reste des Rwandais, ayant la même religion que leur Prince, à se convertir encore plus rapidement.
Ce retournement s’accomplit grâce au nouveau directeur de la mission, Monseigneur Classe, de tendance royaliste, ordonnant dans une lettre du 17 avril 1913 à tous les Pères de se rallier aux Tutsis.
B) La « tutsification » du Rwanda ou la transformation de la monarchie aristocratique païenne en royalisme despotique chrétien (1913-1959)
Dans les paganismes hindous, européens et même rwandais, Dieu est engendreur de la multiplicité diverse de l’Univers dont Il a besoin pour prendre conscience de Lui-même. Par conséquent, comme « les hommes sont guidés par leurs représentations du monde » (Dominique Venner), les païens vont créer des régimes le plus souvent monarchistes mais tempérés par une aristocratie diverse, puissante, serviable mais libre. La structure mentale du christianisme est totalement différente : étant originairement sémitique, elle fonctionne comme le judaïsme proche-oriental ou l’islam sur une base populaire égalitariste surplombée par un Dieu « Tout Puissant » créateur d’un monde qui lui est inférieur.
Les actes des Apôtres décrivent admirablement bien le fonctionnement des premières communautés chrétiennes : l’égalité stricte était obligatoire entre des individus adeptes d’un Dieu omniprésent qui sonde les cœurs. Dans le chapitre 5 des Actes des Apôtres, Pierre, par la puissance du Saint-Esprit qui détecte toute pensée et action contraire à sa volonté, tue par des paroles maléfiques Ananias et son épouse Saphira, qui voulaient garder discrètement une partie de leur bien au lieu d’embrasser, à l’instar de leur coreligionnaires chrétiens, un égalitarisme strict que, si nous donnions dans l’anachronisme sarcastique, nous pourrions qualifier comme étant « de type communiste ».
Ce qui est extrêmement intéressant à constater, c’est que partout où le christianisme, dans ses formes catholique et orthodoxe, se répandra, de Rome au Rwanda en passant par la Russie et l’Amérique latine, il engendrera des despotismes « socialisants », à l’image des premières communautés de Jésus. Voici quelques exemples historiques, dont l’exemple rwandais :
a) De l’Empire romain païen aristocrate à l’Empire byzantin chrétien tyrannique
Dans un excellent article intitulé Le miracle Romain du numéro 67 de La Nouvelle Revue Histoire consacré à la ville de Rome, l’historien, catholique, Yann le Bohec décrit le pourquoi de la grandeur romaine. « L’explication principale tient en la permanence de l’aristocratie romaine. Il ne faut pas imaginer le système impérial comme une monarchie absolue. Il s’agissait en réalité d’une monarchie tempérée par une aristocratie patriarcale. Son appellation réelle était le Principat. Ce mot vient du latin princeps, « premier ». L’empereur n’étant que le premier des sénateurs. Il exerçait le pouvoir au quotidien, mais il associait le Sénat en tant qu’institution, ainsi que de nombreux sénateurs, les Patres (Pères). (…) La réalité trop souvent méconnue est que les sénateurs pesaient d’un poids considérable dans la vie et l’administration de l’Empire. Non seulement ils possédaient des richesses importantes, mais ils fournissaient aussi tous les cadres supérieurs de l’armée et de l’administration ».
L’orientalisation de l’Empire due aux conquêtes de Trajan (53-117) va éroder ce contre-pouvoir sénatorial, laissant peu à peu – dès la dynastie libyenne des Sévère – la place à un empire militaire. Mais le coup de grâce sera porté à partir de la christianisation du régime. Comme le raconte avec précision l’historien, catholique, Lucien Jerphagnon, dans sa célèbre Histoire de la Rome Antique, l’Empire glissera à partir de Constantin dans « une verticale du pouvoir », s’opposant au Sénat désirant conserver « la religion des Pères », et prenant source dans le Dieu « Christ-Pandokrátor » dont l’empereur vicaire et despote sera le représentant sur Terre, s’appuyant sur une administration de fonctionnaires obligatoirement chrétiens, dociles et soumis, contrôlés par un système d’espionnage démesuré, interdisant la liberté de conscience définitivement abolie au nom de la « Vérité Unique » chrétienne vers 530 par la loi de Justinien, le fameux empereur bâtisseur de la cathédrale Sainte Sophie de Constantinople – et grand massacreur de païens refusant de se convertir, qu’il crucifiera en masse…
b) De l’aristocratie viking scandinave au despotisme russe orthodoxe
Dans son très bon Atlas des empires maritimes, le conseiller juridique à l’Etat-major de la marine, Cyrille Coutansais explique que les Rus, ancêtres des Russes, furent les vikings scandinaves qui pénétrèrent via la Volga et les autres fleuves dans le berceau historique de la Russie kiévienne puis moscovite. Comme tous les autres royaumes vikings, il était de type aristocratique : la délégation du pouvoir à des nobles entreprenants était importante. Tout changea avec la christianisation de la Russie, entreprise par saint Vladimir (980-1015), où s’instaura doucement mais sûrement un régime autoritaire – pour ne pas dire totalitaire – désireux de devenir la « Troisième Rome », se voulant le continuateur de Byzance.
L’historien François-Georges Dreyfus démontrera, dans son Histoire de la Russie, qu’en réalité il n’y a aucune différence de fond entre le pouvoir totalitaire communiste, le tsarisme orthodoxe et la Russie poutinienne, se fondant tous sur « une verticale du pouvoir et la dictature de la loi » (Vladimir Poutine) où le libre-arbitre de l’administré peine plus ou moins, selon les époques, à s’exprimer.
Certains me rétorqueront que ce centralisme russe fut considérablement renforcé par l’occupation Tatare au XIVème siècle. C’est en partie vrai car, étant musulmans, ceux-ci avaient la même vision égalitariste soumise à une « Vérité Unique » divine totalitaire. Les royaumes turco-mongoles, avant leur islamisation, bien que se référant à un seul chef, laissaient malgré tout un grand pouvoir de décision aux généraux impériaux.
c) « La fille aînée de l’Église » consacre l’absolutisme « socialisant »
Très tôt, la monarchie française matinée de la « Vérité Unique » chrétienne n’aura de cesse de siphonner les féodalités et de niveler les différences régionales dans un centralisme étatique. Avant son accomplissement définitif par les révolutionnaires, ce processus s’intensifiera grandement dès le Grand Siècle avec le cardinal de Richelieu, être exceptionnel, dont malheureusement, en politique intérieure, au-delà de la légitime bataille contre les nobles protestants récalcitrants risquant de briser l’unité du Royaume, les aptitudes hors normes serviront une vision mystico-politique tronquée. Dans son Testament Politique, « l’homme rouge » fait savoir que « le premier fondement du bonheur d’un État est l’établissement du règne de Dieu » d’essence totalitaire et puritain.
Louis XIV, ayant beaucoup appris de Mazarin, lui-même disciple de Richelieu, perfectionnera cette centralisation, transformant les nobles libres et vigoureux en des poudrés oisifs et soumis flattant continuellement le monarque, Roi Soleil, vicaire du « Christ-Roi », dans l’espoir d’obtenir une intendance royale leur permettant d’être des fonctionnaires à vie d’une administration pléthorique et tentaculaire régnant sur une populace de plus en plus assistée.
Si le socialisme apparut comme courant politique en France au début du XIXème siècle, l’historien Ghislain de Diesbach démontrera brillamment dans son drolatique Dictionnaire des idées mal reçues qu’en réalité l’Ancien Régime était une monarchie socialisante, la plus paresseuse d’Europe (plus de la moitié des jours étaient chômés pour ceux qui pouvaient travailler), émaillée de corporatismes préfigurant les syndicalismes actuels de type CGT et CFDT faisant grève au moindre pet de travers, surplombés paradoxalement par un régime absolutiste où la liberté de pensée était déjà brimée (Cf. les déboires de Molière face au clergé catholique tout puissant).
L’historien, catholique, René Grousset dans sa biographie du Roi Soleil, insérée dans son magistral Figures de Proue, prouvera que la Révolution française puis les Républiques maintiendront et renforceront cette vision totalitaire, remplaçant simplement l’universalisme chrétien par le dogme républicain démocratique et droits-de-l’hommiste dont la critique peut nous emmener, tels des nouveaux excommuniés, à la 17ème chambre correctionnelle !
L’Europe du Nord protestante, sur le temps long de l’Histoire, connaîtra moins ce genre d’abâtardissement, quoiqu’elle ait récupéré d’autres travers du christianisme tels que le puritanisme excessif ou la vision universaliste mortifère. En effet, ces pays ayant connu avant tout une révolte des nobles face aux pouvoirs centralisateurs catholiques, ils garderont une liberté de pensée et d’entreprendre bien plus grande. C’est l’une des raisons majeures expliquant pourquoi les mondes germanique et surtout anglo-saxon supplantent largement, en matière de puissance, depuis maintenant 300 ans, la France (post)catholique ou la Russie orthodoxe ou communiste.
d) Le cas rwandais
La transformation monarchique aristocratique en régime despotique par les Pères Blancs et l’administration belge (qui hérita du Rwanda après la défaite allemande lors de la première guerre mondiale) eut lieu en trois temps. Le premier consista à étendre l’autorité directe aux enclaves régionales autonomes hutus qui n’y étaient pas initialement soumises. En effet, au sein du Royaume, des régions hutus, bien que reconnaissant la suzeraineté tutsi, se gouvernaient depuis siècles par elles-mêmes. Comme l’a très bien remarqué Bernard Lugan, c’est au sein de ces entités nouvellement soumises que naîtra plus tard le virulent courant « ethno-nationaliste hutu » abhorrant la monarchie et l’ensemble des Tutsis.
Dans un deuxième temps, les Pères Blancs créèrent « une verticale du pouvoir monarchique » effaçant les contre-pouvoirs aristocratiques. En effet, ils fusionnèrent un grand nombre de postes à responsabilité, auxquels seuls les Tutsis convertis purent désormais accéder, permettant ainsi à des tocards carriéristes n’ayant pas réussi sous la monarchie païenne de gravir rapidement les échelons du pouvoir ; exactement comme sous la Rome antique devenue chrétienne, cause majeure selon l’historien Ramsay Mac Mullen de l’affaiblissement de l’Empire puisque les élites païennes vertueuses furent remplacées systématiquement par des inexpérimentés.
Mais cette concentration des pouvoirs exacerbera considérablement les velléités hutus. En effet, la monarchie païenne était structurée par trois strates aristocratiques dont la dernière était composée par de nombreux Hutus, qui perdront systématiquement leur autorité au profit des seuls Tutsis convertis. Néanmoins, cette refonte intensifia les conversions, les Hutus et Tutsis adhérant à la nouvelle religion de leurs maîtres – quoique Bernard Lugan décrive certaines communautés réticentes au baptême qui y seront finalement contraintes sous la menace de la machette.
Le troisième temps fut la décapitation sacrilège de la tête de la monarchie. En effet, désirant ardemment garder la foi ancestrale de ses Pères « le mwami – roi en rwandai – Musinga refusa de se convertir, ce qui entraîna sa destitution. Mais en le faisant déposer, l’Église catholique cassa la colonne vertébrale de cette société hiérarchisée dans laquelle les pouvoirs du Roi étaient sacrés et sa désignation entourée de secrets magico-religieux. Désormais, le mwami allait apparaître comme le « fondé de pouvoir » des Blancs et d’abord des missionnaires » (page 46).
Monseigneur Classe, pour justifier l’incitation du roi Musinga à l’exil, le diabolisera honteusement puis nommera, au mépris des rites coutumiers d’intronisation, son fils aîné Rudahigwa, devant allégeance au « Christ-Roi », qui passera pour le pantin impuissant des Pères Blancs, provoquant un gigantesque mécontentement au sein de la population.
C) Du royaume chrétien à la démocratie chrétienne (1959- 1962)
Page 60, Bernard Lugan explique : « Depuis des années, l’Église du Rwanda était placée face à une contradiction fondamentale. Au contact quotidien de la masse, les missionnaires observaient le décalage existant entre la ligne officielle de l’Eglise, qui était le soutien donné à l’encadrement tutsi, et les aspirations des cadres hutus. Formés dans les missions, ces derniers ne manquaient pas de rappeler le clergé aux réalités de l’Eglise des Apôtres, car la contestation du pouvoir tutsi ne se faisait alors que chez les Hutus catholiques, au nom des principes mêmes du christianisme. La hiérarchie décida de passer alors aux plus nombreux. La question qui demeure est de savoir si elle le fit pour les précéder et donc continuer à exercer son rôle politique au Rwanda ou si au contraire, elle opéra cette révolution pour ne pas les perdre ».
Ce changement de stratégie put se faire, aussi, grâce à la nomination d’un nouveau vicaire, Monseigneur André Perraudin, un suisse progressiste qui n’était pas comme son prédécesseur, Monseigneur Classe, monarchiste.
Le gouvernement colonial belge suivit exactement la même logique en matière politique, abandonnant la monarchie pour lui préférer la démocratie égalitariste et individualiste à l’occidentale, où les Hutus seraient forcément gagnants puisqu’étant les plus nombreux.
Il n’est pas étonnant que la démocratie individualiste, universaliste et égalitariste soit née au XIXème siècle en Europe chrétienne et ce, d’abord dans les pays monarchiques chrétiens. Ce système « démocratique » est cause de beaucoup de nos malheurs : il fut incapable d’éviter les deux guerres mondiales, permit l’émergence de dictateurs élus démocratiquement et est actuellement complètement impuissant face à l’invasion migratoire et au « Grand Remplacement » de la population européenne, car la populace versatile et ignare ne vote que pour des démagogues incompétents issus d’une foultitude de partis divisés.
Sous la Grèce antique, la démocratie exista à Athènes, peu vertueuse d’ailleurs, et Sparte mais était à l’image du paganisme, c’est-à-dire de type aristocratique : seuls ceux qui étaient considérés comme les meilleurs, le plus souvent « les hommes libres », pouvaient voter non pour un parti mais pour l’élaboration des lois (les femmes, jeunes, étrangers et esclaves étaient exclus). Les Tutsis monarchistes et aristocrates partageaient exactement la même vision : « la société rwandaise [est] composée d’individus de valeur très inégale, et (…) il n’est pas équitable d’accorder la même valeur à la pensée vulgaire de l’homme ordinaire qu’au jugement perspicace de l’homme capable » déclarera un communiqué officiel du parti politique tutsi UNAR voulant instaurer une démocratie aristocratique.
La monarchie tutsi, comprenant qu’elle était abandonnée et que le pouvoir à terme risquait de passer aux Hutus, en appela à l’ONU, très défavorable aux colonisations européennes, afin d’accélérer l’indépendance. Les Pères Blancs et l’administration belges se braquèrent et soutinrent corps et âme la révolution politique précipitée des catholiques hutus qui était ouvertement anti-Tutsis et d’un ethno-nationalisme extrêmement virulent. Le Roi, sans successeur, mourra peu de temps après par un empoisonnement étrange. Les prêtres païens, selon la coutume, introniseront un nouveau membre de la famille, ce qui sera considéré comme « un coup d’État » par le colon belge qui n’avait plus que le mot République dans la bouche…
Patrick Canonges explique que ce retournement de l’Eglise catholique belge était dû au fait qu’elle était composée de progressistes ; en réalité les traditionalistes étaient très nombreux et se rallièrent comme un seul homme aux progressistes lorsque la monarchie tutsi en appela à l’ONU. Comme le dit si bien le personnage joué par Burt Lancaster dans ce film magistral qu’est Le Guépard : « l’Église n’hésitera pas une seule seconde à larguer les aristocrates aux profits des bourgeois et des révolutionnaires pour se maintenir en place ».
Les Hutus arrivèrent au pouvoir, grâce « à la démocratie mathématique », et le génocide – comme l’explique très bien Bernard Lugan – débuta en réalité dès 1959, suite à la dislocation du Rwanda par les Belges, sous la machette des catholiques hutus ; l’explosion de 1994 suite à l’assassinat du Président Hutu Habyarimana par le FPR (parti politico-militaire du Tutsi Paul Kagamé) afin d’entreprendre la reconquête militaire du pays, n’est en réalité qu’un pic – non programmé – de cette violence continue depuis un demi-siècle, le Tutsi servant d’ailleurs plus de bouc-émissaire, masquant l’incompétence démocratique des Hutus profondément divisés qui précipiteront le pays dans le chaos.
Mais la déstructuration du pouvoir Rwandais par les belges catholiques ne sera pas la seule cause du génocide ; Bernard Lugan relève deux autres cataclysmes majeurs : l’éradication, par les Pères Blancs, du paganisme garant de la morale traditionnelle et de ses nombreux interdits (et qui jetait un très grand nombre de ponts entre les deux communautés tutsi et hutu), d’une part, et l’explosion démographique due à la révolution médicale européenne – explosion qui ne sera pas jugulée, du fait notamment du refus borné de la hiérarchie catholique d’envisager une régulation démographique –, d’autre part, précipiteront ainsi le pays dans la faim… et la guerre civile.
A suivre.
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